Bobby

Bobby
Titre original:Bobby
Réalisateur:Emilio Estevez
Sortie:Cinéma
Durée:120 minutes
Date:24 janvier 2007
Note:
Le 4 juin 1968, l'hôtel Ambassador de Los Angeles va être le théâtre d'un événement tristement célèbre. Alors que les primaires démocrates ont lieu en Californie, l'équipe de l'hôtel s'apprête à accueillir le probable gagnant et possible futur président Robert Kennedy. De l'ancien portier au responsable des restaurants, en passant par le directeur qui entretient une relation avec une standardiste, une infidélité qu'ignore encore sa femme, la gérante du salon de coiffure, tous attendent avec anticipation ce moment historique de la victoire de Kennedy. Les invités contribuent également à l'euphorie du moment, que ce soit l'équipe du sénateur qui a établi son QG à l'hôtel, la chanteuse alcoolique Virginia Fallon qui est censée l'annoncer, ou bien un couple aisé qui compte raviver sa relation avec un deuxième voyage de noces après dix ans de mariage.

Critique de Tootpadu

L'Amérique et ses grands martyrs. Il doit émaner une aura irrésistiblement fascinante de ces hommes politiques assassinés en série au cours des années 1960, pour que le cinéma américain ne se lasse pas de revenir sur leurs destins tragiques. Ce rêve américain d'un avenir meilleur a été en quelque sorte trahi par ces porteurs d'espoir, des fils fiers de leur patrie, disparus trop tôt et d'une façon trop violente, et par définition traumatisante, qu'ils s'appellent John F. Kennedy, Malcolm X, Martin Luther King ou bien Robert Kennedy. Après Oliver Stone et Spike Lee, et sans qu'un cinéaste n'ose s'attaquer à l'histoire du docteur vénéré jusqu'à ce jour pour sa bataille pour l'entente entre les races, voici donc Emilio Estevez dont le film ne cherche nullement à polémiquer, mais plutôt à évoquer l'état d'esprit optimiste qui a reçu un coup d'arrêt brutal ce sombre soir, il y a bientôt quarante ans.
La responsabilité historique tient visiblement à coeur Estevez, qui ouvre son film sur un long montage axé sur le parcours de Kennedy, une introduction hagiographique qui est censée donner le ton pour l'anticipation qui fait vibrer cette journée mémorable. Le réalisateur aura encore recours deux ou trois fois à cet appui sur des documents d'archives, à peu près chaque fois que son discours s'enlise dans la banalité la plus totale. Car le large ensemble de personnages qui gravite autour du héros invisible n'a qu'un rapport secondaire avec l'homme politique et le mythe historique. Ce détachement du scénario, qui aboutit à une fadeur générale, ne trouve ainsi rien de mieux à faire aux rares personnages en rapport étroit avec le candidat à l'élection présidentielle qu'à prendre leur pied grâce à leur premier trip sous acide. La fuite en avant, vers des thèmes porteurs, représentatifs de la fin des années 1960, que l'on pourrait aussi aisément appeler des clichés, se généralise d'ailleurs au fur et à mesure que le récit progresse. Si progression il y a. Car les situations hautement conventionnelles auxquelles les différents couples sont confrontés pendant le film, trouvent un paroxysme artificiel au moment de l'attentat. Ce qui n'implique nullement que la gravité pompeuse avec laquelle chaque relation reflète un trait tortueux de la vie humaine (l'infidélité, le vieillissement, la peur, la dépendance, ... ) se justifie en fin de compte par le biais de l'événement cathartique que chacun doit affronter à sa façon.
La nature indécise du scénario, entre la banalité molle et le sérieux significatif, est encore exacerbé par une mise en scène clairement dépassé par son sujet et l'ampleur de son projet. Difficile de dire pour qui Emilio Estevez se prend exactement, pour Oliver Stone, le maître du thriller politique parano (JFK), ou Robert Altman, tellement Bobby ressemble à un Nashville fantoche. Toujours est-il que sa réalisation manque d'à peu près tout ce qui pourrait rendre cette veille d'un drame national intense, visuellement intéressante ou tout simplement divertissante. Le désarroi formel n'est pas toujours aussi pénible que lors de la séquence dans la cuisine pendant le déjeuner des cuisiniers, affreusement mal montée et dirigée, mais le style d'Estevez souffre d'une absence d'ampleur et de densité désespérante.
Et pourtant, dans ce récit sans doute bien intentionné, quelques points positifs se démarquent de la surface lisse. Comme environ la moitié des interprétations, qui fait au moins preuve de dignité (Sharon Stone, Demi Moore et Helen Hunt qui n'ont pas peur d'afficher leur âge) ou d'une solidité appréciable (William H. Macy et Martin Sheen). Et la vacuité de la jeune garde, Ashton Kutcher et Christian Slater en tête, est quelque peu rattrapé par le jeu très honnête de Freddy Rodriguez, qui nous présente ici son quatrième second rôle impressionnant en moins d'un an (Poseidon, La Jeune fille de l'eau et Bad Times)!

Vu le 14 novembre 2006, au Club de l'Etoile, en VO

Note de Tootpadu: