
Titre original: | Monsieur Schmidt |
Réalisateur: | Alexander Payne |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 125 minutes |
Date: | 05 mars 2003 |
Note: | |
Après une longue et illustre carrière dans les assurances, Warren Schmidt part enfin à la retraite. Un changement de rythme de vie guère au goût de ce sexagénaire, qui ne sait pas trop quoi faire avec tout son temps libre. Par l’intermédiaire d’une association caritative, il devient le bienfaiteur d’un orphelin africain et il cherche en vain à dissuader sa femme Helen d’encourager leur fille unique Jeannie d’épouser prochainement un commercial benêt. Quand son épouse meurt subitement, Warren s’engouffre dans une période de deuil et de laisser-aller, de laquelle il ne sort que grâce au voyage qu’il entreprend à bord de son immense camping-car pour retrouver Jeannie.
Critique de Tootpadu
Le fiel dont le réalisateur Alexander Payne détient le secret – qu’on ne lui envie d’ailleurs pas vraiment – avait déjà fait le tour d’une vie au bout de ses trois premiers films distribués en France. Après le regard plein de jalousie sur une élève à l’ambition disproportionnée dans L’Arriviste et avant le premier larmoiement d’un quarantenaire en pleine crise existentielle dans Sideways, à laquelle suivra sept ans plus tard une réplique tout aussi condescendante avec The Descendants, Monsieur Schmidt se dresse comme une oraison funèbre au ton profondément lugubre. Rien dans le misérable parcours de ce vieillard triste, seul et avare n’incite à l’allégresse divertissante par laquelle des tentatives filmiques plus récentes ont tenté de voir la dernière partie de la vie du bon côté. La complaisance sans ménagement avec laquelle la narration dispense son cynisme risque ainsi parfois de provoquer chez nous un écœurement singulier, face à une telle délectation déprimante autour du déclin d’un homme respectable.
Pourtant, le réalisme émotionnel par lequel Alexander Payne aborde la déchéance de son personnage principal, dépourvu de la moindre qualité paternelle, nous interpelle forcément à travers un processus d’identification personnelle, qui touche simultanément un nerf familial et social. Chez cet homme réservé et têtu, peureux et d’apparence débonnaire, qui est incapable de franchir la barrière qu’il s’est imposée lui-même en guise de protection contre le monde extérieur, nous reconnaissons sans trop de difficultés un schéma de comportement très répandu dans notre famille. A travers les générations, nous avons pu observer, voire vivre intimement, cette bienséance petite-bourgeoise, tout à fait réceptive aux bonnes œuvres et à une superstition primaire, qui était pourtant dans l’incapacité chronique de communiquer d’homme à homme, de père à fils.
Au cœur de ce film volontairement déplaisant se trouve justement la difficulté de Warren Schmidt d’établir un lien sincère, d’égal à égal, avec les hommes et les femmes qu’il croise pendant son périple nostalgique, voire avec ceux et celles qu’il devrait connaître à force de les avoir côtoyés depuis des années, comme sa femme, qu’il traite lui-même de vieille fripouille étrangère, ou sa fille, dont il n’a gardé que le souvenir d’une gamine adorable. Qu’il ne se confie réellement qu’à son filleul lointain, nous l’interprétons moins comme un éclair de génie scénaristique, qui permet l’intégration à peu près organique de la voix off, mais davantage comme un précurseur de ce phénomène moderne d’une identité virtuelle, infiniment moins discrète que la pudeur et le respect des règles de la vie réelle nous l’imposent.
Jack Nicholson livre sa dernière grande interprétation de vieillesse dans ce rôle d’un homme abject à force d’être médiocre. Il ne surjoue à aucun moment les appels au secours maladroits d’un homme, qui a oublié de vivre à force de se conformer à l’idéal d’un père de famille et d’un employé modèles. La démarche éthique toujours aussi cinglante de Alexander Payne ne lui rend pas la tâche plus facile, mais il réussit à brillamment souligner la tragédie humaine, qui se déroule dans le for intérieur de son personnage presque catatonique.
Revu le 23 mars 2012, au Quartier Latin, Salle 1, en VO
Note de Tootpadu: