Black Book

Black Book
Titre original:Black Book
Réalisateur:Paul Verhoeven
Sortie:Cinéma
Durée:145 minutes
Date:29 novembre 2006
Note:
Une chanteuse reconnue avant la guerre, Rachel Stein doit se cacher dans ses Pays-Bas natals à l'arrivée des Allemands nazis, en raison de ses origines juives. Incapable de sortir du pays et traumatisée par les atrocités de la persécution antisémite, elle décide en 1944 de rejoindre la Résistance hollandaise. Un engagement à double tranchant, puisqu'elle doit s'infiltrer dans la Gestapo et dissiper les soupçons de trahison qui minent le travail clandestin, après plusieurs pièges tendus par les Allemands.

Critique de Tootpadu

Paul Verhoeven ne se fait point d'illusions sur la nature humaine. C'est au moins l'impression que la plupart de ses films donnent de prime abord. La première rencontre avec ses oeuvres iconoclastes nous a à plusieurs reprises inspiré une sorte de désenchantement jouissif, que ce soit dans le cas de la déconstruction du rêve américain dans Showgirls ou dans celui de ce récit sombre sur la fin ignoble d'une guerre atroce.
Toutefois, l'art du réalisateur néerlandais consiste à prendre le spectateur au dépourvu, tout en le fascinant durablement à travers sa narration viscérale. Les deux points forts, très forts, de ce retour de Verhoeven dans son pays natal après vingt ans d'exile hollywoodien sont ainsi le caractère imprévisible du scénario et le style, faute d'un terme plus approprié, couillu du cinéaste. En dépit d'une trame narrative qui ressemble à celle de L'Armée des ombres de Jean-Pierre Melville, truffée de revirements, de pièges et de trahisons, le scénario de Gerard Soeteman et de Verhoeven évite toute la sobriété sophistiquée que l'on pourrait reprocher à l'épopée sur la résistance française. Le pire arrive toujours en temps de guerre, tel pourrait être la devise de cette suite ininterrompue de coups bas, de déceptions et de massacres sauvages. Au point qu'il nous semble préférable de vous conseiller de ne pas trop vous attacher à la plupart des protagonistes, puisqu'un grand nombre d'entre eux ne s'en sortira pas. En même temps, la structure du scénario, avec le récit cadre en Israël, laisse supposer que la guerre ne s'arrêtera jamais, que le conflit et les instincts les plus bas sont si profondément enracinés dans la nature humaine qu'il est pratiquement impossible de ne pas y succomber.
La dureté de l'approche scénaristique, en tous points excellent, est à la fois soulignée et démentie par la mise en scène. La touche magistrale de Verhoeven se traduit une fois de plus ici par une forme intrinsèquement viscérale, voire triviale. Le réalisateur assiste au plus près à la dégradation de ses personnages, à leur perversion irrémédiable qu'elle soit acquise ou innée. Ce style de haut vol, direct, précis et charnu, entretient un rapport très particulier avec le spectateur, indécis entre l'abandon dans l'admiration et l'interrogation sur le taux de divertissement élevé de ces faits éprouvants. Probablement en connaissance de cause, en vue de son parcours fascinant depuis trente ans, Paul Verhoeven pose ainsi des questions essentielles sur la nature même du cinéma, sa capacité d'évoquer le passé et son devoir de produire du spectacle.
La nature incompatible entre l'art et le commerce au cinéma, Paul Verhoeven tente de la réconcilier à sa façon, avec des films hautement jouissifs, peu importe leur sujet. Qu'il évoque dans le dossier de presse David Lean comme modèle pour ce genre de cinéma exigeant destiné au grand public peut alors surprendre, tellement la démarche du réalisateur de Black Book fait appel aux instincts les plus élémentaires et accessibles, là où le réalisateur britannique prêchait plutôt une esthétique basée sur la beauté plastique et les sentiments nobles. Peu importe, nous avons une admiration pour l'oeuvre de chacun de ces deux grands réalisateurs, et ce premier opus néerlandais en plus de vingt ans démontre une fois de plus à quel point Paul Verhoeven a littéralement le cinéma dans les tripes !

Vu le 23 novembre 2006, à la Salle Pathé Lincoln, en VO
Revu le 12 juillet 2008, en DVD, en VO

Note de Tootpadu: