Amore

Amore
Titre original:Amore
Réalisateur:Luca Guadagnino
Sortie:Cinéma
Durée:119 minutes
Date:22 septembre 2010
Note:
La neige tombe sur Milan, le jour où les Recchi, un clan de riches industriels, fêtent dans la demeure familiale l’anniversaire du vieux patriarche. Celui-ci se retire des affaires et annonce qu’il délègue la gestion de l’entreprise à son fils Tancredi et à son petit-fils Edouardo. Le jeune homme vient de perdre une course contre Antonio, un cuisinier et ami proche, qui rêve d’ouvrir un restaurant gastronomique dans les montagnes près de San Remo. Antonio passe à la maison des Recchi et fait alors brièvement la connaissance de Emma, la mère d’Edouardo, d’origine russe. Quelques mois plus tard, ils se revoient, lors d’une fête qu’Edouardo organise pour annoncer ses fiançailles. Emma, jusque là une femme au foyer distinguée, mais effacée, tombe alors sous le charme d’Antonio et de ses plats succulents.

Critique de Tootpadu

Ce ne sont pas les personnages qui sont au centre de ce film italien, mais les décors, urbains ou campagnards, au sein desquels ils évoluent. La distance qui s’instaure entre le spectateur et l’action devient sensible dès le générique, avec ses impressions d’une ville enneigée, et la préparation fiévreuse de la fête d’anniversaire qui s’ensuit. Nous ne sommes visiblement pas ici chez un disciple de Robert Altman, qui avait su transformer une situation comparable dans Gosford Park en un ballet à la fois magistralement orchestré et discrètement révélateur des rapports de force entre les différents personnages. Dans le film de Luca Guadagnino, une vague sensation d’étouffement transparaît au mieux à travers cette fête de famille, finalement pauvre en conséquences directes sur la suite de l’intrigue.
Car il faudra attendre assez longtemps avant qu’Emma ne se défasse des chaînes de son milieu feutré et stérile pour vivre un amour passionnel avec l’ami cuisinier de son fils. La dimension sociale de cette affaire des cœurs n’occupe qu’une place secondaire dans le film, d’un parce qu’Emma, l’étrangère, ne fait partie de l’aristocratie milanaise que par alliance, et de deux à cause de l’élan d’entrepreneur d’Antonio, qui, lui, souhaite encore créer quelque chose, en l’occurrence un restaurant sur les hauteurs de San Remo, tandis que la fortune des Recchi est déjà sur le déclin, depuis la transformation de l’usine familiale en société internationale à vocation financière. Amore n’est pas non plus un mélodrame fanfaron, en dépit du revirement final, atrocement théâtral. Ce film donne davantage l’impression que le réalisateur s’est laissé aller dans sa prétention visuelle, sans que ce fourvoiement esthétique n’ait d’incidence palpable sur le récit. Il est ainsi révélateur qu’il cite la séquence la plus artificielle de Philadelphia de Jonathan Demme, celle où le personnage interprété par Tom Hanks est complètement absorbé par son délire pour Maria Callas. De la même façon, Luca Guadagnino se construit sa tour d’ivoire, faite de la musique symphonique de John Adams, de la photo trop précieuse de Yorick Le Saux, et du montage jamais organique de Walter Fason, depuis laquelle il observe avec un détachement de plus en plus pesant ce qui se passe dans son royaume fictif.
Le plus curieux dans cette affaire est toutefois que le réalisateur cherche à se distancier en théorie d’un tel parti pris formel, puisqu’il affirme dans le dossier de presse qu’il veut contourner le piège « de l’esthétisme, qui consiste à filmer de beaux paysages sans que cela n’apporte rien à la narration » pour ne pas créer un film « patiné et luxueux ». Or, Amore se situe précisément sur le terrain filmique rarement excitant, où la prétention du style prend sans peine le dessus sur une expression poétique accessible, compréhensible, ou tout au moins engageante. C’est certes un film joli à regarder, mais qui peine cruellement à transmettre le drame intérieur qui agite le personnage central, que Tilda Swinton interprète néanmoins avec une grâce éthérée qui convient malgré tout au ton vague et incertain du film.

Vu le 25 août 2010, au Club Marbeuf, en VO

Note de Tootpadu: