Nuit du chasseur (La)

Nuit du chasseur (La)
Titre original:Nuit du chasseur (La)
Réalisateur:Charles Laughton
Sortie:Cinéma
Durée:88 minutes
Date:11 mai 1956
Note:
Juste avant d'être arrêté pour un double meurtre, Ben Harper réussit à cacher le butin de dix mille dollars dans un lieu secret, connu uniquement de ses deux enfants John et Pearl. Condamné à la pendaison, Harper partage sa cellule en prison avec le prédicateur Harry Powell. Celui-ci, libéré peu de temps après, se rend alors dans la petite ville où la veuve Willa Harper habite avec les enfants. Au fond un meurtrier psychopathe, il se fait accepter par la communauté et épouse Willa, afin de mettre la main sur le larcin lucratif.

Critique de Tootpadu

Pourquoi ne pas profiter de cette quinzaine de trêve des projections pendant le festival de Cannes pour réviser nos classiques ? Et quel classique que cette unique réalisation de l'acteur Charles Laughton, un conte à la fois effrayant et enchanteur, qui combine magistralement les forces opposantes du Bien et du Mal ! La nature humaine est passé au crible à travers la mise en scène poétique de Laughton, qui ne se fait guère d'illusions ni sur ce qu'elle a de plus miséricordieux, ni sur son côté abject.
En fait, l'aspect menaçant de Harry Powell est contredit périodiquement par des fêlures dans sa carcasse de tueur en série forcené. Bien qu'il ait avancé au rang de méchant emblématique de l'histoire du cinéma, ce prédicateur investi de son propre gré de la volonté de Dieu intrigue surtout par les failles de son comportement. Tel l'oncle Charlie dans L'Ombre d'un doute d'Alfred Hitchcock ou le protagoniste éponyme du Monsieur Verdoux de Charles Chaplin, Powell s'attaque principalement aux veuves dites joyeuses, une proie facile qui en dit aussi long sur ses frustrations sexuelles que sur ses besoins d'argent importants. Justement par rapport à ses troubles de la libido, Laughton a trouvé un symbole parlant pour son impuissance masculine, sous les traits du couteau à cran d'arrêt dont la lame jaillit, telle une éjaculation précoce, chaque fois que Powell ressent ses pulsions sexuelles réprimées par sa haine des femmes. Toutefois, sa résistance aux plaisirs de la chair s'explique tout autant par ses stratagèmes pour obtenir l'argent, comme le montre son spectacle hypocrite pendant la nuit de noces.
Un éminent manipulateur, Harry Powell emploie l'extase religieuse et le semblant de respectabilité que lui confère son habit de pasteur pour mieux duper ses proies. Tandis que sa méthode sournoise déclenche une véritable hystérie d'illumination chez Willa, ses bonnes manières sont révélatrices de la facilité avec laquelle la populace, personnifiée par le couple Spoon, se laisse influencer et berner par les apparences. Néanmoins, La Nuit du chasseur n'est pas un film anti-religieux per se. Comme contrepoids important, le personnage de Mme Cooper pratique un christianisme décomplexé et pragmatique. Sans surprise, ce genre d'idéalisme appliqué la prédestine à l'isolement et à la tâche - qui ne plairait qu'à une vraie âme charitable - de récupérer telle une éboueuse humaine les enfants abandonnés par des parents moins responsables qu'elle.
Mais là encore, cette bonté apparemment sincère est motivée par un sentiment de culpabilité tenace : celui d'avoir perdu l'affection de son fils biologique qu'il faudra désormais remplacer par celle de gamins errants. De même, tous les personnages, à l'exception évidente de Powell, se plient à un moment ou un autre sous le poids écrasant de cette culpabilité, inhérente à l'existence humaine. La prise de conscience de leur propre faillibilité s'accompagne souvent d'un traumatisme psychologique profond, à l'image du garçon marqué par l'arrestation brutale du père devant ses yeux ou du discours vibrant de Willa, qui se sent responsable des meurtres commis par son mari.
La mise en scène magnifique de Charles Laughton traite tous ces thèmes avec une aisance et une sincérité bluffantes. Servie brillamment par les interprétations de Robert Mitchum, Lillian Gish, Shelley Winters et Billy Chapin, elle dresse le portrait hautement stimulant d'une enfance, qui risque constamment de se pervertir au contact d'une société corrompue d'adultes, si ce n'était pour l'intervention vaguement divine de Mme Cooper.

Revu le 13 mai 2009, au Quartier Latin, Salle 1, en VO

Note de Tootpadu: