Lions et agneaux

Lions et agneaux
Titre original:Lions et agneaux
Réalisateur:Robert Redford
Sortie:Cinéma
Durée:92 minutes
Date:21 novembre 2007
Note:
Alors que les forces américaines lancent une nouvelle stratégie d'attaque en Afghanistan, le sénateur républicain Jasper Irving a invité la journaliste chevronnée Janine Roth pour un entretien exclusif, au cours duquel il tentera de lui expliquer pourquoi ce nouveau plan pour une fin de la guerre sera couronné de succès. Simultanément sur la côte ouest, le professeur Stephen Malley a convoqué un de ses étudiants, Todd Hayes, dans son bureau, afin de discuter avec lui sur son manque d'assiduité en cours, bien qu'il ait été auparavant un des étudiants les plus prometteurs. Aussi prometteur qu'Ernest et Arian, deux anciens étudiants de Malley, qui se sont engagés dans l'armée et participent à l'opération lancée contre les talibans.

Critique de Tootpadu

La position des Etats-Unis sur la scène internationale, qui influe forcément sur l'état d'esprit national, est infiniment moins flatteuse en cette décennie, qu'elle n'a été au cours des années 1990, où la super-puissance paraissait le maître incontesté du monde. En dépit d'une vague de sympathie et de solidarité après les attentats du 11 septembre 2001, la politique américaine a constamment pris les mauvaises décisions, lorsqu'il s'agissait de trouver la stratégie adéquate pour cette nouvelle forme de guerre, contre le terrorisme. Rien d'étonnant à cela, en vue du crétin qui gouverne ce pays immense, ou qui fait plutôt semblant de le faire, s'il n'écoute pas la voix de ses conseillers corrompus, de Dieu ou la sienne, embrouillée dans une communication maladroite qui est devenue tristement célèbre.
Et le cinéma dans tout ça ? Après s'être gavé d'exploits présidentiels pendant l'ère de Bill Clinton, où le chef de l'état avançait même au rang de héros irréprochable d'un film d'action (Air Force One), Hollywood s'est quelque peu désintéressé de tout ce qui touchait de près ou de loin à la politique, comme traumatisé par les désillusions du début du siècle (l'élection présidentielle à rallonge, les attentats) et leurs conséquences néfastes. Jamais des précurseurs téméraires, les producteurs américains ont cependant bien pris en compte un basculement dans l'opinion publique américaine, profondément déçue par une série interminable d'échecs sur tous les fronts où le gouvernement s'active dans le seul intérêt de lobbies industriels et militaires. Petit à petit, ces films arrivent sur nos écrans, comme Dans la vallée d'Elah ce mois-ci ou Redacted de Brian De Palma en février prochain. Dans un climat aussi contestataire, il n'est pas étonnant qu'un cinéaste de la trempe d'un Robert Redford, engagé socialement et politiquement, tente de participer au débat.
Et sa contribution est peut-être le film le plus éclairé sur le sujet à ce jour, d'une intelligence et d'un idéalisme qui ne se font plus guère d'illusions, mais qui ont tout de même gardé la conviction, hélas un peu archaïque, qu'en ces temps difficiles, tout un chacun doit assumer ses responsabilités civiques. La façon de faire passer ce message n'est peut-être pas des plus astucieuses, avec cette narration en trois temps qui s'efforce un peu trop à ne pas tomber dans les schémas structurels les plus prévisibles. Elle permet toutefois d'aborder un nombre élevé de points, qui donnent dans leur ensemble une vision aussi complexe qu'exhaustive de la question de l'engagement militaire américain et de ses conséquences.
Pour simplifier un film, qui s'applique justement à ne pas offrir des réponses faciles, mais de poser des questions utiles : la partie de l'entretien du politicien s'intéresse aux stratégies fourbes de Washington et au manque d'utilité des médias, acquis à la cause et les premiers agents de l'apathie collective; celle de la discussion entre le professeur et son élève implique à la fois la responsabilité au niveau individuel et le rôle essentiel que la jeunesse est appelé à jouer, comme chaque fois que l'ancienne garde est en train de sérieusement saboter leur avenir; enfin, la mission des deux soldats au coeur de l'action évoque, en des termes héroïques, mais pas moins fermes pour autant, le fait que ce sont les éléments les plus humbles et courageux de la société qui trinquent les premiers de l'ineptie politique et, au sens plus large, d'une démocratie apathique.
La qualité principale de ce film passionnant est justement qu'il cherche plus à faire réfléchir que ressentir. La partie militaire remplit ainsi plus un rôle de concrétisation des discours théoriques du reste du film, que celui d'un récit guerrier patriotique et plein de pathos. Grâce à elle, l'équilibre du film en termes de ton et de rythme est plutôt bien maintenu. En même temps, les affrontements verbaux offrent des pistes de réflexion plutôt variées pour un film, dont le cachet vise clairement à séduire le plus grand nombre de spectateurs. La forme soignée de la réalisation, comme toujours chez Redford, et l'interprétation très solide ne détournent ainsi jamais l'attention des préoccupations brûlantes que le film soumet avec une sincérité et une honnêteté exemplaires.
Enfin, il est quand même ironique qu'un film aussi critique du rôle consensuel des médias dans la représentation de la guerre soit distribué sur plusieurs marchés internationaux, dont la France, par la Fox, un studio sous l'emprise d'un pouvoir commercial entièrement de mèche avec les agissements cyniques de la Maison blanche, et impliqué à travers ses chaînes de télévison dans une politique de désinformation des plus méprisables !

Vu le 5 novembre 2007, au Club de l'Etoile, en VO

Note de Tootpadu: