Another year

Another year
Titre original:Another year
Réalisateur:Mike Leigh
Sortie:Cinéma
Durée:130 minutes
Date:22 décembre 2010
Note:
Tom et Gerri mènent une vie parfaitement épanouie dans la banlieue de Londres. Mariés depuis des décennies, ils forment un couple inébranlable face aux imprévus de l’existence. Leur quiétude n’est perturbée que par leur fils Joe, toujours célibataire à trente ans, et surtout par Mary, une collègue et amie de Gerri, dont l’état permanent de détresse sentimentale commence à agacer ses proches. Au fil des saisons, Tom et Gerri vivront une évolution presque imperceptible de leur entourage familial et social.

Critique de Tootpadu

Tout le monde à l’abri, Polly est de retour ! Le nouveau film de Mike Leigh n’a certes rien d’une suite officielle à Be happy, mais le personnage de Mary – à l’origine des tribulations d’une famille des plus respectables – se trouve clairement à mi-chemin entre l’insouciance irritante de Polly et la névrose pathologique de Blanche DuBois dans Un tramway nommé désir. Sa fragilité émotionnelle et la dépendance maladive envers ses amis la prédestinent quasiment à être une proie facile pour le genre de constat social mordant, dans lequel le réalisateur anglais est devenu maître. Elle est indubitablement le maillon faible d’un microcosme social, qui tournerait cependant ennuyeusement en rond, s’il ne pouvait pas se distinguer dans toute sa normalité des frasques pitoyables de cette femme qui ne l’est pas moins.
Contrairement à son film précédent, où il laissait encore libre cours au tempérament agressif de ce personnage féminin hautement atypique, Mike Leigh tire une dynamique redoutable du choc entre le nombrilisme narcissique de Mary, prise à jamais au piège de son dépit amoureux et du besoin d’avoir un homme dans sa vie, et la résistance minimale de ses amis envers les changements amenés par le temps. En effet, aucun événement majeur ne se produit pendant l’intrigue de Another year. Vue à travers un mélange très séduisant entre la sagesse et la consternation, la succession cyclique des hauts et des bas du quotidien reflète néanmoins le passage imperceptible des jours, qui forment la durée limitée de notre vie à tous. La suffisance bienveillante avec laquelle le couple affronte ce glissement progressif vers la mort ne montre aucune difficulté à accueillir soit avec joie, soit en toute sérénité, les fiançailles potentielles des uns ou la disparition prématurée des autres. Là où leur respectabilité assez bourgeoise rencontre pourtant ses limites, c’est dans la gestion d’une amie de famille en fin de compte trop encombrante pour soutenir à long terme le rôle d’une anomalie sociale, du malheur et des gaffes de laquelle on pourrait se moquer en toute impunité morale.
Autant la narration magistrale ne nous donne guère l’espoir d’une issue favorable au cercle vicieux dans lequel Mary se fourvoie avec une insistance navrante, autant elle dissèque l’hypocrisie de ses amis sans le moindre ménagement. Entre les deux extrémités formellement brillantes de la consultation d’une femme aigrie au début et du plan final qui montre mieux que mille mots à quel point la pauvre Mary est définitivement exclue de la banalité insouciante de la famille, Mike Leigh entreprend une fois de plus un portrait au vitriol de la classe moyenne anglaise. La paix apparente avec laquelle Tom et Gerri s’adonnent à leurs occupations récurrentes, comme leurs sorties dans le petit jardin potager, pourrait bien cacher le même malaise existentiel soigneusement apprivoisé chez eux, que Mary extériorise avec un désespoir manifeste, qui inspire beaucoup de dépit et très peu de compassion. En somme, la normalité n’est ici qu’un leurre, un simulacre de contenance que Mike Leigh se complaît à démasquer avec la cruauté ironique, qui distingue depuis longtemps sa vision peu flatteuse de notre civilisation.

Vu le 13 décembre 2010, au Club de l'Etoile, en VO

Note de Tootpadu: