We need to talk about Kevin

We need to talk about Kevin
Titre original:We need to talk about Kevin
Réalisateur:Lynne Ramsay
Sortie:Cinéma
Durée:112 minutes
Date:28 septembre 2011
Note:
La veille de ses seize ans, Kevin Khatchadourian cause un bain de sang dans son lycée. Abasourdie par cet acte horrible de son fils aîné, sa mère Eva a beaucoup de mal à se reconstruire par la suite et à mener de nouveau une vie qui serait au moins en apparence normale. Elle se souvient alors de l’éducation éprouvante de cet enfant, dont elle n’a jamais réellement voulu, et qui n’a pas raté une occasion pour lui faire sentir cruellement à quel point elle a échoué dans son rôle de mère.

Critique de Tootpadu

Les liens de filiation sont particulièrement mis à l’épreuve en cette rentrée cinématographique. Un mois à peine après le père ignoble dans Tu seras mon fils de Gilles Legrand, nous sommes confrontés dans le troisième film de la réalisatrice écossaise Lynne Ramsay à un diablotin machiavélique, qui sait parfaitement comment pousser sa mère au désespoir. Le malaise est en effet palpable dans cette relation malsaine entre un fils manipulateur et sa mère arrivée à bout du peu d’amour qu’elle avait à donner à sa progéniture. La raison voudrait qu’Eva rejette ce fils indigne, qui sait se montrer d’une amabilité mielleuse avec son père, rien que pour souligner à quel point le dysfonctionnement des rapports avec sa mère est voulu. Les derniers vestiges de l’instinct maternel la poussent cependant à persévérer, jusqu’à s’imposer l’exercice masochiste de rendre visite en prison au meurtrier qui a anéanti son existence.
L’expérience cathartique du massacre perpétué par son fils a achevé la transformation du personnage principal de We need to talk about Kevin en l’ombre d’elle-même. La structure narrative morcelée du film permet tout juste d’apercevoir une Eva jeune et insouciante, avant que l’arrivée du bébé braillant et éternellement insatisfait n’ait rendu sa vie misérable. Ce quotidien rythmé par les frasques d’un enfant très tôt réceptif à un état d’esprit nihiliste devient carrément un mouvement de fuite perpétuel après la tragédie. Cette dernière a même tendance à se perpétuer puisque la mère y est constamment rappelée par les rencontres anodines avec les proches des victimes. Le fait de rester dans cette bourgade où tout le monde se connaît appartient pour Eva au même processus d’expiation du péché originel, quoique dépourvu ici du moindre espoir de salut, que le maintien du lien avec Kevin, qui n’a rien changé dans son attitude dédaigneuse.
Toute l’intrigue du film, contée depuis le point de vue subjectif de la mère, vise à montrer que l’explosion de la violence dans le gymnase du lycée n’est que la conclusion logique d’une enfance malheureuse. Or, ce fatalisme s’appuie à notre goût un peu trop sur une répartition manichéenne des responsabilités. A de très rares exceptions près, Kevin est pire qu’une teigne dans sa mauvaise foi systématique à l’égard d’une mère certes dépassée par son rôle au sein d’une famille à problèmes, mais pas non plus désemparée au point d’abandonner toute tentative de rapprochement, aussi impuissante soit-elle. Et même ces retournements passagers vers une affection sincère sont vite relativisés par le retour à un statu quo insupportable. Néanmoins – et c’est sans doute là le parti pris moral le plus discutable du film –, Eva subit de son plein gré les conséquences des actes d’un fils qui n’a jamais rien fait pour elle. La tâche fastidieuse d’enlever la peinture écarlate de sa maison délabrée la plonge dans une prise de conscience aussi symbolique que les autres instances de couleurs rouges auxquelles la mise en scène trop prétentieuse fait appel.
Pour conférer une forme filmique au mal-être viscéral et indélébile de son personnage principal, Lynne Ramsay a en effet choisi une voie à l’accent artistique trop prononcé. Les véritables motivations de cette mère froide et de son fils à la fois cynique et pervers sont par conséquent obligées de se manifester tant soit peu à travers le jeu de Tilda Swinton et d’Ezra Miller. Tandis que la première persévère dans le registre des femmes énigmatiques, le deuxième montre un côté inquiétant, voire menaçant, qui confirme notre opinion positive de ce jeune acteur plus que prometteur. Dommage alors que toute cette bestialité soit soumise à un ton faussement narcissique, qui préfère voir Eva se morfondre dans un calvaire existentiel qu’elle s’est imposée à elle-même, au lieu de commencer à chercher ne serait-ce que le début d’une réponse raisonnable à ce malaise inextricable entre une mère et son fils.

Vu le 24 août 2011, au Club de l'Etoile, en VO

Note de Tootpadu: