Agora

Agora
Titre original:Agora
Réalisateur:Alejandro Amenabar
Sortie:Cinéma
Durée:127 minutes
Date:06 janvier 2010
Note:
A la fin du IVème siècle, la métropole d'Alexandrie en Egypte est gouvernée par un empire romain sur le déclin. Les chrétiens, depuis peu de temps autorisés à professer publiquement leur foi, se confrontent sans relâche à l'élite sociale et intellectuelle de la ville, qui croit encore aux dieux païens. Dans ce contexte tendu, la philosophe brillante Hypatie, fille de Théon, le directeur de la bibliothèque éminente, s'interroge de plus en plus sur la place de notre planète au sein du système solaire. Ses recherches scientifiques avancées lui voilent cependant le regard sur la réalité, où deux hommes, son esclave Davus et le futur préfet Oreste, se disputent ses faveurs.

Critique de Tootpadu

Depuis sa consécration internationale grâce à Mar adentro, un film qui n'avait par ailleurs pas su nous subjuguer de la même façon, le réalisateur espagnol Alejandro Amenabar a mis cinq ans avant de sortir un nouveau film. Ce laps de temps assez important est encore accentué par la différence notable entre ces deux oeuvres, qui appartiennent non seulement à des genres diamétralement opposés, mais qui traitent de sujets presque antagonistes. Après le drame intimiste d'un handicap individuel, Alejandro Amenabar paraît vouloir englober le destin de l'humanité toute entière dans son évocation d'une époque charnière de l'Histoire ancienne. Cette ambition, de remettre l'homme à sa place dans le cosmos, se traduit en effet par quelques plans grandiloquents, qui prennent un recul démesuré par rapport à l'action, qui se déroule sur une parcelle infime de notre planète, il y a fort longtemps.
L'aspect plus réduit du scénario, à échelle humaine, ne fonctionne pas davantage. La romance contrariée entre la philosophe pure et idéaliste et ses deux prétendants, un fanatique post-pubère passablement frustré et un bellâtre ambitieux mais sans convictions, met plus que jamais en évidence les lacunes de la narration d'Alejandro Amenabar. Dans les tourments historiques, cette partie prétendument émotionnelle du film manque justement de chair et d'intensité, pour contrebalancer les implications universelles du récit. En dépit de la frimousse séduisante de Max Minghella et de la présence éthérée de Rachel Weisz, la passion des coeurs n'atteint jamais la même température bouillonnante que le volet culturel d'Agora.
Car après avoir longuement énuméré les faiblesses relatives de ce spectacle épique, nous devons tout de même admettre qu'Alejandro Amenabar ne manque pas de courage, lorsqu'il s'agit d'évoquer les sous-entendus sociaux et religieux des faits qu'il conte. Son film a beau appartenir au même genre que Gladiator, Troie, ou encore 300, son approche ne prévoit guère d'affrontements tonitruants entre gladiateurs ou de combats sanglants entre soldats parcimonieusement vêtus. Le conflit se joue ici sur le terrain bien plus abstrait, et en fin de compte intemporel, des stratagèmes politiques et des chocs idéologiques. Sur fond d'une guerre des esprits entre la raison scientifique et l'intégrisme religieux, le film soulève une problématique qui est plus que jamais d'actualité aujourd'hui. Pourquoi en effet avoir réveillé un genre moribond de nos jours, si ce n'est pour indiquer à travers les siècles à quel point nous revivons à peu près une situation semblable à l'heure actuelle ? Tout cela bien entendu sans le moindre opportunisme. Bien que le ton tendancieux du film nous empêche d'y adhérer complètement et que nous soyons encore loin du paroxysme du renversement d'une civilisation tel que les vieux Romains ont dû le vivre, l'idée d'une conversion religieuse par la force reflète tout à fait la paranoïa anti-islamique qui s'empare de plus en plus de l'Europe. Qu'est-ce que l'interdiction de construire des minarets en Suisse d'autre que la peur des occidentaux de voir leurs valeurs et leurs traditions chancelantes sapées par un ordre culturel et moral perçu comme envahissant ?
Au delà de montrer que les premiers chrétiens n'étaient point plus irréprochables et proche de l'enseignement du messie que leurs successeurs lointains, Agora se dresse comme un péplum intelligent, auquel le spectateur ne pourra faire de plus beau cadeau que d'être interpellé, en bien ou en mal, par son message en faveur de la science et de la recherche infinie d'une vérité abstraite. La véritable réussite du film réside ainsi dans sa capacité à ne jamais laisser le cadre épique, et effectivement impressionnant, supplanter les finesses d'un raisonnement plus ambigu et disposé à la controverse, que le contenu aseptisé des mastodontes hollywoodiens.

Vu le 30 novembre 2009, au Club 13, en VO

Note de Tootpadu: