Mammuth

Mammuth
Titre original:Mammuth
Réalisateur:Benoît Delépine, Gustave Kervern
Sortie:Cinéma
Durée:91 minutes
Date:21 avril 2010
Note:
A 60 ans et au bout de plus de quarante ans d'activité professionnelle, Serge Pilardosse a gagné le droit de partir à la retraite. Mais après le pot d'adieu à l'abattoir où il avait travaillé les dix dernières années, une vérité déplaisante l'attend à la caisse des retraites : il lui manque des points pour pouvoir prétendre à un taux plein, puisque certains de ses anciens employeurs ne l'auraient pas déclaré correctement. Sur l'insistance de sa femme Catherine, qui, elle, doit continuer à trimer au supermarché, Serge prend la route à bord de sa vieille moto pour retrouver les anciens patrons et rassembler la paperasse manquante.

Critique de Tootpadu

L'humour noir des réalisateurs Benoît Delépine et Gustave Kervern frappe une fois de plus sans le moindre ménagement dans leur quatrième film. A partir d'une structure scénaristique sous forme de petits sketchs, qui ressemble à celle de leurs films précédents tout en trahissant leurs origines audio-visuelles, ils suivent le périple, à la fois absurde et poétique, d'un bon bougre à la recherche de son passé. La moquerie cinglante est une fois de plus de mise ici, même si la connerie manifeste du personnage principal ne donne pas lieu à un portrait de perdant aussi déplaisant que le récent Henry de Pascal Rémy et Francis Kuntz, eux aussi issus de l'écurie Groland. Non, ce Serge Pilardosse, joué avec une naïveté désarmante par un Gérard Depardieu en grande forme, appartient plutôt à ces abrutis inoffensifs, qui sont assez lucides pour se rendre compte de leurs capacités intellectuelles et sociales très limitées, mais auxquels il manque l'ambition et la détermination pour y remédier.
Du coup, l'humour jubilatoire qui secoue pratiquement chaque minute de Mammuth provient davantage des situations incongrues dans lesquelles Serge se retrouve, parfois malgré lui. Alors que les délires typiques de l'univers de Benoît Delépine et Gustave Kervern se déchaînent autour de lui, Serge reste le plus souvent dans l'observation passive de toute cette agitation. Il y participe certes de bon gré. Mais son tempérament d'un homme rustre, sans sensibilité apparente, lui fait adopter régulièrement le rôle de la victime à peu près consentante dans les stratagèmes des personnages qu'il croise, à peine plus futés que lui. Pourtant, son calvaire sans gravité nous incite moins à de la pitié ou au dédain, qu'à un amusement ironique, face à l'accomplissement dérisoire d'une tâche qui ne l'est pas moins et qui distille néanmoins en toute subtilité le malaise qui guette la France dans la question épineuse des retraites.
La magie subversive du cinéma selon Benoît Delépine et Gustave Kervern réside peut-être justement dans leur capacité de créer un univers marginal dans lequel le spectateur rie avec les personnages mal adaptés, au lieu de se moquer bêtement d'eux. Ainsi, les conneries, les engueulades futiles, et les événements proprement grotesques ne manquent pas dans l'intrigue de ce film malicieux. Mais le regard des réalisateurs, ainsi que le traitement formel qu'ils lui attribuent à travers un métissage joyeusement sauvage des supports, fait naître une poésie filmique si particulière qu'il serait dommage de passer à côté. Entre Isabelle Adjani en fantôme énigmatique des années 1980, Benoît Poelvoorde en concurrent mesquin de ramassage de pièces, et en guise de pièce maîtresse Yolande Moreau dans le rôle mémorable de l'épouse, qui est la seule à garder un lien drôlement pragmatique avec la réalité sociale, la route de Serge Pilardosse est semée de rencontres bizarres, qui ne le libèrent pas vraiment de son état d'esprit obnubilé par sa propre bêtise. Son odyssée improbable fournit cependant une matière de premier choix aux délires toujours aussi décapants de Benoît Delépine et Gustave Kervern, ce qui constitue une récompense largement suffisante pour les spectateurs en quête d'un humour noir hors normes.

Vu le 12 avril 2010, au Club de l'Etoile

Note de Tootpadu: