Maps to the stars

Maps to the stars
Titre original:Maps to the stars
Réalisateur:David Cronenberg
Sortie:Cinéma
Durée:112 minutes
Date:21 mai 2014
Note:

L’actrice Havana Segrand est désespérée. Elle compte sur le rôle qui avait rendu sa mère célèbre pour redémarrer sa carrière. Malgré une audition réussie, le réalisateur ne s’est pas encore décidé. En quête d’une nouvelle assistante personnelle, Havana engage Agatha, une jeune femme défigurée par un incendie. En même temps, l’adolescent Benjie Weiss doit signer pour la suite de sa comédie à succès. Tout juste revenu de sa première cure de désintoxication, il compte sur sa mère pour soutirer un cachet important aux producteurs. Son sommeil est perturbé par des rêves étranges, qui le renvoient à un traumatisme d’enfance, lié à sa sœur. Son père Stafford, l’entraîneur de Havana, apprend alors à Benjie que sa sœur est revenue à Los Angeles.

Critique de Tootpadu

Malgré les nombreuses tentatives de persuasion de la part de notre confrère Mulder, nous n’avons jamais mis les pieds à Hollywood. Cette hésitation persistante de visiter le temple du cinéma américain vient sans doute aussi de la crainte d’y voir confirmé notre impression que ce qui s’y fabrique ne sont qu’à des rares exceptions des chefs-d’œuvre du Septième art ou au moins des classiques du divertissement à consommer sans modération. La réalité est certainement beaucoup moins prestigieuse. Elle risque de se rapprocher du regard plein de noirceur que David Cronenberg jette dessus dans son nouveau film, présenté en compétition au festival de Cannes, le pendant français sur dix jours de la débauche autour du marché du cinéma qui a lieu sur la côte Ouest américaine à longueur d’année. Le réalisateur canadien n’a jamais vraiment fait partie de la machine éreintante de Hollywood, préférant de loin son indépendance de cinéaste marginal, en termes commerciaux, qui explore ses sujets fétiches grâce à des capitaux étrangers, plutôt que de se plier à la volonté de producteurs tout puissants. Ce qu’il en sait suffit pourtant amplement pour en dresser un portrait au vitriol, plus amer et vicieux encore que le point de vue satirique qu’avait adopté par exemple Robert Altman dans The Player il y a plus de vingt ans.

Car ce qui nous rebute aussi dans le Hollywood d’aujourd’hui, c’est qu’il n’a plus rien à voir avec le mécanisme tant soit peu humain de son âge d’or. A l’époque, la mainmise des têtes de studio empêchait certes la propagation d’un quelconque scandale, en mesure de leur faire perdre les capitaux investis dans leurs poulains. Mais l’un des effets secondaires de ce contrôle draconien de l’information était justement de permettre au rêve des spectateurs de perdurer. De nos jours, l’aura magique de Hollywood a depuis longtemps été dévorée par les paparazzi et les médias opportunistes pour lesquels ils travaillent. Alors que l’idéal n’existe plus que dans la tête des fans les plus cinéphiles ou les plus naïfs, les lieux ont été envahis par une armée de célébrités de pacotille. Comme le dit si bien le chauffeur au début du film, cela ne sert à rien de suivre la carte des résidences des vedettes, puisque tout ce qu’on y trouve est désormais l’ancienne demeure de quelqu’un d’aussi insignifiant que Ryan Seacrest, l’équivalent américain de Benjamin Castaldi. D’ailleurs, les références à la soi-disant culture hollywoodienne sont si explicites que le sous-titrage a parfois du mal à suivre toutes les facettes de cette industrie bâtie sur du vent.

La reine de la vacuité dans Maps to the stars est le personnage assez caricatural interprété sans fausse pudeur par Julianne Moore. Elle risque d’ores et déjà de se faire voler la vedette par le jeune parvenu Benjie, un gamin infecte qui représente tous ces rêves d’enfant brisés au plus tard au moment de l’adolescence. Mais pour l’instant, c’est elle, le centre des névroses qui rendent le film partiellement fascinant. Sa soif de réussite n’atteint pas toujours les sommets d’absurdité et de cynisme qu’elle affiche lors de la danse pour célébrer son nouveau rôle, convoité avec une obsession maladive depuis le début du film. Elle personnifie néanmoins la créature hollywoodienne par excellence, c’est-à-dire quelqu’un de vain, d’égoïste et prêt à tous les vices pour assouvir son besoin d’exister devant la caméra. La nouvelle génération est tout de suite plus nihiliste, puisque ce ne sont que l’argent et le pouvoir qui comptent, peu importe la qualité du produit cinématographique qui n’en est plus que le résultat annexe.

Bref, si la description du microcosme hollywoodien est plutôt réussie, le récit décide malheureusement de la faire passer de plus en plus à l’arrière-plan. Ce sont alors les vieux thèmes psychologiques, toujours chers au réalisateur, qui prennent le dessus. L’apparition de fantômes, qui hantent la tranquillité d’esprit toute relative de Havana et de Benjie, fait ainsi progressivement dérailler le sérieux du film vers un simulacre de thriller peuplé de personnages aux lourds secrets. Les différentes manifestations de folie meurtrière qui s’emparent alors du film n’ont plus grand-chose à voir avec le ton au contraire très froid et désabusé qui reflétait admirablement la cruauté sans fin sous le soleil californien. D’où notre appréciation très mitigée d’un film, qui aurait gagné à se cantonner soit à un état des lieux acerbe des tristes vestiges de l’usine à rêves, soit aux éternels troubles mentaux que David Cronenberg affectionne avec un peu trop d’exclusivité à notre goût.

 

Vu le 19 mai 2014, au Club 13, en VO

Note de Tootpadu:

Critique de Noodles

Depuis Spider (2001), David Cronenberg a quelque peu délaissé l’univers si particulier qui caractérisait ses précédents films afin de se tourner vers d’autres horizons cinématographiques. Des long-métrages comme Chromosome 3 (1979), Videodrome (1983), Le Festin nu (1991), ou encore Crash (1994) constituent une œuvre explorant les phobies et autres névroses sexuelles de notre société occidentale. Privilégiant l’horreur et la science-fiction, cette large partie de sa filmographie se caractérise également par une grande influence du domaine scientifique, et met bien souvent en scène le corps humain comme sujet à l’expérimentation et à la métamorphose. Au contraire, ses projets plus récents semblent davantage se porter vers l’extérieur, abordant des thèmes tels que l’identité, la famille, ou bien l’individu confronté aux autres et à la société. Son dernier long-métrage, Maps to the stars, s’inscrit dans cette lignée.

Ici, le cinéaste canadien est aux manettes d’une critique acerbe du microcosme hollywoodien. De la même manière que le film de Paul Schrader The Canyons sorti en salles cette année, Cronenberg présente Hollywood comme un milieu surfait où règne l’hypocrisie la plus totale, un monde de décadence peuplé de gens désabusés redoutant par-dessus-tout de vieillir. Le personnage de Benjie, interprété par le jeune Evan Bird, est la parfaite incarnation d’une jeunesse dorée d’Hollywood au comportement abjecte. Habitué des cures de désintoxication et très intéressé par l’argent à seulement treize ans, on comprendra vite que cette jeune superstar n’est que le triste produit d’un environnement qui n’a pas manqué de lui arracher son enfance. Pour compléter le sombre tableau qui est dressé, l’un des principaux thèmes du film est l’inceste. Avec Maps to the stars, David Cronenberg transforme "l’usine à rêves” en véritable usine à cauchemars.

Si le cinéaste n’oublie rien de son univers malsain et violent (ici, la violence physique est sans doute moins présente que la violence psychologique), le film surprend par sa dimension comique, que l’on trouve habituellement très peu chez Cronenberg. Maps to the stars est une vaste farce amère et brutale, excellant dans l’humour noir et le cynisme. Le milieu qui nous est montré est tellement affligeant qu’il en devient presque surréaliste : cette idée est parfaitement illustrée par l’horrible scène dans laquelle Havana (jouée par Julianne Moore) se réjouit de la mort d’un enfant car celle-ci lui permet d’obtenir le rôle qu’elle souhaitait. De tels comportements inhumains et hallucinants provoqueront chez le spectateur un rire grinçant.

En revanche, le film s’avère moins convaincant lorsqu’il s’agit d’y introduire une dimension fantastique. Car le Hollywood de Cronenberg possède visiblement ses fantômes, venus tourmenter les personnages qui finissent par sombrer dans la folie la plus totale. La plus grosse faiblesse du film réside sûrement dans la présence à l’écran de ces revenants, nous faisant regretter le temps où David Cronenberg savait confondre plus habilement la réalité et la folie, et surtout savait mettre en scène le fantastique d’une façon tellement dérangeante sans vraiment se prendre au sérieux. C’est bien cela qui fait cruellement défaut à Maps to the stars.

Certes, David Cronenberg ne parvient pas à peindre un Hollywood inquiétant et troublant comme l’a si bien su le faire David Lynch dans Mulholland Drive (2001) et Inland Empire (2006). Néanmoins, la satire cruelle et morbide qu’il dresse ici est des plus brillantes, et cette facette de Maps to the stars suffit amplement à en faire une énième réussite cinématographique venant d’un réalisateur qui ne cesse décidément pas de faire preuve de talent.

 

Vu le 19 mai 2014, au Club 13, en VO.

Note de Noodles: