Titre original: | States of grace |
Réalisateur: | Destin Daniel Cretton |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 97 minutes |
Date: | 23 avril 2014 |
Note: |
Grace travaille comme surveillante dans un foyer d’accueil pour adolescents en difficulté, le Short Term 12. Elle est passionnée par son travail, qu’elle exerce depuis trois ans aux côtés de son ami Mason. L’arrivée d’une nouvelle pensionnaire, Jayden une fille douée mais rebelle, et le départ imminent d’un ancien, Marcus qui va fêter ses 18 ans, confrontent Grace aux mauvais souvenirs de sa propre enfance. Elle devra apprendre à s’ouvrir aux autres si, en tant que future mère, elle ne souhaite pas répéter les horribles erreurs de ses parents.
Il y a comme une étrange impression de déjà-vu qui nous a envahis à la vision de ce drame social poignant. Un souvenir très proche dans le temps, puisqu’il s’agit de Sunlight Jr., découvert pas plus tard que hier au festival de Deauville. Par un heureux hasard d’emploi du temps, nous suivons la progression d’une courbe montante entre le film de Laurie Collyer et celui de Destin Daniel Cretton. Car à l’histoire semblable dans ses grandes lignes ne correspond heureusement pas un traitement interchangeable de la misère affective américaine. Soyons fous et allons un peu plus loin : presque tout ce qui est raté et affreusement misérabiliste dans le premier film brille dans le deuxième par une assurance de ton qu’il est rare de rencontrer aux débuts de la carrière d’un réalisateur. La mise en scène de Short Term 12 se distingue en effet par une fermeté dans le maniement des sentiments, qui sait admirablement alterner entre le rire et les larmes.
Il n’y a pas de quoi se réjouir à première vue du sort des adolescents physiquement et mentalement abusés, qui peuplent les locaux fonctionnels du foyer. Seul le dévouement de leurs surveillants, Grace et Mason en tête, leur insuffle une lueur d’espoir que leur avenir ne sera pas une longue série de galères avant un suicide certain, rapide ou à petit feu. La détresse psychologique de ces filles et garçons qui ont déjà vécu à leur corps défendant trop de misère pour leur jeune âge devient vite palpable, par le biais d’une mise en place narrative plutôt astucieuse. Les séquences les plus tristes se trouvent d’ailleurs au début du film, comme ce rap de haine de Marcus qui confie à son éducateur de façon détournée et en quelques paroles percutantes son dépit inconsolable et effroyable de la vie. Cette plongée désespérante dans un havre de paix extérieure, alors que la conscience des jeunes souffre le martyr, est supplantée au fur et à mesure que nous nous familiarisons avec les personnages par le parcours personnel de Grace.
C’est une maîtresse infaillible qui cache pourtant au plus profond d’elle-même ses propres traumatismes d’une enfance désastreuse. Sa faculté attachante de parler avec les épaves trop précoces qui lui sont confiées et de se faire entendre parmi elles prend donc logiquement son origine dans la compréhension intime de leur calvaire. L’interprétation exceptionnelle de Brie Larson confère à son personnage à fleur de peau un degré de frustration que l’on perçoit avec d’autant plus de regrets douloureux que Grace aurait absolument tout pour mener une existence comblée. Curieusement, la tension est gérée avec moins d’efficacité pendant cette deuxième moitié du film, comme si le réalisateur voulait se reposer prématurément sur les lauriers d’une exposition exemplaire. Du coup et au vu de l’excellent bouche-à-oreille qui le précède, ce film nous a légèrement laissé sur notre faim, tout en effaçant avec panache l’arrière-goût désagréable qu’avait provoqué chez nous sa vilaine belle-sœur citée plus haut.
Vu le 4 septembre 2013, au Casino, Deauville, en VO
Note de Tootpadu:
Des gens comme Grace et Mason, les deux principaux personnages de States of Grace, ne peuvent que forcer le respect : travailler dans un foyer pour adolescents en difficulté doit nécessiter courage, dévotion et maîtrise de soi. Mais comment aider au mieux ces jeunes alors que l’on est soi-même habité par des angoisses semblables aux leurs ? C’est la question que se pose Destin Cretton à travers son second long-métrage. A l’arrivée de Jayden, une fille maltraitée par son père qui se réfugie peu à peu dans la mutilation, Grace voit ressurgir ses vieux démons. Elle doit alors affronter des problèmes d’ordre personnel, tout en trouvant la force de continuer à s’occuper de ceux qui ont besoin d’elle.
Le réalisateur du film, qui en est également le scénariste, a pu s’appuyer sur sa propre expérience d’éducateur dans un centre similaire à celui de Short Term 12 afin de nous livrer un récit le plus juste possible. En effet, pas question pour lui de noircir le tableau et de sombrer dans le misérabilisme. Se contenter de pointer du doigt la situation de ces adolescents en exposant leur misère affective et sociale aurait sans doute été une démarche trop facile et superficielle. Le travail accompli par Cretton est au contraire bien plus honnête : si l’établissement est le théâtre de scènes très dures et éprouvantes psychologiquement, c’est également un lieu où peut régner bonne humeur et véritable esprit de famille.
De plus, le fait de se concentrer autant sur le personnage de Grace que sur le centre lui-même permet parfois au spectateur de s’en évader, et de ne pas lui infliger un sentiment de claustrophobie en lui donnant l’impression qu’il y est constamment enfermé. Il faut par ailleurs ajouter que la performance d’actrice de Brie Larson, qui incarne cette figure dotée à la fois d’une force admirable et d’une fragilité touchante, est extraordinaire.
Les moments les plus poignants de States of Grace sont sans doute les deux scènes dans lesquelles des jeunes tentent de se confier à leur manière aux éducateurs. Le jeune Marcus dévoile à Mason son triste vécu à travers un rap empli de rage, tandis que Jayden passe par le biais d’un conte pour enfant dérangeant afin de faire comprendre à Grace qu’elle est maltraitée par son père. L’utilisation du gros plan lors de ces séquences accentue leur caractère intime, et on ne peut que rester bouche bée face à tant d’intensité.
Pour épargner au film un climat trop dramatique, une bonne dose d’humour est apportée par le personnage de Nate, le nouvel éducateur multipliant les maladresses interprété par Rami Malek. On pourrait par contre trouver dommage que celui-ci n’évolue pas réellement au cours de l’histoire, qui aurait alors pu prendre l’allure d’un parcours initiatique pour lui. Au contraire, il se cantonne plutôt à son rôle comique et manque de profondeur.
Quant à la fin du film, elle reflète parfaitement un état d’esprit partagé entre optimisme et prise de conscience de la réalité. En un sens, elle constitue un message d’espoir ; mais la nature cyclique du récit, avec cette dernière scène qui renvoie à la première, nous rappelle également que certaines choses ne peuvent changer.
Vu le 27 Mars 2014, au Forum des Images, en VO.
Note de Noodles:
De tous les films vus en compétition officielle, Short Term 12 de Destin Cretton est sans aucun doute et de très loin mon préféré. Même si ce film en compétition officielle dans le cadre du 39ème festival du cinéma américain de Deauville est reparti sans aucun prix, il aura remporté pas moins de 3 Prix du Public dans les festivals auxquels il a participé en 2013 : le SXSW Film Festival, le Los Angeles Film Festival et le Maui Film Festival. Il a également décroché au SXSW Film Festival le Grand Jury Award. De très loin, ce film aurait mérité de rafler le Grand Prix. Le jury a sûrement dû plébiscité un film inconnu tel Night moves pour aider à le lancer..
Destin Cretton avant d’être un réalisateur et scénariste de long métrage fut d’abord éducateur dans un centre de jeunes en difficultés. De cette expérience, il en a tiré un court métrage en 2008 et trouvant matière suffisante pour écrire un long métrage, il put développer cette histoire et en faire un des meilleurs premiers films vus depuis longtemps. Le festival du cinéma américain de Deauville m’a permis ainsi de découvrir non seulement l’excellent réalisateur Fredrik Bond (interview) mais également Destin Cretton. Ces deux réalisateurs possèdent leur propre langage cinématographique et surtout la même volonté de faire de bons films. Pour ce faire, ils s’appuient sur non seulement un scénario parfaitement maîtrisé mais surtout sur une brillante direction d’acteurs.
Rares sont les films m’ayant touché par leur grande sincérité et par des personnages ayant connus l’enfer. Brie Larson (Scott Pilgrim, Rampart, Don Jon) donne réellement de l’épaisseur à son personnage à la tête d’un centre pour adolescents en difficulté. Son personnage accueille ainsi chaque année de nouveaux formateurs et des pensionnaires.Il fut victime dans le passé de mauvais traitementsde la part de son monstrueux père. Loin de chercher à émouvoir le spectateur, ce film dresse magnifiquement le portrait d’une génération désabusée et pourtant capable de se battre pour aider son prochain. La prestation de Brie Larson dans Short term 12 est une des plus impressionnantes que j’ai pu voir depuis celle de Natalie Portman dans Black Swan. Le fait qu’elle est remportée aisément le prix Léopard pour la meilleure interprétation féminine dans le cadre du festival international du film de Locarno cette année ne peut que lui prévoir un avenir radieux. Le réalisateur Destin Cretton lui donne à ce jour son meilleur rôle et arrive à nous émouvoir totalement.
Short term 12 est de ce type rare de films qui restent ancrés dans nos mémoires, qui arrivent sans prévenir et nous retournent totalement au point de ne plus détacher notre regard de cet univers de laisser pour compte. Loin de dresser l’état d’un misérabilisme d’une génération abusée, violentée, le réalisateur apporte une forme d’humour parfaitement libératrice et salvatrice. En voyant ce film, nous avons l’impression d’être face à un film générationnel qui fera beaucoup parlé de lui et surtout nous aidera à penser que sur cette terre, les abus envers les mineurs ne touchent pas que les classes défavorisées.
Ce film est donc celui qu’il ne faut en aucun cas rater lors de sa sortie (inconnue bizarrement à ce jour). Notre site ne pourra que défendre une telle œuvre de qualité.
Vu le 3 septembre 2013, au C.I.D., Deauville, en VO
Revu le 27 mars 2014 au Forum des images, en VO dans le cadre du club 300
Note de Mulder: