Adieux à la reine (Les)

Adieux à la reine (Les)
Titre original:Adieux à la reine (Les)
Réalisateur:Benoît Jacquot
Sortie:Cinéma
Durée:100 minutes
Date:21 mars 2012
Note:
Le 14 juillet 1789 est un jour comme les autres au château de Versailles. Sidonie Laborde, la jeune lectrice adjointe de la reine Marie-Antoinette, se lève à l’aube, afin de choisir un texte qui pourrait aider sa majesté à se distraire après la mauvaise nuit qu’elle vient de passer. Le cérémoniel de la cour du roi Louis XVI est encore intact et la servante dévouée qu’est Sidonie ne peut se résoudre à être jalouse de Gabrielle de Polignac, la favorite actuelle de la reine. Ce n’est que le lendemain que la nouvelle de la prise de la Bastille atteint Versailles, avec tout ce que cet événement d’une grande valeur symbolique implique pour l’avenir d’un statu quo, que Sidonie souhaite préserver à tout prix.

Critique de Tootpadu

La Révolution française comme si vous y étiez. Cela pourrait être l’accroche trop facile du nouveau film de Benoît Jacquot, qui entreprend une reconstitution historique bien plus subtile que ne le serait une simple plongée dans la gueule de la plèbe qui marche sur Versailles. L’indignation du peuple qui s’est exprimée dans ce soulèvement révolutionnaire est d’ailleurs quasiment absente de l’écran, puisque Les Adieux à la reine se concentre exclusivement, et dans un cadre temporaire sensiblement plus réduit que Marie Antoinette de Sofia Coppola, sur la réaction de la cour à ce changement de donne inouï. L’ignorance des faits, si marquants qu’ils font depuis toute la fierté de la grande nation, crée dans le cadre de ce récit mi-épique, mi-intimiste, un climat d’insécurité et d’affolement qui ébranle à peine la fidélité indéfectible du personnage principal envers sa maîtresse.
Au cours de ces quelques jours majeurs de l’Histoire, Sidonie navigue à l’aveugle à travers les eaux troubles d’un microcosme social, durablement perturbé par ces influences néfastes venues de l’extérieur, qui ne sont en fin de compte que l’avant-garde du naufrage prochain. Il nous est arrivé pas plus tard que hier, dans la critique de My week with Marilyn de Simon Curtis, de nous plaindre du prétexte narratif qui fait obligatoirement passer le regard du spectateur sur un monstre sacré par le biais d’une tierce personne, initialement sous l’emprise de son idole pour mieux être déçue par sa part d’ombre. Dans le cas présent, ce dispositif usé à la corde fonctionne par contre parfaitement, puisqu’il intègre entièrement l’aspect plus sensuel de l’intrigue. Pendant que le monde hors des salons feutrés du château s’écroule, il se tisse en leur sein une toile d’intrigues dans laquelle chacune des femmes de chambre est prise, dès qu’elle cherche à profiter d’une façon ou d’une autre de cette situation à première vue compromettante pour la reine. Le pouvoir réel s’effrite en dehors de ces murs, qui ressemblent lors d’une des plus belles séquences du film à une galerie des aristocrates perdus, mais la reine a toujours le dernier mot, lorsqu’il s’agit de mettre à l’abri ses biens et les sujets auxquels elle tient le plus.
Discrètement séduite pour mieux être trahie à la fin, sa lectrice ne fait visiblement pas partie de ces trésors du cœur et de la bourse qu’il vaudra mieux soustraire au couperet inévitable de la guillotine. Au sein d’un récit délicat, qui ne manque pourtant pas d’entrain, elle prend la place peu enviable d’une balle qui change plusieurs fois de camp, sans avoir su saisir la chance de s’affirmer en tant qu’unité avec laquelle il faudra désormais compter dans cette civilisation factice sur le déclin. Le grondement lointain du tonnerre de l’Histoire et l’ébranlement de quelques annexes sans importance ne mènent en effet pas chez Sidonie à une prise de conscience de ce qui se passe autour d’elle. Son amour chaste mais passionnel pour sa reine l’empêche de voir plus clair dans le jeu truqué d’un système, qui vole en éclats sans faire un bruit.
Il serait facile d’établir des parallèles entre cette fin de règne d’antan et la crise économique considérable que nous traversons depuis plusieurs années déjà, et qui pourrait bien sonner le glas du capitalisme tel que nous le connaissons. Heureusement, la mise en scène d’une précision remarquable de Benoît Jacquot se refuse à un opportunisme aussi primaire, pour s’engager à la place corps et âme dans un labyrinthe historique dont personne ne sortira indemne. Soutenu considérablement par les interprétations magistrales de Léa Seydoux et de Diane Krüger en particulier, et d’une distribution brillante dans son ensemble en général – sans oublier la bande originale étonnamment sobre de Bruno Coulais –, il nous emmène dans les alcôves d’un chapitre de l’Histoire française sur lequel nous pensions déjà tout savoir. Grâce à ce film magnifique, notre goût pour les épopées historiques sensibles à la dimension humaine de ces mouvements de foule a pu vivre une seconde jeunesse, après une période de torpeur de laquelle nous sommes arrachés rarement par des œuvres cinématographiques aussi accomplies.

Vu le 21 février 2012, au Club de l'Etoile

Note de Tootpadu:

Que cherchez vous...