Argo

Argo
Titre original:Argo
Réalisateur:Ben Affleck
Sortie:Cinéma
Durée:120 minutes
Date:07 novembre 2012
Note:
Le 4 novembre 1979, l’ambassade américaine de Téhéran est assaillie par des centaines d’activistes. Ils prennent en otage le personnel diplomatique, à l’exception de six personnes qui réussissent à s’échapper incognito et qui trouvent refuge dans la résidence privée de l’ambassadeur canadien. Dans un contexte de tension et d’attention médiatique extrêmes, les services secrets américains attendent quelques semaines avant d’imaginer différents scénarios pour exfiltrer ces civils étrangers, dont le régime révolutionnaire iranien ignore l’existence. Finalement, c’est l’option présentée par le spécialiste Tony Mendez qui est retenue, aussi farfelue soit-elle : faire passer les invités de l’ambassadeur pour une équipe de cinéma, en Iran afin de préparer le tournage d’un film de science-fiction.

Critique de Tootpadu

Contrairement à ses accomplissements en tant qu’acteur, Ben Affleck poursuit une carrière de réalisateur quasiment parfaite. La progression est certes minime de film en film, mais cette sagesse de ne pas vouloir trop en faire trop tôt le rapproche plus d’acteurs-réalisateurs durables comme Clint Eastwood, que de ceux qui se sont dépensés et puis fourvoyés hâtivement comme Kevin Costner et Mel Gibson. Après un premier film dans lequel il assurait uniquement la mise en scène (Gone baby gone) et un deuxième où il jouait, mais toujours avec le décor familier de Boston comme arrière-plan (The Town), le voici en mesure d’aborder un sujet plus large et important que les histoires de flics et de gangsters sur lesquelles il s’était fait la main. Sans surprise, Argo est alors son film à la fois le plus ambitieux et le plus accompli, pas encore exempt de quelques maladresses narratives, mais dans son ensemble la confirmation brillante d’un réalisateur né, qui aurait peut-être fait mieux de ne pas passer par la case « acteur ».
L’entrée en la matière, la prise de l’ambassade américaine de Téhéran, est orchestrée avec une énergie et une assurance formelle qui forcent le respect. Suite à l’exposition de la situation iranienne, qui ne passe point sous silence les implications américaines peu reluisantes, le film nous plonge dans le chaos qui régnait dans les bureaux de la mission diplomatique en ce jour fatidique de la fin de l’année 1979. A partir de ce coup de tonnerre magistral, le reste du récit se développe dans un sentiment d’urgence permanent, démenti seulement lorsqu’il s’agit de pointer du doigt l’impuissance de l’administration américaine face à ce chantage humiliant. Dans toute son exubérance propre à un divertissement hollywoodien de haut vol, la narration ancre cette dernière dans une compréhension aiguë du contexte historique, comme peu de films américains ont su le faire récemment. La principale qualité du film réside par conséquent dans cette évocation passionnante d’une époque guère lointaine, mais dont les tenants et les aboutissants géopolitiques doivent paraître étranges de nos jours, où les conflits du Moyen-Orient se conjuguent d’une façon différente.
Car les deux autres aspects de ce film malgré tout très plaisant s’avèrent finalement bien plus conventionnels. Tandis que l’agencement d’une production fictive rappelle forcément une ruse semblable dans l’infiniment plus satirique Des hommes d’influence de Barry Levinson, le climat de plus en plus manichéen qui pèse sur l’exfiltration des Invités nous renvoie à ces contes tendancieux de la Guerre froide, qui pullulaient dans les années 1980. Comme dans La Nuit de l’évasion de Delbert Mann et tant d’autres pamphlets de propagande avant et après lui, la supériorité morale de ceux qui fuient le régime n’est jamais mise en doute, alors que le fanatisme aveugle des pourchasseurs et leur incapacité de contrer le plan de fuite sont mis en avant d’une manière nullement valorisante.
En somme, si nous apprécions le gain en assurance dans ses capacités d’expression cinématographique de la part de Ben Affleck, réalisateur, nous ne pouvons pas faire complètement abstraction d’un ton parfois lourdement pro-américain, qui dépeint les Iraniens presque exclusivement comme des illuminés dangereux et qui est au demeurant fidèle à la démarche aussi préoccupante que hélas pérenne de la diabolisation de quiconque ose s’attaquer verbalement ou physiquement à la suprématie des Etats-Unis.

Vu le 22 octobre 2012, à la Salle Warner, en VO

Note de Tootpadu: