Inside job

Inside job
Titre original:Inside job
Réalisateur:Charles Ferguson
Sortie:Cinéma
Durée:109 minutes
Date:17 novembre 2010
Note:
La crise économique de 2008 n’est pas venue de nulle part. Elle est la conclusion provisoire d’une déréglementation systématique des marchés financiers américains depuis le début des années 1980. Dès lors les maîtres de leur propre fortune, les ingénieurs financiers de Goldman Sachs, de Merrill Lynch, de Lehman Brothers, et des autres banques puissantes ont imaginé des produits dérivés, sur lesquels ils pouvaient récupérer des bénéfices mirobolantes. Ces paris insensés sur des bulles informatiques ou immobilières ont poussé l’équilibre entier des finances mondiales au bout du gouffre.

Critique de Tootpadu

Et hop, un documentaire de plus sur le nouveau sujet de prédilection des enquêteurs cinématographiques à travers le monde, qui est justement si porteur, parce que les répercussions de la crise économique touchent au moins indirectement chacun des spectateurs potentiels de la planète. Alors que les différents continents tentent d’endiguer la perte colossale d’argent chacun à sa façon – chez nous en Europe par le biais des sauvetages de pays tout entiers comme d’abord la Grèce, actuellement l’Irlande, et peut-être demain le Portugal –, l’origine du mal se trouve, selon un commun accord, du côté des spéculateurs forcenés de Wall Street. Au bout de nombreux entretiens parfois tendancieux et de graphiques instructives, le réalisateur Charles Ferguson n’arrive point à une conclusion différente. Son documentaire constitue néanmoins un résumé étonnamment sobre de la chronologie de la dégringolade annoncée des marchés financiers internationaux.
Contrairement à ses confrères américains, qui cherchent souvent en vain à épicer leur discours par l’emploi poussif du chantage sentimental et de dispositifs formels clinquants, Charles Ferguson organise son documentaire selon une méthode aussi éprouvée qu’efficace. Après un coup de tonnerre savamment orchestré au début, Inside job remonte jusqu’aux racines de l’implosion de la bulle immobilière américaine, afin de l’inscrire au fur et à mesure dans une longue lignée d’investissements hasardeux, qui n’est hélas pas prête à s’arrêter de si tôt. La voix off presque agréablement monotone de Matt Damon instaure en plus un ton factuel, qui s’appuie sur une série parlante de chiffres, plutôt que de chercher à amadouer le spectateur à travers des faits divers de la vie des victimes désemparées de la crise. Ces tranches d’existences brisées sont bien entendu présentes, mais elles dénotent dans un contexte aussi recherché et scientifiquement sérieux.
Hélas, la mise en scène ne résiste pas à quelques opportunités de démagogie, qui laissent apparaître les fautifs présumés du dérèglement généralisé comme des cons cyniques et mal informés, voire mal intentionnés. Ces quelques questions montées pour faire en sorte que l’interlocuteur soit dévoilé comme le menteur hautain qu’il est supposé être – en tout cas dans le dessein global de ce documentaire contestataire – prive justement ce dernier de sa légitimité journalistique, pour n’en faire temporairement qu’un pamphlet bien intentionné.
Toutefois, si le rappel de faits communément admis – comme l’origine de la faillite à grande échelle due à la complexité et à la nature perverse des produits dérivés et des assurances contre son propre échec – est mené tambour battant et avec une largeur d’esprit assez exceptionnelle dans le contexte d’un documentaire américain pour être signalé, l’étalage d’un statu quo pour le moins inquiétant n’équivaut point à un appel sérieux à la résistance contre un système corrompu jusqu’à l’os. Aussi opportuniste et réductrice la démarche de Michael Moore soit-elle, son accusation contre les dérives de l’économie américaine dans Capitalism A Love story avait au moins l’avantage d’inviter les Américains d’une manière lucide et pragmatique à ne pas se laisser faire. Ici, l’indication répétitive de tous les participants directs aux événements qui ont refusé être interviewés affiche au mieux l’impuissance de l’opposition vigilante face à un système, qui a su s’implanter si vicieusement à tous les niveaux de la société, que la seule mention d’un ordre moral et financier complémentaire, voire révolutionnaire, est condamnée d’avance à la disparition pure et simple.
En somme, le système est pourri et les hommes qui le dirigent le sont encore plus. Autant ce documentaire nous explique intelligemment comment nous en sommes arrivés là, autant il ne propose aucune piste sérieuse pour sortir de ce marasme structurel.

Vu le 27 novembre 2010, au MK2 Quai de Seine, Salle 3, en VO

Note de Tootpadu: