Route Irish

Route Irish
Titre original:Route Irish
Réalisateur:Ken Loach
Sortie:Cinéma
Durée:109 minutes
Date:16 mars 2011
Note:
En septembre 2007, l’agent de sécurité Frankie meurt dans une embuscade sur la « Route Irish » qui relie l’aéroport de Bagdad à la zone verte. Son ami d’enfance Fergus, qui l’avait incité à le rejoindre en Irak trois ans plus tôt, ne croît pas en la version de ses supérieurs, d’autant moins que Frankie lui avait laissé plusieurs messages téléphoniques de détresse avant sa disparition. Depuis leur Liverpool natale, Fergus mène l’enquête sur les conditions de travail de plus en plus barbares des mercenaires en Irak, qui ont bien pu être fatales à son meilleur ami.

Critique de Tootpadu

Ce n’était qu’une question de temps, avant que Ken Loach, le réalisateur européen à la conscience sociale la plus durablement marquée, ne s’attaque à la guerre en Irak, ce conflit aux motivations plus que suspectes dont on attend toujours un résultat positif sans équivoque. Loach avait certes participé au film collectif 11’09’01, mais sa contribution avait préféré dresser un parallèle entre les attaques terroristes et le coup d’état chilien, au lieu de dénoncer la nouvelle étape du colonialisme économique, motivée par le prétexte de la destruction du World Trade Center. Son nouveau film n’adresse pas non plus de front les questions les plus polémiques, car faciles à trancher, de cette mascarade militaire, dont un nombre important de pays européens avait le bon sens de s’abstenir. A l’image de la situation qui s’enlise irrémédiablement en Irak, peu importe que les troupes américaines soient présentes ou pas, Route Irish dresse un bilan complexe et nullement rassurant de l’implication britannique dans cette affaire louche.
Pendant la première partie du film, le réalisateur réussit à susciter des émotions à fleur de peau et parmi ses personnages, et auprès du public déjà habitué à sa maîtrise indéfectible dans le maniement des sentiments. Frankie est mort et enterré, ou plus précisément incinéré, mais la culpabilité et le doute rongent son entourage. Surtout Fergus se reproche d’avoir entraîné son ami de longue date dans ce pays dangereux et de l’avoir abandonné là-bas, quand la situation devenait moralement intenable pour lui-même. D’une certaine façon, la culpabilité et l’impuissance des complices du saccage de l’Irak pèsent plus lourd dans le scénario savamment élaboré de Paul Laverty que la célébration hypothétique d’une condamnation ferme des crimes contre l’humanité commis dans ce pays en pleine décomposition.
Pour une fois, le discours de Ken Loach se distingue en effet par un défaitisme alarmant. Impliqués jusqu’au cou dans les magouilles irakiennes qui rapportent gros aux vautours occidentaux de tout genre, ses personnages n’arrivent pas à se défaire du spectre de leur propre responsabilité. La croisade que Fergus entreprend pour dévoiler toute la vérité sur l’assassinat de son ami ne lui procure aucun soulagement moral. Au contraire, du rôle de confident imparfait mais idéaliste qu’il joue au début du film, il glisse progressivement vers un entêtement meurtrier, ahuri par l’impossibilité de se défaire de cette affaire sinistre, sans se compromettre à son tour. La conclusion du film compte alors parmi les plus déprimantes de l’œuvre récente de Ken Loach, où quelques vagues lueurs d’espoir finales avaient su relativiser jusqu’à présent le constat douloureusement lucide sur l’injustice sociale inhérente à notre civilisation.
Ni une pièce maîtresse dans la manipulation des émotions, comme le fut Looking for Eric, ni un pamphlet social puissant sur la précarité émotionnelle ou économique dans l’Angleterre contemporaine comme l’étaient respectivement Just a kiss et It’s a free world, Route Irish fait donc un peu figure à part dans la filmographie de son réalisateur. On pourrait éventuellement le rapprocher de Land and freedom, sauf que l’engagement guerrier est privé de la moindre justification idéologique ici. Dans toute sa complexité narrative nullement abusive et son parti pris partisan qui doit se rendre in extremis à l’évidence qu’en temps de guerre il n’y a que des perdants, ce film est bien un fruit de son époque : déboussolé, torturé, mais engageant dans sa manière de chercher malgré tout une issue honorable à ce marasme politique et moral qu’a été l’invasion de l’Irak.

Vu le 24 janvier 2011, au Club de l'Etoile, en VO

Note de Tootpadu: