
Titre original: | God bless America |
Réalisateur: | Bob Goldthwait |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 104 minutes |
Date: | 10 octobre 2012 |
Note: | |
Frank n’en peut plus de ses voisins, qui l’importunent sans cesse par le bruit qu’ils font ou parce qu’ils ont garé une fois de plus leur voiture trop près de la sienne. Il ne fait pas preuve de plus de clémence à l’égard de ses collègues, docilement abreuvés des programmes haineux que les médias diffusent à toute heure. Quand il perd son travail à cause d’une accusation douteuse de harcèlement et que son médecin lui annonce le même jour qu’il va mourir d’une tumeur au cerveau, Frank décide d’en finir. Avant de franchir le pas, il prend cependant le temps d’assassiner toutes les personnes qui méritent à son avis de mourir avant lui.
Entretien avec le réalisateur Bobcat Goldthwait
Critique de Tootpadu
Est-ce que Bob Goldthwait aime les Etats-Unis d’Amérique ? Rien n’est moins sûr si l’on considère une filmographie qui met un point d’honneur à explorer les marges d’une société prétendument tolérante, mais en fin de compte très étroite d’esprit sur un nombre important de sujets. Ce que l’on peut affirmer sans la moindre hésitation par contre, c’est qu’il est bel et bien un des réalisateurs les plus provocateurs parmi les rares exceptions auxquelles on donne encore assez d’argent outre-Atlantique pour interroger le statu quo d’une civilisation sur le déclin. L’Amérique selon Bob Goldthwait, c’est le portrait au vitriol d’un peuple dégénéré, qui pousse l’expérimentation avec l’interdit jusqu’à la zoophilie, comme dans Juste une fois !, et qui glorifie ses énergumènes les plus abjects, comme dans World’s Greatest Dad.
Pour notre plus grand plaisir, le réalisateur iconoclaste voit encore plus grand avec son nouveau film, qui – après les thèmes plutôt intimistes que nous venons d’évoquer – s’attaque à ce que l’Oncle Sam a de plus cher, c’est-à-dire sa propre représentation médiatique ou plus précisément la vilaine grimace que les écrans qui pullulent dans notre quotidien numérique renvoient sans ménagement. L’écart entre l’idéal patriotique des pères fondateurs et la bourbe culturelle qui fait appel aux instincts les plus bas que leur progéniture lointaine en a fait de nos jours n’a ainsi jamais été dénoncé avec plus de hargne et de malice que dans God bless America ! Les Américains de ce film acerbe n’ont rien des sauveurs de l’humanité, ces créatures de la propagande à l’état pur qui défendraient des valeurs justes à travers le monde. Ils sont au contraire des êtres vils et bêtes, des moutons dépourvus de la moindre individualité qui tournerait autour d’autre chose que l’acquisition de biens matériels complètement dispensables. Ces ploucs de la pire espèce, le cinéma hollywoodien destiné à un public international, qui est censé y reconnaître les avantages d’un style de vie capitaliste, ne daigne point les montrer, par peur que cette face cachée dépeigne une Amérique ignorante et primitive.
Or, le véritable exploit de ce film jouissif et misanthrope consiste à ne pas chercher une voie royale pour échapper au cercle vicieux de la violence, verbale ou physique. Le protagoniste aimerait tant que tout le monde soit plus gentil. Le fait de croire en le bien fondamental de l’Homme, cela revient toutefois à accepter le leurre initial sur lequel le modèle américain a été bâti, avant qu’il n’ait été perverti par une consommation accrue de désinformations. La croisade de Frank contre tout ce qui fend le cœur des personnes sensibles et bien intentionnées n’est après tout qu’une forme larvée du politiquement correct, qui pourrait bien être à l’origine de cette décadence pitoyable. A l’instar des agissements de ce quarantenaire aigri, qui réagit à des choses qui le contrarient sans jamais créer quoique ce soit d’alternatif à tant d’imbécillité, le processus de nettoyage des tares de la société s’opère dans une violence qui en appelle toujours plus de bains de sang.
Contrairement aux films précédents de Bob Goldthwait, la mise en scène ne se relâche point dans son effort recommandable d’abattre le colosse aux pieds d’argile, que les Etats-Unis sont devenus au plus tard depuis la fin de la Guerre froide. Le ton y demeure constamment au niveau d’une satire mordante comme nous les aimons, interrogeant avec une ironie nihiliste les motivations des personnages caricaturaux, certes, mais toujours au service d’un persiflage haut en couleur et diablement divertissant.
Vu le 22 août 2012, au Club Marbeuf, en VO
Note de Tootpadu:
Critique de Mulder
Bobcat Goldthwait a commencé sa carrière comme acteur, connu notamment pour son rôle de l’agent Zed dans les suites de Police Academy, avant de passer derrière la caméra tardivement. Son film précédent, déjà présenté à Deauville, World’s greatest dad n’avait pas particulièrement marqué nos mémoires et il a encore moins eu droit à une sortie en salles sur notre territoire. Rien ne pouvait présager que son nouveau film puisse être aussi réussi et être une caricature réussie des médias américains (télévision, cinéma).
Le postulat assez simpliste narre les aventures de Frank et Roxy, les Bonnie et Clyde des temps modernes. Récemment licencié, malade en phase terminale, Frank décide de réagir et de nettoyer cette Amérique humiliée et déshumanisée. Il part donc en croisade en éliminant les personnes les plus stupides et abjectes du monde de la télévision et de son entourage. Il sera rejoint par Roxy, une jeune lycéenne dans une chevauchée sauvage, brutale et saignante. Tel des anges exterminateurs, ces deux justiciers vont nettoyer les rues, jusqu’à un studio de télévision, de tous les individus qui leur paraissent irrévérencieux et à l’esprit anti-américain.
Dans la mouvance de l’indétrônable Kick-ass, Frank et Roxy (interprétés par Joel Murray et Tara Lynne Barr) se livrent à une véritable croisade. Que cela soit une lycéenne dans sa voiture, dans un jardin public, une salle de cinéma et même un studio de télévision, rien ne semblera pouvoir arrêter ces nouveaux justiciers. Bobcat Goldthwait n’a pas son pareil pour créer de tels personnages et surtout faire passer des moments très violents par des propos caricaturaux, qui vont droit au but. Certes, par moments, les personnages semblent trop parler et la mise en scène stagne malheureusement trop longtemps. Reste que par rapport à un budget limité, le réalisateur signe ici de loin son meilleur film et certaines scènes ont toutes leur chances de devenir cultes. Tout le film repose ainsi sur un scénario corrosif brillant et montrant avec délectation tous les travers d’un pays qui a perdu ses valeurs morales et dont les habitants sont, tels des zombies, des créatures décérébrés et suivant les conseils des messages publicitaires.
A travers ce film, c’est bien le symbole de l’american way of life qui est visé et remis en question. Ce pays, que le réalisateur adore, lui semble avoir perdu ses repères moraux. Ce n’est pas seulement à un nettoyage profond que se livrent ses deux principaux personnages, mais surtout à une remise en question de tout un système inégal, où la bêtise humaine domine. Certes, ce film n’atteint pas la qualité et la pugnacité d’un Kick-ass, mais se rapproche plus d’un Super de James Gunn.
Notre site ne peut que soutenir un tel réalisateur et une telle réussite, même mineure, dans une période où les bons films à sortir ne sont guère nombreux. Pour prolonger votre plaisir (coupable), je ne saurais trop vous conseiller également de lire l’interview de Bobcat Goldthwait faite par Tootpadu lors du festival de Deauville session 2012 et la transcription de la conférence de presse, qui sera mis en ligne à la fin de ce mois.
Vu le 6 septembre 2012, au C.I.D., Deauville, en VO
Note de Mulder: