De bon matin

De bon matin
Titre original:De bon matin
Réalisateur:Jean-Marc Moutout
Sortie:Cinéma
Durée:93 minutes
Date:05 octobre 2011
Note:
Lundi matin, Paul Wertret, le chargé d’affaires d’une banque d’investissement, se rend sur son lieu de travail et y assassine son supérieur Alain Fisher et l’assistant de celui-ci Fabrice Van Listeich. Alors qu’il attend l’arrivée des forces de l’ordre, Wertret se retire dans son bureau et se rappelle les mois qui ont précédé cet acte de désespoir.

Critique de Tootpadu

« Le travail rend libre », c’est ce que les Allemands nazis écrivaient avec un cynisme difficile à dépasser sur le portail de leurs camps d’extermination. Nous sommes heureusement loin de cette époque barbare, mais ce n’est pas pour autant que l’exercice d’une profession quelconque remplit forcément l’employé d’un sentiment de satisfaction au bout d’une journée éprouvante au bureau. Le réalisateur Jean-Marc Moutout n’est pas le seul à dénoncer ce malaise qui est existentiel parce que nous passons généralement plus d’heures sur notre lieu de travail qu’ailleurs. Certains documentaires instructifs comme J’ai très mal au travail de Jean-Michel Carré ont osé se pencher sur ce tabou social en ces temps d’un chômage structurel persistant. Le sujet paraît toutefois lui tenir à cœur, puisqu’il y revient pour une deuxième fois, après son premier film Violence des échanges en milieu tempéré, qui s’intéressait déjà de près aux dérives inhumaines de notre modèle économique.
Cette fois-ci, c’est plus l’usure qui est en cause, ainsi que l’impression d’une profonde impuissance de la part du personnage principal de redresser la barre, afin de retrouver l’équilibre d’une vie banale. La structure du récit, qui s’engage dans un retour en arrière mental sans ordre linéaire apparent, ne sert ainsi ni à justifier les assassinats, ni à nous préparer à l’issue tragique, quoique prévisible, de cette affaire. Elle participe plutôt à la reconstitution consciencieuse des différentes étapes qui ont conduit Paul dans cette impasse à la noirceur désespérante. Un tel acte ne surgit pas du jour au lendemain. Il est le résultat d’une dégringolade peut-être imperceptible, mais certaine, vers un état dépressif dont le patient ne pense pas pouvoir s’extraire à travers les moyens légaux mis à sa disposition. Car les antécédents de ce banquier autrefois exemplaire, qui a simplement perdu pied dans le milieu toujours changeant des finances, montrent très bien qu’il a appliqué tous les réflexes habituels pour se sortir de ce marasme étouffant. Le dialogue avec ses collègues, la sollicitation de ses supérieurs à travers une note de service, le conseil de son ancien patron, la recherche d’un autre travail, voire la consultation d’un psy : il a vraiment épuisé tous les recours à sa portée pour régler ce problème récurrent.
Rien à faire, cet envie de pleurer constamment et de retrouver l’homme qu’il aurait voulu être ne peut désormais se concrétiser pour Paul que par le biais d’un acte mûrement réfléchi et préparé, qui est pourtant dépourvu de toute logique. La posture de la mise en scène face à ce drame individuel – et en même temps symptomatique d’un état de fatigue et de routine qui s’installe tôt ou tard dans la plupart des relations professionnelles – n’est pas celle du juge et pas non plus celle d’un observateur distant. Le talent de Jean-Marc Moutout consiste à nous faire entrer en quelque sorte dans la tête de Paul, à nous faire éprouver sa panique sourde face à des circonstances qu’il ne peut ou qu’il ne veut plus comprendre. De bon matin ne cherche point à enjoliver le destin d’un homme condamné d’avance, ne serait-ce qu’en termes dramatiques, ni d’ériger son parcours en exemple pour toute une génération de quinquagénaires désabusés qui attendent désespérément la retraite anticipée. A l’image de l’interprétation magnifique et sans la moindre complaisance de Jean-Pierre Darroussin, ce film démontre avec une certaine cruauté l’instabilité de la vie et de la condition sociale, qui peuvent basculer d’un instant à l’autre ou bien déraper inextricablement au fil d’une longue période sans lumière au bout du tunnel.

Vu le 17 août 2011, au Club de l'Etoile

Note de Tootpadu: