Enfance du mal (L')

Enfance du mal (L')
Titre original:Enfance du mal (L')
Réalisateur:Olivier Coussemacq
Sortie:Cinéma
Durée:96 minutes
Date:12 mai 2010
Note:
Depuis quelques jours, Céline, une gamine de quatorze ans, s'est installée clandestinement dans la dépendance de la maison du juge Van Eyck et de sa femme. Elle a fugué de chez ses tuteurs, où elle avait été placée suite à l'incarcération de sa mère. Ce n'est pas par hasard qu'elle a élu domicile de fortune sur la propriété de ce couple bourgeois, qui finit par la découvrir. Alors que les Van Eyck sont prêts à l'héberger pour une nuit ou deux, le temps qu'elle sera prise en charge par les services sociaux, Céline trouve toujours un prétexte pour se rendre de plus en plus indispensable aux yeux de ses hôtes.

Critique de Tootpadu

Avec un titre pareil, ce premier film aurait très bien pu regorger de détails fantastiques, qui l'auraient rapproché des films d'horreur et autres oeuvres maléfiques. En réalité, c'est une étude tout en finesse sur la corruption imperceptible, à la fois d'un point de vue moral et social, d'un couple des plus respectables, à la façon de Bugie bianche de Stefano Rolla. L'élément perturbateur prend ici l'apparence d'une fillette, plutôt précoce dans sa perception des rapports de force qui règlent notre civilisation. Son introduction dans le cercle préservé de l'intimité des Van Eyck se fait tout en douceur, sans que cette violation de la sphère privée ne débouche sur un bain de sang démesuré ou une explosion semblable de pulsions destructrices. Son influence sur la vie conjugale du juge et de sa femme est certes néfaste, mais les vestiges de son innocence juvénile l'empêchent en même temps d'apparaître comme une méchante sans coeur, ni scrupules.
L'accomplissement notable de L'Enfance du mal réside dans sa capacité à contrecarrer régulièrement nos attentes, voire nos appréhensions, pour ce genre d'histoire. L'ambiguïté morale des personnages est essentielle pour le déroulement assez imprévisible de l'intrigue. Les zones de gris prévalent autant dans les motivations que dans les actions de Céline, et par effet de répercussion, dans celles du ménage qu'elle a consciemment choisi de harceler. Le manque d'exagération avec lequel le réalisateur Olivier Coussemacq s'approprie le récit se solde par un sentiment constant d'incertitude, en fin de compte bénéfique pour son film. Car bien que nous sachions dès le départ, à travers les séquences d'une séduction malsaine de vieillards croisés dans les jardins publics, de quels actes de malveillance, et même de perversité, Céline est capable, son mode opératoire pour gangrener l'union du couple qui l'accueille paraît bien moins prémédité. Grâce à la lucidité de ce ménage bourgeois, qui se laisse pourtant prendre au jeu, l'apparition de l'adolescente dans sa vie fonctionne plutôt comme le révélateur d'un malaise préexistant, qu'en tant que semeur de zizanie dans un monde parfait.
A l'exception d'un léger flottement dans le temps au cours de l'introduction, la narration de Olivier Coussemacq est étonnamment ferme et assurée pour un premier film. Le mérite pour cette fraîcheur toute relative de ton revient par contre principalement au choix inspiré des trois comédiens principaux, qui s'investissent à leur tour corps et âme dans de savoureux contre-emplois, par rapport aux rôles dans lesquels nous avons l'habitude de les voir. Tandis que la jeune Anaïs Demoustier, encore plus impressionnante ici que dans Les Grandes personnes, ne perd jamais de vue l'innocence de son personnage manipulateur, au point de conférer un naturel inattendu aux scènes les plus glauques, Pascal Greggory réussit enfin à nous prendre de nouveau au dépourvu, après un passage à vide assez long, grâce à son jeu subtil pour donner vie à cet homme de bonne famille, tiraillé jusqu'à l'extrême entre le respect d'un style de vie basé sur l'application minutieuse des lois et ses pulsions charnelles, nettement moins légitimes. Quant à Ludmila Mikaël, elle s'acquitte admirablement du rôle peut-être le plus ambigu du film : celui de la femme prise entre les fronts de ce stratagème machiavélique, qui aurait dû en être la première victime, mais qui choisit de retourner la situation à son avantage, en accomplissant ses aspirations à l'émancipation. A moins que ce ne soit elle, la plus dupe d'entre tous ...

Vu le 28 avril 2010, au Club Marbeuf

Note de Tootpadu: