
Titre original: | J. Edgar |
Réalisateur: | Clint Eastwood |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 137 minutes |
Date: | 11 janvier 2012 |
Note: | |
A la fin des années 1960, J. Edgar Hoover, le patron vieillissant du FBI, s’apprête à dicter ses mémoires à un agent de son bureau, afin de donner sa version des affaires qui ont ponctué sa carrière. Ayant participé à la création de l’agence fédérale cinquante ans plus tôt, Hoover avait su tirer profit des secrets des hommes politiques et de l’émoi collectif suite à l’enlèvement du bébé de Charles Lindbergh pour asseoir son pouvoir à la tête d’une institution légale qui se battait pendant des décennies contre sa plus grande crainte personnelle : l’invasion bolchevique. Sa vie privée et sa relation étroite avec son assistant Clyde Tolson ont toujours dû se soumettre à l’ambition dévorante de cet homme le plus puissant des Etats-Unis du siècle dernier.
Critique de Tootpadu
Clint Eastwood a bâti une bonne partie de sa réputation de réalisateur iconoclaste et plus sensible aux failles de la culture américaine que la plupart de ses confrères hollywoodiens sur sa capacité d’interroger, voire de décortiquer, les mythes qui constituent le capital imaginaire du paysage cinématographique au sein duquel il évolue depuis plus de quarante ans. Lui-même à l’origine de quelques unes de ces figures légendaires, comme l’inspecteur Harry ou les justiciers solitaires de l’Ouest, il s’est employé dès le début de sa carrière derrière la caméra à démystifier cette propension du cinéma américain à idolâtrer ses héros, aboutissant au chef-d’œuvre des westerns crépusculaires qu’est sans l’ombre d’un doute Impitoyable. Or, ces dernières années, cette acuité du regard s’est peu ou prou estompée. Alors que l’on pourrait encore éventuellement interpréter Gran Torino comme un film de vieillesse qui réduit le bon d’antan à sa juste mesure de réactionnaire ronchon, à peine capable de livrer une ultime bataille suicidaire, la filmographie de Clint Eastwood a entamé une nouvelle page – que nous soupçonnons être la dernière, vu l’âge avancé de l’octogénaire – avec Invictus ou le chant de cygne ennuyeusement solennel sur un personnage historique si emblématique qu’il n’avait guère besoin d’une auréole filmique supplémentaire.
J. Edgar s’inscrit dans cette même démarche, qui vise à tailler sur mesure une hagiographie fictive à un homme dont les caractéristiques s’avèrent bien trop ambigus pour pareille création d’un protagoniste dépeint sous un jour favorable. Même pour les historiens les plus révisionnistes, J. Edgar Hoover était tout sauf un saint. De ce fait établi et admis, la mise en scène de Clint Eastwood et le scénario de Dustin Lance Black ne retiennent que la soif de pouvoir et de contrôle d’un homme aux multiples démons, qui le hantent au point d’en faire la victime d’une homophobie profondément intériorisée et d’une attitude défensive jamais mise à l’épreuve d’une interrogation sérieuse des motivations néfastes de cette fouine suspecte. Là où deux ou trois minutes avaient suffi à Bob Hoskins pour camper un Hoover inquiétant et pas très net dans Nixon de Oliver Stone, Leonardo DiCaprio en éternel jeune premier, à peine démenti par un maquillage omniprésent, se démène vaillamment pendant plus de deux heures sans savoir percer à jour les nombreuses contradictions qui devraient a priori rendre son personnage hautement fascinant. Son J. Edgar est en quelque sorte la réverbération tout juste pervertie des rôles emblématiques et héroïques qui ont marqué le début de sa carrière, notamment Titanic de James Cameron, tandis que tout le côté sombre et tourmenté qu’il avait acquis grâce à sa collaboration avec Martin Scorsese paraît être tombé dans l’oubli. Au mieux, son interprétation pourrait être mise en parallèle avec celle dans Aviator, au détail près que l’optimisme et le goût de l’aventure de Howard Hughes convenaient infiniment mieux au visage de poupin de l’acteur que la paranoïa forcenée de J. Edgar Hoover.
Bien que cette interprétation laborieuse et le maquillage excessif soient les faiblesses principales de J. Edgar, il nous est difficile d’adhérer aux autres aspects d’un film fort inégal. La structure alambiquée du scénario permet certes de regrouper à peu près organiquement les différentes étapes d’une vie, mais elle rend en même temps toute dynamique dramatique impossible. Le va-et-vient entre le passé lointain et un semblant de présent, rythmé par le défilement des agents censé assister le personnage principal dans la transcription de ses mémoires, dont la beauté physique en dit plus long sur l’attirance larvée de Hoover pour les hommes que sa relation malsaine et curieusement platonique avec Clyde Tolson, ce morcellement narratif donc, orchestré presque sobrement par Clint Eastwood, reste fadement à la surface d’une existence imprégnée de mensonges et d’un agenda politique mégalomane. De très rares jaillissement d’un désordre formel, qui s’apparenteraient presque à un débordement vers une lecture plus globale du contexte historique, nous font alors regretter que ce destin hélas emblématique pour l’état d’esprit tordu et protectionniste des Etats-Unis des années 1950 et ’60 n’ait pas été traité par un réalisateur plus téméraire que le vieux maître Clint, bien trop sage et frileux sur ses vieux jours pour nous enthousiasmer encore.
Vu le 3 janvier 2012, à la Salle Warner, en VO
Note de Tootpadu: