Tu n'aimeras point

Tu n'aimeras point
Titre original:Tu n'aimeras point
Réalisateur:Haim Tabakman
Sortie:Cinéma
Durée:96 minutes
Date:02 septembre 2009
Note:
Après la mort de son père, Aaron rouvre la boucherie familiale dans un quartier ultra-orthodoxe de Jérusalem. Lui-même un membre engagé dans la communauté religieuse, Aaron est un mari fidèle à Rivka et un père fiable pour ses quatre enfants. Un jour de pluie, il recueille le jeune étudiant religieux Ezri dans la boucherie. Faute de travail et d'encadrement familial, Ezri devient l'assistant d'Aaron et participe avec lui aux classes d'enseignement du Talmud. Bientôt, Aaron ne pourra plus ignorer les avertissements dont ses amis lui font part à l'égard d'Ezri, qui aurait exercé une influence néfaste dans sa communauté de Safed, au point d'en être exclu. Mais en même temps, le père de famille ne peut résister au charme du jeune homme, qui lui fait découvrir une face de lui-même jusque là cachée.

Critique de Tootpadu

Pas plus tard que la semaine dernière, nous écrivions dans la critique de Humpday, que la représentation de l'homosexualité au cinéma s'élargissait dans un mouvement continu aux terrains sociaux et aux genres jusque là sous le joug d'un point de vue exclusivement hétérocentriste. Après le conte des cow-boys amoureux dans Le Secret de Brokeback Mountain de Ang Lee, voici l'incursion dans un territoire encore plus hostile, voire hermétiquement fermé à l'idée même d'une relation sexuelle entre hommes. Le cadre d'une communauté juive-orthodoxe soudée et autoritaire oblige les deux personnages principaux à un grand écart, qui ne peut se solder par aucune satisfaction, religieuse ou charnelle.
Le coeur dramatique de ce film israélien réside en l'incompatibilité intrinsèque entre la pratique dévouée d'une religion et l'épanouissement du désir homosexuel. La plupart des religions sont en effet conçues, du côté de leur finalité sociale, pour assurer la survie biologique de la race humaine et, pas qu'accessoirement, la pérennité spirituelle du mouvement. L'homosexualité, par définition stérile lorsqu'il s'agit de produire de la progéniture, fait alors figure de trublion, qui pervertirait la célébration de la création divine et sa transmission à travers la procréation. Rien que par ce fait incontournable, les croyants homosexuels sont au mieux tolérés dans la plupart des congrégations religieuses au sens large, à condition qu'ils n'affichent pas leur identité sexuelle au point de brusquer la pudibonderie ecclésiastique, qui se fait trop souvent passer pour du respect et de la dévotion envers la divinité. Dans ce contexte, l'histoire d'Aaron et d'Ezri est fortement prédestinée à une fin tragique, puisque les deux hommes ne sont guère prêts à rompre avec une des faces opposées de leur personnalité.
En cela, Tu n'aimeras point repose plus sur une thématique de la culpabilité et du refoulement maladif, propre au cinéma homosexuel des décennies passées, que sur la valorisation assumée, quoique timide, de l'homosexualité dans les oeuvres récentes, parfois plus progressistes. Le frein au bonheur entre les deux amants réside ainsi dans le fait qu'ils aspirent à la fois à une existence en accord avec l'enseignement juif orthodoxe, tel qu'il est pratiqué dans certaines souches de la société israélienne, et à l'affirmation de leur union charnelle. Ce sont moins les pressions extérieures qui rendent impossible cette dualité de styles de vie, que la résignation au niveau individuel à leur incompatibilité infranchissable.
Pour le premier film d'un réalisateur issu du montage, Tu n'aimeras point est étonnamment travaillé du côté visuel. Bien entendu sans reproche notable du côté de l'enchaînement des séquences et d'autres effets de narration, le film explore surtout à travers une composition des plans réussie le mutisme et la gêne qui pèsent sur la passion homosexuelle dans un cadre aussi étroit et codifié que la communauté juive-orthodoxe de Jérusalem, une ville elle aussi déchirée par des conflits intestins.

Vu le 19 août 2009, au Club Marbeuf, en VO

Note de Tootpadu: