Ombre d'un doute (L')

Ombre d'un doute (L')
Titre original:Ombre d'un doute (L')
Réalisateur:Alfred Hitchcock
Sortie:Cinéma
Durée:107 minutes
Date:26 septembre 1945
Note:
La jeune Charlie Newton sent que sa vie de famille manque de vigueur et d'imagination. Elle ne connaît qu'une seule personne capable d'y remédier : son oncle Charlie, qui habite à Philadelphie. Celui-ci a décidé également de se mettre un certain temps à l'ombre chez la famille de sa soeur dans la petite ville pittoresque de Santa Rosa. Il est soupçonné par la police d'être l'assassin de plusieurs veuves fortunées. L'enthousiasme de la jeune Charlie, de voir son confident débarquer, est vite tempéré, lorsqu'elle commence à se douter du passé trouble de l'oncle Charlie.

Critique de Tootpadu

Alfred Hitchcock n'a jamais démonté avec autant de malice les certitudes trompeuses de la province américaine, que dans ce film qu'il comptait parmi ses préférés. Il y procède à une déconstruction en règle, hautement stimulante et profonde, du monde parfait de Santa Rosa, tel qu'il est décrit au début du film. Ce n'est pas seulement l'élément perturbateur, venant de la grande ville froide et délabrée, qui met en branle ce paradis factice, mais également la gangrène venant de l'intérieur, alimentée par le doute et l'obligation de prendre des mesures drastiques conte cette menace. Progressivement, les remparts du bonheur familial préservé cèdent pour projeter la jeune femme dans le monde impitoyable des adultes.
La mise en scène magistrale de Hitchcock accompagne cette descente aux enfers avec un stoïcisme ironique. Le réalisateur sait en effet se délecter avec une aisance et une lucidité incomparables des failles de plus en plus béantes, qui sapent l'idéal familial auquel aspire la jeune Charlie. Cette dernière, initialement une figure de lumière et d'optimisme, se voit progressivement pervertie, ne serait-ce que par la présence de son double diabolique, qui n'est pas du tout le sauveur qu'elle attendait dans sa naïveté enfantine. Mais quand Charlie court apeurée à la bibliothèque le soir, afin de connaître la vérité tant redoutée sur son oncle, elle ne se bat déjà plus pour quelque chose de valable. Par de petites touches mesquines, Hitchcock nous a en effet fait comprendre entre-temps à quel point le quotidien familial en particulier, et américain en général, était en train de s'autodétruire.
La dynamique familiale chez les Newton était en effet défaillante, longtemps avant l'arrivée de l'oncle Charlie, qui n'est en quelque sorte que le reflet exacerbé et déplaisant de l'illusion du bonheur domestique. Entre une mère bien intentionnée, mais vite dépassée par les événements, un père effacé et immature, et une soeur précoce, la jeune Charlie ne dispose que d'une seule issue à ce cul-de-sac existentiel : en choisir un autre en s'engageant sentimentalement avec le policier aussi fade que le milieu modeste dont ils sont tous les deux originaires. Ce n'est certainement pas un hasard que la séquence la moins intéressante du film est la rencontre des deux amoureux dans le garage et que, en guise de fin heureuse et empoisonnée, la jeune Charlie, traumatisée par son passage violent à l'âge adulte, se retrouve avec Jack Graham.

Revu le 31 juillet 2008, à la Cinémathèque Française, Salle Henri Langlois, en VO

Note de Tootpadu: