Titre original: | 38 témoins |
Réalisateur: | Lucas Belvaux |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 104 minutes |
Date: | 14 mars 2012 |
Note: | |
Une jeune femme a été sauvagement assassinée à coups de couteau, en pleine nuit dans une rue du Havre. Tous les riverains affirment avoir dormi profondément jusqu’au réveil par les sirènes de police. Habitant un appartement qui donne directement sur le lieu du crime, Louise était absente le jour du drame. Au lendemain de cet événement tragique, de retour d’un voyage d’affaires en Chine, elle trouve son fiancé, le pilote de bateaux Pierre, étrangement calme. Ce qui interpelle surtout Louise, c’est sa réticence à collaborer avec la police et une journaliste locale, venue dans le quartier afin d’enquêter sur l’impact du meurtre sur la vie quotidienne dans cette rue sous le choc.
Critique de Tootpadu
Lucas Belvaux est peut-être l’ultime grand moralisateur du cinéma français. Il est en tout cas le seul à qui l’on ne voudra pas de mettre le doigt là où ça fait mal, socialement parlant. On ne lui en tient pas rigueur de remuer le couteau dans la plaie de notre faiblesse d’homme égoïste dans une civilisation basée sur un idéalisme altruiste, parce qu’il le fait avec une délicatesse et une finesse qui débouchent invariablement sur de la gravité. Tandis que le cinéma hollywoodien a tendance à vouloir sauver in extremis la mise en termes d’une morale édifiante et rassurante, comme ce fut le cas dans d’autres affaires d’un héros solitaire contre la foule lâche – citons juste Un homme est passé de John Sturges et 12 hommes en colère de Sidney Lumet en tant qu’exemples brillants de cette tradition de l’accusation –, les dilemmes existentiels auxquels nous confronte Lucas Belvaux ne se referment sur aucune réponse toute faite.
La prémisse de 38 témoins n’est pas vraiment un cas d’école, si l’on veut la tester sur son degré d’originalité : une femme s’est fait massacrer en pleine rue, tout le monde l’a vu, personne n’est intervenu. C’est davantage du côté de l’agencement de l’intrigue, de son déroulement imperturbable vers cette séquence finale qui glace le sang grâce à son retour inopiné au cœur de l’affaire, que la mise en scène brille sans jamais attirer l’attention sur elle. Si la quête de l’assassin peut encore intéresser au début, notamment à cause de cette appréhension d’une culpabilité chez Pierre que le visage torturé d’Yvan Attal exprime magnifiquement, elle passe rapidement à l’arrière-plan au profit d’un autre mystère, celui de la réaction étrange des personnes interrogées par la police sur les détails de la nuit fatidique. Leur comportement peut d’abord paraître ordinaire, à la fois dans le deuil collectif qui se manifeste par le biais d’une chapelle ardente improvisée sur le trottoir, et dans leurs réponses vagues et évasives à travers lesquelles elles se rétractent derrière une autre forme de respectabilité, celle de l’employé modèle qui dort la nuit pour être en forme le lendemain à son travail.
Le récit ne montre à aucun moment que cette réaction commune serait une action concertée, qu’elle serait adoptée consciemment et en réunion par chacun des trente-sept habitants pour faire ensemble front contre une vérité qui dérange. Ce qu’ils ont fait, ou plutôt ce qu’ils ont omis de faire, n’est ainsi point le résultat d’une décision prise en groupe, mais la manifestation minable de l’absence d’un sursaut de courage au niveau individuel. On est en effet bien seul dans ce film. Que ce soit Louise qui ne veut pas comprendre, par naïveté, par intérêt, voire par amour, l’énormité de la faiblesse de son amant, jusqu’à ce que la reconstitution la mette face à l’évidence, la journaliste jouée comme à son habitude par une Nicole Garcia en état de grâce, qui pense avoir réponse à tout, mais qui devra vivre avec la responsabilité d’avoir été l’élément déclencheur de cette prise de conscience douloureuse, le commissaire qui devient à son tour un indicateur pour le compte de la presse et qui devra craindre les retombées professionnelles d’une enquête interne afin de débusquer le mouchard dans son unité, un personnage aussi anodin que la voisine de palier dont la crise hystérique démontre parfaitement toute l’étendue émotionnelle de sa honte, et bien sûr Pierre, un homme exempt de la moindre ambition héroïque, qui sort du rang sans savoir où la reconnaissance de sa faillite morale le menera, ils sont tous désemparés face à une situation faussement ambiguë qui a mis sens dessus-dessous leur existence banale. Et on se sent aussi bien seul dans ce film, parce que Lucas Belvaux ne nous jette aucune bouée de sauvetage en guise de repère, pour que nous puissions nous dresser en juge passif sur ce fait divers tout droit sorti de la vie courante.
Toute la noblesse de ce très beau film réside dans son refus catégorique d’appliquer les vieux schémas manichéens, qui récompensent les forts et punissent les faibles. Or, personne n’a la carrure ici de s’élever réellement au dessus du marasme moral que représente l’acte aussi lourd de conséquences – et pourtant presque automatique – de regarder de l’autre côté quand notre prochain est en danger.
Vu le 16 mars 2012, à l’UGC Ciné Cité Les Halles, Salle 22
Note de Tootpadu: