Contrebandiers de Moonfleet (Les)

Titre original: | Contrebandiers de Moonfleet (Les) |
Réalisateur: | Fritz Lang |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 87 minutes |
Date: | 16 mars 1960 |
Note: | |
En 1757, le jeune orphelin John Mohune arrive dans le village de Moonfleet sur la côte anglaise, où il espère trouver un certain Jeremy Fox pour lequel sa mère agonisante lui a confié une lettre de recommandation. Il s’agit de l’amant de sa jeunesse avec lequel elle avait vécu une affaire passionnelle, avant d’être chassée des terres qui appartenaient à l’époque au clan des Mohune. Depuis, Jeremy Fox est revenu sur les lieux de cette romance malheureuse et, sous les airs d’un homme riche et distingué qui côtoie l’aristocratie locale et séduit ses femmes, il y est le chef d’une bande de contrebandiers. John s’attache vite à cette figure paternelle, alors que Jeremy Fox ne pense qu’à se débarrasser de cet enfant encombrant.
Critique de Tootpadu
Il n’y a pas de plus belle époque pour les drames d’enfance, riches en sens et en vérité, que la décennie entre le milieu des années 1950 et celui des années ’60. Nous ignorons complètement pourquoi l’âge d’or de ce genre précis s’est produit à travers le cinéma mondial à ce moment-là, alors que, globalement, l’heure était plutôt au conservatisme poussiéreux pendant cette période de transition entre l’immédiat après-guerre et la mise en question des mœurs pérennes à partir de mai ’68. Toujours est-il qu’entre ce film-ci, sorti avec cinq ans de retard en France, et Du silence et des ombres de Robert Mulligan, en passant par des œuvres majeures comme La Nuit du chasseur de Charles Laughton aux Etats-Unis, Les 400 coups de François Truffaut en Europe, et la trilogie d’Apu de Satyajit Ray en Inde, la démystification de l’enfance était à l’honneur sur tous les écrans du monde. Peut-être le fait que l’inertie formelle et sociale aient caractérisé ces années-là a-t-il justement pu jouer en faveur de la maturation d’une évocation lucide de l’enfance, présentée sous un jour intemporel qui reste accessible même un demi-siècle plus tard.
Ainsi, la qualité pas immédiatement perceptible des Contrebandiers de Moonfleet réside plus dans ce que le récit observe subtilement sur la perte de l’innocence de son jeune héros, que du côté des passages obligés d’un film d’aventure classique. L’immersion dans un monde qui devient effrayant quand il est contemplé depuis le point de vue de l’enfant, s’opère ici d’une façon bien plus prenante que dans Les Grandes espérances de David Lean, une adaptation littéraire au budget probablement plus conséquent, mais à la surcharge de décors d’autant plus étouffante. La trame narrative principale autour des magouilles peu honorables de Jeremy Fox serait assez quelconque, si elle ne fournissait pas le cadre plus que solide au vrai sujet du film. Le véritable fil rouge de ce film doucement fascinant est donc la relation entre John Mohune et son point de repère dans le monde des adultes, qu’il idéalise encore lorsque ses actes abjects auraient déjà dû le pousser vers une figure paternelle plus recommandable.
La valeur suprême de ce film, mis en scène sans la moindre esbroufe formelle par Fritz Lang, repose sur cette ambiguïté des attaches ou plus précisément sur le grand écart entre une loyauté enfantine et le douloureux passage à l’âge adulte, que le jeune protagoniste ne veut ou ne peut pas accepter. Alors que les indices de la perversion insidieuse de Jeremy Fox – par ailleurs un personnage hautement tourmenté par la tentation de faire le bien – se multiplient, celui qu’il considère malgré tout comme son fils de substitution préserve un espoir déraisonnable quant à ses véritables intentions. Rarement elle n’a été filmée avec une telle délicatesse, cette tension qui vise à rendre meilleure la vie des participants mais qui ne produit en fin de compte que du désastre.
Revu le 7 décembre 2011, à la Cinémathèque Française, Salle Georges Franju, en VO
Note de Tootpadu: