
Titre original: | Moebius |
Réalisateur: | Eric Rochant |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 108 minutes |
Date: | 27 février 2013 |
Note: | |
Cherkachin doit bientôt être promu au poste de directeur du FSB, les services secrets russes, grâce au concours du riche homme d’affaires Rostovsky. Afin d’assurer ses arrières, Cherkachin charge son bras droit Grégory Lioubov d’assembler un dossier avec des preuves compromettantes pour son bienfaiteur. La porte d’accès idéale à l’empire de l’ombre de Rostovsky paraît être sa banque monégasque, à partir de laquelle il fait fructifier son argent sale. La bande de Lioubov s’y intéresse de près à la spécialiste en placements à risques Alice. Elle accepte la proposition des Russes d’espionner Rostovsky, sans leur dire qu’elle travaille déjà pour leurs concurrents américains. Les choses se compliquent davantage lorsque Lioubov se retrouve face à face avec Alice, sans pouvoir s’empêcher de tomber amoureux d’elle.
Critique de Tootpadu
Le quotidien des services secrets en notre époque, avare en ennemis clairement identifiables, doit sans doute plus ressembler au travail minutieux, fastidieux, voire en fin de compte frustrant décrit dans Möbius qu’aux prouesses des cascadeurs larvés James Bond et Jason Bourne, qui ont l’avantage d’enthousiasmer les foules. Aucune gloire n’y est à tirer des enquêtes très vagues, dont les paramètres varient sans cesse et dont la fin justifie tous les moyens, aussi traîtres soient-ils. Les espions de cette histoire assez sophistiquée ne sont point des héros. Ce sont au contraire des hommes et des femmes somme toute ordinaires, qui mènent une danse osée sur le parquet glissant des affaires internationales. Qu’ils finissent par s’y vautrer misérablement convient tout à fait au regard malicieux avec lequel le réalisateur Eric Rochant observe leurs agissements troubles.
En dépit de l’élégance indéniable de l’exécution et du cadre luxueux de Monaco, ce film ne cherche pas tout à fait à reproduire l’esbroufe finement huilée d’un Anthony Zimmer, à l’intrigue si étroitement liée à l’œuvre de Alfred Hitchcock que le film de Jérôme Salle allait en étouffer à plusieurs reprises. Le point de départ de ce film-ci était certes une référence au maître du suspense, par la demande anecdotique de la compagne du réalisateur de tourner un film dans la lignée des Enchaînés. Mais la mise en scène s’en libère au plus tard dès cette première séquence érotique, à la sensualité saisissante et à l’absence de vulgarité rafraîchissante. L’orgasme que les deux amants y atteignent ensemble crée en effet la chimère d’un amour presque trop idéalisé, en guise de contrepoids aux vicissitudes d’une activité d’espion professionnel ou amateur sensiblement moins satisfaisante. Dès lors, la filature de Rostovsky n’est plus qu’un obstacle gênant à l’épanouissement d’une fantaisie romantique, que l’on peut considérer selon le point de vue de Grégory ou d’Alice soit comme une grosse erreur, soit comme le premier coup de chance après la traversée du désert depuis la mise à l’index par les autorités américaines de régulation du marché.
La narration est suffisamment à l’affût de la moindre instabilité des conditions environnantes pour ne pas laisser perdurer ce rêve à l’eau de rose. Avec un rythme si soutenu, on pourrait même croire que c’est la précision scénaristique qui a été fatale à la liaison impossible et non pas la nature perverse du monde des agents, où les amis peuvent soudainement devenir des ennemis et inversement. Grâce au charme irrésistible du couple vedette – une Cécile De France radieuse et un Jean Dujardin plus gentleman désabusé que jamais –, la magie opère cependant, bien que le réalisateur nous prive d’une conclusion rassurante, de toute façon de trop dans ce cirque des trafics d’influence, qui reflète hélas d’une manière plutôt réaliste le monde corrompu dans lequel nous vivons.
Vu le 20 février 2013, au 5 Caumartin, Salle 1, en VO
Note de Tootpadu:
Critique de Mulder
Certains films français s’imposent comme des modèles du genre dès leur première découverte. Eric Rochant signe avec Möbius son huitième film et retrouve une thématique qu’il avait déjà abordée sans le succès escompté dans le passé (Les Patriotes). Möbius est un film d’espionnage ancré dans le monde réel sans fioriture ni scènes d’action spectaculaires dignes de figurer dans un nouveau James Bond. Le film est passionnant de bout en bout.
Comme pour chacun de ses films, le réalisateur apporte une réelle profondeur à ses personnages en s’appuyant sur un excellent casting, Jean Dujardin, Cécile de France, Tim Roth et surtout Emilie Dequenne. Il signe une nouvelle fois un scénario très intéressant et plein de rebondissements et dont chacun des comédiens lui apporte une personnalisation humaine des plus intéressantes. Möbius n’est pas qu’une simple et palpitante histoire d’espionnage, mais surtout une histoire romantique permettant de faire des personnages incarnés par Jean Dujardin et Cécile de France un des plus beaux couples que le cinéma français ait pu nous donner. La relation de ces deux êtres que tout pourrait opposer dans leur façon d’agir, de communiquer et de penser apporte au film une existence des plus solides. Jean Dujardin est un de ces acteurs qui a besoin d’être dirigé par de brillants réalisateurs pour donner le meilleur de lui-même. A Michel Hazanavicius, il doit non seulement son plus grand rôle à ce jour (un Oscar, une renommée mondiale) mais surtout, il lui doit d’être devenu l’un des comédiens dont on attend maintenant chacun des nouveaux projets et films. Son interprétation ici ne déçoit pas, tant il s’est impliqué dans son rôle en n’oubliant pas de donner au réalisateur ses idées et faisant de ce film l’un des plus intéressants à découvrir de ce début d’année.
Le film Möbius, tel qu’il est réellement, semble assez loin de l’image que pourrait lui donner sa bande-annonce et n’est donc pas un nouveau Largo Winch soit un film d’espionnage et d’action, mais plutôt une vision d’une valse de pantins donc chaque membre est malgré lui manipulé et donné finalement en pâture à une société qui ne pardonne rien. Par prolongation à cette idée, nous aurions voulu une autre fin moins amère et plus romanesque. Eric Rochant se révèle donc être un réalisateur intéressant à suivre et entier dans ses projets, capable du meilleur (Un monde sans pitié) que du pire (Total western). Le passage par la case télé (série "Mafiosa", saison 2 et 3) lui a apporté une force suffisante pour tenter de nouveau l’approche d’un thème qui lui tient à cœur : l’étude du monde des espions modernes.
Möbius est un pari réussi pour le réalisateur qui tente de regagner les faveurs du public et de faire de son film un grand film français sans entacher son écriture sophistiquée et donnant la vie à des personnages forts. Le fait de pouvoir retrouver l’acteur Jean Dujardin dans un film d’auteur est un plaisir qui ne se refuse pas.
Vu le 20 février 2013, au 5 Caumartin, Salle 1, en VO
Note de Mulder: