Black swan

Black swan
Titre original:Black swan
Réalisateur:Darren Aronofsky
Sortie:Cinéma
Durée:108 minutes
Date:09 février 2011
Note:
Au début de la nouvelle saison de l’opéra de New York, la danseuse Nina Sayers espère que tous les sacrifices qu’elle a faits pour sa carrière lui permettront enfin de sortir du corps de ballet et de tenir un rôle important. Alors que l’ancienne vedette Beth Macintyre est sur le départ, le chorégraphe Thomas Leroy souhaite assurer sa succession en mettant en scène Le Lac des cygnes de Tchaïkovski, avec une seule danseuse émergeante dans les rôles diamétralement opposés du cygne blanc et du cygne noir. Ambitieuse et innocente, Nina conviendrait parfaitement au côté lumineux du personnage. Mais elle doit creuser au plus profond d’elle-même pour donner chair à son aspect ténébreux.

Critique de Tootpadu

Si le cinquième film du réalisateur Darren Aronofsky s’était exclusivement penché sur la quête de l’orgasme par une danseuse frigide, il aurait pu constituer une plongée inquiétante dans tout ce qui ne va pas dans l’Amérique puritaine et assoiffée d’une consécration professionnelle au détriment de l’épanouissement personnel. Au début, le personnage de Nina Sayers, interprété par Natalie Portman avec quelques étincelles d’une perfidie insoupçonnée, présente en effet un potentiel considérable de névroses et de pathologies. Ces dernières vont se développer à un rythme irrégulier tout au long du film, pour culminer finalement en une sorte de paranoïa narcissique, péniblement grandiloquente. Avant que Black swan ne bascule vers un grand n’importe quoi délirant, la descente aux enfers d’une carriériste coincée comporte cependant son lot de moments délicieusement tordus.
Le scénario commence assez tôt à jouer avec la notion du double, en confrontant le personnage principal à toutes sortes d’apparitions à son image. Pendant que ces visions d’une persécution venue de l’intérieur gagnent progressivement en ampleur, le côté maladivement pudique et timide de Nina s’éclipse, une fois qu’elle croit avoir atteint son paroxysme sexuel, grâce à la prise de quelques drogues et une visite qui fait voler en éclats le carcan avec lequel sa mère possessive l’étouffe. Si ce passage de relais peut paraître logique dans le cadre d’un scénario qui fait en fin de compte aussi peu dans la dentelle que la mise en scène de plus en plus frénétique de Darren Aronofsky, il constitue néanmoins pour nous un point de rupture lourd de conséquences, à partir duquel l’édifice psychologique sclérosé du personnage principal devient le théâtre nullement crédible de ses délires de persécution et de mutilation. Ainsi, observer Nina tenter de se masturber à peu près adroitement dans son lit, jusqu’à ce qu’elle se rende compte qu’elle n’est pas seule, représente une porte d’accès à son intimité infiniment plus révélatrice que tous les indices de délabrement de son corps, censés symboliser sans trop de finesse son état d’esprit malmené par la peur de l’échec et de la substitution par quelqu’un de plus jeune et plus gracieux.
Bien entendu, Nina Sayers n’est pas Nomi Malone, même si leur combat pour se positionner et se maintenir en haut de l’affiche ici et dans le clairement plus lucide Showgirls de Paul Verhoeven a quelques points en commun. Mais là où la danseuse de cabaret a dû apprendre rapidement les règles du jeu impitoyables du monde du spectacle pour subsister, la ballerine se détourne de sa posture engoncée de sainte nitouche vers des hallucinations de plus en plus abracadabrantes, voire risibles. Or, le pire aspect de ce glissement inéluctable vers la folie n’est guère la perte de toute notion de réalité de la part de Nina, mais l’insistance déplaisante avec laquelle le réalisateur cherche à nous faire gober une vision hallucinante après l’autre. Après avoir été dupés une dizaine de fois au fil de la deuxième heure du film, comme dans un thriller mineur de Brian De Palma, nous sommes devenus complètement hermétiques aux revirements pompeux par lesquels la narration s’efforce en vain de nous faire passer avant le crescendo final.
En somme, trop de fausses pistes, trop d’effets de maquillage douteux – notamment cette sorte de chair de poule qui finit par prendre entièrement possession du corps de Nina –, et trop peu de frissons authentiques rendent ce film initialement prometteur presque décevant à la fin.

Vu le 11 janvier 2011, au Gaumont Marignan, Salle 3, en VO

Note de Tootpadu:

Critique de Mulder

Darren Aronofsky est un réalisateur jeune, brillant et intègre, qui s'est forgé une réputation solide dans le domaine du cinéma américain indépendant. Dès son premier film Pi en 1993, il n'a pas cessé de mettre en scène des personnages aux fêlures nombreuses et en quête de reconnaissance ou d'épanouissement. En 2001, son film Requiem for a dream l'imposa comme un réalisateur à surveiller de près. Certes, The Fountain en 2006 fut un film intelligemment construit, mais il n’arriva pas à s'imposer comme un film fantastique réussi, malgré son casting principal (Hugh Jackman et Rachel Weisz). Lorsqu'en 1999, The Wrestler fut montré à la presse, il imposa Darren Aronofsky comme un réalisateur brillant. Ce film permit à Mickey Rourke de revenir aux devants de la scène. Rien ne permettait donc de prévoir un tel choc en visionnant pour la première fois Black swan. Ce film s'impose pourtant comme une réussite indéniable et fait de Natalie Portman une des plus grandes comédiennes de sa génération !

Black swan pourrait être vu comme un film mélangeant les genres avec une alchimie parfaite. Il renvoie ainsi aussi bien aux films de danse (Fame, Footloose, Flashdance) qu’aux thrillers horrifiques de la fin des années 1970 et du début des années ‘80. Nous pensons ainsi en voyant ce film à des classiques, comme Suspiria de Dario Argento, Le Locataire de Roman Polanski, Carrie de Brian De Palma. La transformation de Nina m’a également fait penser au film La Mouche de David Cronenberg. Ce film peut être vu comme une quête de la perfection. Nina, la danseuse principale de la troupe du ballet de New York doit faire face aux rivalités nombreuses afin d'obtenir le rôle principal du « Lac des Cygnes » (ballet en quatre actes sur une musique de Piotr Ilitch Tchaïkovski (opus 20) et un livret de Vladimir Begichev inspiré d'une légende allemande). Nina (Natalie Portman) doit ainsi s'investir totalement et sans relâche et affronter une mère autoritaire (Barbara Hershey), un directeur chorégraphe ambigu (Vincent Cassel) et une nouvelle recrue à la sensualité malsaine Lily (Mila Kunis). Darren Aronofsky signe ici un thriller horrifique, qui m’a permis de retrouver avec un plaisir coupable les mêmes sensations que celles que les thrillers horrifiques ayant marqué mon passé m’avaient apporté.

Avec son nouveau film, Darren Aronofsky réussit également à ficeler l'image iconique que Natalie Portman a pu se forger à travers les rôles de Mathilda (Léon), Padme (Star Wars), Sam (Garden state), et Evey (V for vendetta). La scène de masturbation freudienne et la scène limite érotique avec Lily font de Natalie Portman une actrice ne reculant devant rien pour sublimer un rôle. La descente en enfer tenant compte des pêchers capitaux fait qu'elle mérite largement de remporter l'Oscar de la Meilleure actrice, après avoir déjà obtenu le Golden Globe et le Critic’s Choice Award. A travers une filmographique quasiment parfaite, elle s'impose non seulement comme la plus gracieuse des comédiennes américaines mais surtout comme une actrice aux multiples facettes aussi à l'aise dans un drame (Closer, Brother) que dans une comédie, ou un film de science-fiction. Ma reconnaissance en tant que critique de cinéma envers Darren Aronofsky pour avoir fait de ce cygne blanc un magnifie cygne noir est profonde et sincère.

Les différents niveaux de lecture de Black swan font de ce film une œuvre à débat sur le dépassement de soi et la folie qui peut en découler. Il fait surtout une description très âpre d’un milieu où la réussite et la perfection dans un art a un double tranchant. La pureté du monde de la danse classique fait transparaître ici des débordements malsains dont personne ne ressortira indemne. A l’image du personnage interprété par la saisissante Winona Ryder, qui laisse ici sa vie comme héritage d’une période dans laquelle elle fut, à l’instar de Nina, une représentante frustrée de ce monde abject.

Ce film s'impose à mes yeux comme l'un des films incontournables de cette années 2011, qui sera celle du grand retour de Natalie Portman, avec en plus Thor, Sex friends et Your highness ! Il me tarde de le revoir sur grand écran.

Vu le 10 décembre 2010, au MK2 Bibliothèque, Salle A, en VO

Note de Mulder: