Agence (L')

Agence (L')
Titre original:Agence (L')
Réalisateur:George Nolfi
Sortie:Cinéma
Durée:106 minutes
Date:23 mars 2011
Note:
Le jeune député David Norris fait par hasard la rencontre de la danseuse Elise le soir d’une défaite électorale cuisante. Il la perd de vue, mais elle l’inspire suffisamment pour qu’il donne un discours qui ne l’écarte pas complètement de l’arène politique. Trois ans plus tard, il recroise Elise dans le bus. Cette fois-ci, David est déterminé à ne pas laisser filer cette femme qui n’a pas quitté ses pensées depuis qu’il l’a vue pour la première fois. Or, les agents d’un bureau de surveillance mystérieux l’empêchent de suivre son cœur, à cause du plan plus ambitieux que leur patron aurait préparé pour ce futur porteur d’espoir.

Critique de Tootpadu

Le cinéma américain aime bien s’identifier à l’idée fantastique que nous ne sommes pas les maîtres de notre destin, mais qu’une entité omniprésente et toute-puissante nous guide à travers ce monde que nous percevons comme réel, alors qu’il n’est que la déclinaison d’un plan élaboré sans notre contribution. Les exemples les plus récents et les plus réussis de cette reddition fictive aux pouvoirs au dessus de nous sont évidemment Truman show de Peter Weir et Matrix des frères Wachowski. Puisque la conscience collective des Américains bascule constamment entre la paranoïa et la défense d’une liberté aussi emblématique qu’abstraite, cet univers trop beau pour être vrai est bien entendu mis en question par un héros, qui se révolte contre la suspension du libre arbitre. Dans cette adaptation d’une nouvelle de Philip K. Dick, la manipulation prend un accent discrètement religieux, ce qui n’enlève rien à l’efficacité de L’Agence.
La narration du premier film du réalisateur George Nolfi progresse en effet comme sur des rails, sans le moindre accroc majeur. Du coup, si l’on voulait à tout prix s’obstiner à trouver une incohérence dans cette mécanique savamment huilée, ce serait sans doute que le scénario paraît si bien travaillé que sa facture contredit en quelque sorte le propos en faveur de l’impulsion et de l’imprévu que cherche à véhiculer le film. Le comble de l’ironie est que rien n’y est vraiment laissé au hasard. Cette assurance inébranlable garantit à la fois un divertissement d’un niveau élevé, tout en démasquant indirectement les limitations des ambitions réellement subversives de ce film de studio, en fin de compte aussi peu étendues que les pouvoirs des anges. De même, le penchant léger mais récurrent vers un ton comique bon enfant, ou en tout cas vers une romance hautement idéalisée, relativise d’emblée l’inquiétude et la matière à penser sérieuse que ce film aurait pu nous inspirer. Car l’intervention des agents est trop réfléchie et surchargée en précautions de toutes sortes, quoique le plus souvent bienveillantes à long terme, pour qu’en émane une menace réelle. La résistance à cette ingérence plutôt bien élevée ne peut par conséquent pas non plus montrer ses crocs, afin d’élever l’intensité du film à un degré supérieur.
Il n’empêche qu’on éprouve un certain plaisir à se faire guider par des matons existentiels aussi séduisants que Anthony Mackie et Anthony Ruivivar. La rencontre initiale entre les deux personnages principaux est en plus mise en scène avec une subtilité et une sensibilité, qui rendent la poursuite de leur aventure crédible, voire inéluctable. Ce qui signifie quand même que George Nolfi a réussi le point essentiel de son film : nous faire croire en le pouvoir illimité de l’amour, peu importe les obstacles surnaturels qui s’opposent à lui.

Vu le 11 avril 2011, à l’UGC Ciné Cité Bercy, Salle 14, en VO

Note de Tootpadu:

Critique de Mulder

Philip K. Dick fut un écrivain qui a donné ses lettres de noblesse aux livres de science-fiction dont Hollywood a extrait de vrais classiques, comme Blade runner et Total recall. L'Agence est une nouvelle fois la preuve que ses écrits sont une source intarissable pour créer des films convaincants, s’ils sont maîtrisés totalement.

Le libre arbitre est la clé de voûte de ce film et sert l'idée qu'il existe une puissance supérieure qui oriente nos choix et fait tout pour que nous n'en dévions pas. Le film laisse donc planer un concept religieux (Dieu, les anges), suivant l'évolution de la race humaine et intervenant si nécessaire. Le personnage principal interprété par Matt Damon voit sa vie de politicien déchu et, en quête de reconnaissance, affronte ces bureaucrates du temps. Plus qu'un simple film de science-fiction, il s'agit plutôt ici de l'histoire d'une rencontre de deux êtres blessés, qui vont pouvoir soigner leurs blessures en étant ensemble. Emily Blunt et Matt Damon forment un couple convaincant à l'écran et leur plaisir de jouer ensemble est palpable.

Réussite certes mineure du cinéma de genre de la science-fiction, on retiendra les excellentes idées parsemées dans le film, comme le concept des portes, le manuel évolutif de notre vie, le concept du libre arbitre, l'idée bureaucratique de Dieu. Nous sommes loin de l'ampleur d'un Blade runner, car le réalisateur n'a ni un scénario parfait à sa disposition, ni l'étoffe d'un Ridley Scott.

Reste le plaisir de retrouver à l'écran l'un des plus talentueux acteurs américains actuels, dont chaque film lui apporte la possibilité de témoigner de l'immensité de son talent. La trilogie Jason Bourne a fait de lui un acteur taillé pour les films d'action, Will Hunting un acteur dramatique concluant, True grit un acteur parfait pour les westerns. Ce film l'impose ainsi pour les films de science-fiction comme un acteur complet.

Seul bémol relatif à ce film : un manque de scènes d'action tel celles vues dans L'œil du mal où le héros doit aussi affronter une puissance supérieure bureaucratique. Cette absence fait que le plaisir de voir un bon film de science-fiction s'efface un peu et nous fait regretter le manque d'épaisseur de celui-ci. Reste que le plaisir de voir enfin un bon film de science-fiction intelligent et portant à méditation est une denrée rare ces temps-ci.

Vu le 22 mars 2011, au Gaumont Disney Village, Salle 3, en VF

Note de Mulder: