Invictus

Invictus
Titre original:Invictus
Réalisateur:Clint Eastwood
Sortie:Cinéma
Durée:134 minutes
Date:13 janvier 2010
Note:
Libéré de prison en 1990 et le premier homme noir élu président de son pays quatre ans plus tard, Nelson Mandela sent bien que l'Afrique du Sud a besoin d'un symbole fédérateur pour amorcer réellement la réconciliation entre citoyens blancs et noirs, qu'il prône depuis longtemps. A l'approche de la coupe du monde de rugby en 1995, dont l'Afrique du Sud est le pays hôte en dépit des exploits sportifs pitoyables de l'équipe nationale, Mandela convoque le capitaine des Springboks François Pienaar, afin de lui faire comprendre à quel point il compte sur lui pour inspirer le peuple divisé et l'unifier dans l'élan d'une victoire improbable.

Critique de Tootpadu

Nelson Mandela est un homme plus grand que nature. Tel un saint des temps modernes, ce prisonnier le plus célèbre de la planète devenu président de son propre pays est une source d'inspiration et de réconfort incomparable, même de nos jours lorsque l'âge avancé et la santé fragile l'obligent à se tenir à l'écart de la vie publique. Avant même qu'il nous ait quittés, cet homme dégage une aura intemporelle de dignité et d'honneur, qui transcende sa fonction et la mauvaise réputation qui colle à cette dernière par la faute de ses confrères véreux et égocentriques. Par sa vision d'un pays paisible et exemplaire sur le continent africain, née d'une vie qui lui avait fait subir les pires injustices du régime de l'apartheid, Nelson Mandela a su saisir l'opportunité de devenir l'homme d'état parfait : un père de la nation bienveillant, dont les imperfections trop humaines sont largement supplantées par sa carrure d'un meneur d'hommes d'exception. Aussi incroyable que cela puisse paraître, le réalisateur américain Clint Eastwood est arrivé à traduire cette noblesse de l'âme du président sud-africain en termes cinématographiques.
Avec la sobriété qu'on lui connaît, Eastwood crée à travers Invictus au moins partiellement un film d'une force édifiante bouleversante. Sans gommer complètement les aspects moins réussis de la vie de Mandela, comme sa famille plus rancunière qu'en admiration devant cet homme qu'elle connaît intimement, le scénario et la mise en scène élèvent assez subtilement leur protagoniste au stade d'un esprit précurseur à qui tout réussit. Le passé douloureux de Mandela n'est évoqué qu'au détour d'une excursion touristique, comme pour mieux indiquer que la haine et les privations appartiennent au musée et qu'elles ne devraient pas être le fondement d'une nation qui se réinventait chaque jour à cette époque-là. L'action du nouveau président se fait au présent. Son optimisme et sa clairvoyance ne prétendent pas oublier les horreurs du règne des blancs. Mais ils ne perdent pas non plus de vue l'obligation délicate de trouver un moyen pour vivre désormais paisiblement ensemble. Le Nelson Mandela de ce film, qui lorgne en bien vers l'hagiographie, est un rappel ferme et inspirant en faveur du dépassement de soi et - bien que cette idée déplaise au pessimiste cynique qui sommeille en nous - de l'amélioration de ce monde par de petits pas. Que ce message sonne aussi juste et qu'il nous touche autant est avant tout une preuve puissante de l'interprétation magistrale de Morgan Freeman, qui semblait prédestiné depuis des lustres à endosser ce rôle emblématique.
Malheureusement, Invictus ne peut pas se résumer à une victoire morale, remportée en toute modestie. Le côté sportif de l'intrigue, qui occupe la majeure partie de la deuxième moitié du film, se présente déjà sous des traits sensiblement plus convenus. La pureté des sentiments célébrés avec une telle élégance pendant les premières étapes du plan de Mandela se transforme progressivement en une machine manipulatrice peu recommandable. Tandis que la visite de l'équipe nationale auprès des jeunes dans les townships fonctionne encore raisonnablement comme symbole de l'ouverture des frontières raciales, tout ce qui suit passe en toute vitesse et fort superficiellement sur la montée des Springboks jusqu'à la finale décisive. Et même cette dernière, peut-être à cause du caractère peu engageant du sport pratiqué, ne soulève chez nous plus aucune émotion authentique. C'est comme si Clint Eastwood avait dépensé tout son capital de cinéaste sensible et sobre pendant la mise en place minutieuse et touchante, afin de pouvoir se permettre dès lors de recourir à des moyens narratifs grossiers et guère à la hauteur d'un tel événement. A moins qu'il n'ait abandonné complètement le fauteuil de réalisateur pendant la dernière heure du film, afin d'assister en tant que figurant dans le stade au match historique.
Enfin, le bilan hautement inégal du film risquerait de pencher du côté défavorable, si nous ne critiquions que le fond musical d'Invictus. Le contraste criant entre les quelques notes jouées au piano, qui font désormais partie intégrante du fond de commerce formel de Clint Eastwood, au point de devenir caricaturales, et quelques chansons sirupeuses, avec l'hymne national comme seul terrain vaguement neutre, constitue le seul point entièrement raté de ce film, qui a réussi à élever notre âme, avant de l'enrouler dans de la guimauve indigeste.

Vu le 7 janvier 2010, à la Salle Warner, en VO

Note de Tootpadu: