127 heures

127 heures
Titre original:127 heures
Réalisateur:Danny Boyle
Sortie:Cinéma
Durée:94 minutes
Date:23 février 2011
Note:
En avril 2003, le jeune alpiniste expérimenté Aron Ralston part en solitaire dans les gorges de l’Utah, sans dire à personne qu’il allait explorer le Blue John Canyon pendant le week-end. Après avoir passé quelques heures avec deux randonneuses croisées par hasard, il fait une chute dans un précipice, qui le laisse avec le bras droit coincé sous un rocher. Toutes ses tentatives pour se libérer par ses propres moyens échouent. Il attend donc, jour après jour, l’arrivée improbable des secours.

Critique de Tootpadu

Pour un film qui ne parle au fond que d’un homme bloqué seul dans un trou pendant une durée considérable, 127 heures commence avec une immersion vertigineuse dans la foule qui submerge nos cités surpeuplées à l’heure de pointe, a priori en contradiction parfaite avec l’isolement qui va suivre. Avant que l’action ne s’immobilise, au moins en apparence, l’histoire s’inscrit en effet dans un contexte social, qui attache une plus grande valeur au divertissement et aux sensations superficielles qu’à l’essence de l’être humain et de sa vie sur terre. Le protagoniste de ce film prenant peut ainsi être considéré comme l’archétype du jeune du nouveau millénaire : indépendant, voire individualiste ; constamment en quête de poussées d’adrénaline, mais incapable d’ouvrir son cœur à ceux qui lui sont le plus cher ; lucide mais tellement abreuvé de second degré, que son sarcasme empêche longtemps toute appréciation sincère de la situation inextricable dans laquelle il se trouve par un concours de circonstances défavorables.
Après avoir sollicité la force du destin d’une manière particulièrement insupportable dans son film précédent – cette bluette à l’eau de rose qui nous a définitivement guéris du culte qu’on vouait aux Oscars –, le réalisateur Danny Boyle sort une fois de plus les gros moyens pour conter une histoire à première vue toute simple. L’écran divisé, les effets de montage, et les points de vue multiples de la caméra, qui va jusqu’à s’installer au fond d’une bouteille d’eau, sont des moyens formels employés en abondance ici, encore alourdis du côté narratif par les hallucinations dont le personnage séquestré tombe victime. Cependant, ce mélange sauvage des dispositifs esthétiques ne vise pas principalement à faire adhérer de force le spectateur à une histoire qui aurait pu être d’un ennui mortel, si elle avait consisté en l’observation objective du désespoir grandissant du prisonnier. Il élargit plutôt le champ de réflexion d’un film, qui est bien plus qu’un hymne édifiant à l’esprit de survie indomptable d’Aron Ralston.
Sous les traits de James Franco, toujours aussi séduisant mais peut-être pour la première fois investi ici d’une vulnérabilité émotionnelle qui met à nu les craintes d’un homme condamné à mourir dans une solitude absolue, le destin du protagoniste prend l’allure d’un trip vers le genre de prise de conscience qui n’est pas toujours suivie d’un changement radical du comportement. L’attirail formel avec lequel Danny Boyle cherche à mettre en perspective cette quête d’une vie dérisoire – dans un contexte qui l’est d’ailleurs mille fois plus que la machination scénaristique alambiquée de l’insipide Slumdog millionaire – n’abandonne jamais tout à fait un ton agréablement espiègle. Alors que sa mise en scène avait dans le passé tendance à s’écarter progressivement du droit chemin de la sobriété au service d’un scénario parfois prometteur, la surenchère stylistique fait dans le cas présent partie intégrante d’un projet conçu d’emblée à double tranchant.
Notre implication émotionnelle dans le sort de cet homme malchanceux, mais aussi assez irresponsable, est ainsi doublée d’un niveau de lecture astucieux autour des faux points de repère de notre société de consommation et de la recherche effrénée de sensations fortes. Nous ne nous attendions pas à pareille mise en abîme ingénieuse de la part d’un réalisateur, qui paraît entamer une période de maturité artistique, dont on ne l’avait guère cru capable.

Vu le 7 février 2011, à la Salle Pathé Lamennais, en VO

Note de Tootpadu: