Hors la loi

Hors la loi
Titre original:Hors la loi
Réalisateur:Rachid Bouchareb
Sortie:Cinéma
Durée:138 minutes
Date:22 septembre 2010
Note:
Le 8 mai 1945, alors que l'armistice fait exulter la France métropolitaine, les autochtones algériens manifestent dans les rues de Sétif pour l'égalité des droits. Cet élan vers l'indépendance est réprimé violemment par les forces françaises. Le père et les soeurs de Abdelkader périssent dans l'insurrection, tandis que ce jeune intellectuel engagé est emprisonné et déporté en France. Il y est rejoint quelques années plus tard par son jeune frère Saïd et leur mère, qui élisent domicile dans les bidonvilles de Nanterre pour être plus près du prisonnier politique. Une fois libéré, Abdelkader est plus convaincu que jamais que l'indépendance de l'Algérie passera par l'action armée du FLN. Il est rejoint dans son idéologie radicale par son frère aîné Messaoud, un vétéran de la guerre d'Indochine. Saïd, pour sa part, compte plutôt faire fortune dans les boîtes de nuit et en marge des matchs de boxe.

Critique de Tootpadu

Dans son nouveau film, présenté en compétition au dernier festival de Cannes, Rachid Bouchareb se fait une fois de plus le chantre des opprimés et des laissés-pour-compte d'une civilisation européenne aux relents racistes. Contrairement à ses deux films précédents, Indigènes et London river, qui avaient su garder un air intimiste en dépit de l'envergure historique notamment du premier, le réalisateur s'attaque ici à une grande fresque en l'honneur du combat mené sur le sol français pour l'indépendance de l'Algérie. Le récit cadre sous forme d'une saga familiale aux accents tragiques a le plus grand mal d'apparaître comme plus qu'un prétexte, au demeurant assez convenu, pour mettre un visage sur la croisade sanglante du FLN. La volonté manifeste de Rachid Bouchareb de coller au plus près de la réalité historique, par ailleurs peu glorieuse pour les deux camps dans cette guerre larvée, n'atteint jamais une symbiose narrative avec le destin des trois frères, qui serait à la hauteur des ambitions politiques et polémiques du film.
Les quelques prises d'archives intégrées dans Hors la loi sont assez révélatrices de la démarche du réalisateur. En coloriant certaines parties de la pellicule initialement tournée en noir et blanc, Rachid Bouchareb ne commet pas tant un sacrilège à l'égard de l'authenticité de ces documents historiques, qu'il accentue plutôt artificiellement des détails qu'il peut juger comme plus importants que d'autres, tels les drapeaux américains et algériens par exemple. Il applique ce même dispositif de relecture, voire de détournement, en forçant coûte que coûte les faits historiques à s'adapter au volet fictif de son film. Les événements majeurs du soulèvement de la population algérienne sont ainsi incorporés dans cette intrigue plus proche du film de gangster, avec un empressement qui prend parfois une allure de rouleau compresseur, au discours trop réducteur pour vraiment approfondir les motivations des adversaires et pour s'attarder sur la dimension humaine de ce chapitre sombre de l'Histoire française. Tandis que la barbarie de la répression est représentée sans ménagement - au point que cet aspect du film va sans doute soulever à la rentrée une polémique que l'on espère au moins aussi bénéfique pour le souvenir serein des Français que l'a été le rappel de la contribution oubliée des soldats issus des colonies dans Indigènes -, le calvaire des réfugiés en France est décrit d'une façon sommaire, qui n'est nullement obligatoire, comme l'avait montré, il y a plus de dix ans déjà, Vivre au paradis de Bourlem Guerdjou, infiniment plus subtil à ce sujet.
Il aurait fallu un souffle épique plus soutenu que le rythme rapiécé de la narration de Rachid Bouchareb pour réellement faire fonctionner ce mélange peu original entre l'Histoire et le destin individuel. Ce n'est certainement pas faute de références de qualité que ce film ne prend jamais tout à fait vie. Mais les renvois de plus en plus voyants à l'univers du Parrain de Francis Ford Coppola (la mise à l'épreuve du fils autrefois innocent lors du meurtre dans un restaurant, la voiture piégée qui rate sa cible, la vengeance au couteau contre le vieux caïd) et à Heat de Michael Mann (la discussion en terrain neutre entre les deux ennemis jurés) instaurent plus un sentiment déplaisant de déjà-vu qu'ils ne confèrent ses lettres de noblesse à ce film solide, mais point à la hauteur du style ferme et sans fioriture d'un Jean-Pierre Melville, vers lequel il lorgne également par moments, en vain.

Vu le 14 juin 2010, au Club Marbeuf, en VO

Note de Tootpadu: