
Titre original: | Morning |
Réalisateur: | Leland Orser |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 92 minutes |
Date: | 00 2010 |
Note: | |
Alice ne peut plus vivre avec son mari Mark. Elle quitte la maison familiale pour s’installer à l’hôtel. Alors que Mark se recroqueville chez lui, Alice est recueillie par une amie, mais décide finalement d’aller seule au bout de sa peine. La consultation d’un médecin et d’une conseillère de deuil ne lui permettent pourtant pas de tirer un trait sur l’événement tragique qui a bouleversé sa vie de famille une ou deux semaine plus tôt.
Critique de Tootpadu
Deux films à la thématique sensiblement identique, qui ne pourraient pourtant pas être plus différents l’un de l’autre. Là où Don Roos avait tout faux dans l’exécrable Love and other impossible pursuits, le premier film de l’acteur Leland Orser est le récit bouleversant d’un deuil que les parents n’arrivent pas à accomplir. Ce n’est pas tant le sujet qui fait la force du coup de cœur émotionnel de ce festival de Deauville, mais le traitement à fleur de peau, qui ne prétend pas pour autant que la vie s’arrête à cause de la disparition accidentelle d’un enfant. L’illusion de l’environnement préservé de la résidence familiale et celle de la routine matinale effectuée par la vieille femme de ménage sont vite démenties par la guerre des nerfs que se livre le couple. Un acte sexuel sans joie avant que le réveil ne sonne imperturbablement à 6h30 n’est alors que le début relativement mesuré, après lequel Alice et Mark laissent libre cours à l’expression brutale de leur chagrin. Sauf que nous ne savons pas encore à ce moment-là ce qui cloche dans ce couple. Les supplications de l’épouse envers son mari traumatisé s’apparentent plus au genre de tempête conjugale que George et Martha adoraient se livrer dans Qui a peur de Virginia Woolf ? de Mike Nichols.
Pour notre plus grand bonheur, la découverte de la tragédie qui a rendu les deux personnages principaux de Morning - qui aurait aussi bien pu s’appeler Mourning - si amers se fait tout en douceur, un jour à la fois. Le respect d’une structure narrative souple, qui s’adapte au déroulé journalier des personnages au fur et à mesure qu’ils sortent de leur torpeur, permet non seulement de soutenir efficacement la charge émotionnelle considérable que le film accumule sans peine. Il élargit également le champ des personnes touchées de près ou de loin par les conséquences de l’accident. Tandis que Don Roos avait le plus grand mal à faire exister les personnages secondaires dans son film cité plus haut, ils acquièrent presque par miracle une épaisseur pharamineuse ici. Que ce soit Lluvia, la vieille bonne qui se rend fidèlement tous les matins sur son lieu de travail, tout en sachant que l’accès lui sera probablement refusé et qui devient pourtant la béquille d’une valeur émotionnelle inestimable quand son patron aura le plus besoin d’elle, dans un lieu aussi improbable qu’une piscine vide, ou les deux docteurs Goodman, qui tentent chacun à sa façon de venir en aide à Alice, sans oublier bien sûr l’amie qui ne recueille la mère en détresse que pour mieux se mettre en scène, l’intensité de la dérive du couple vedette repose avant tout sur leurs épaules.
Il n’existe pas de réponse facile au chagrin provoqué par le deuil suprême, qui est celui des parents appelés à enterrer leurs propres enfants, et Leland Orser ne cherche certainement pas à en trouver une. Le but de son premier film magnifique serait plutôt d’indiquer quelques mécanismes de fuite face à la douleur insupportable, comme l’infantilisation que Mark vit dans l’isolation de sa maison ou le compliment sur les yeux qu’Alice fait à chaque homme qu’elle croise. En même temps, la fin assez ouverte n’est pas vraiment une source de joie, mais la confirmation douloureuse des séquelles permanentes que la mort d’un fils ou d’une fille laisse forcément. Nous le devons à la mise en scène à la fois délicate et pragmatique de Leland Orser et au jeu sublime de Jeanne Tripplehorn, par ailleurs sa femme à la ville, que ce constat, sans le moindre embellissement dégoulinant de sentiments, sonne aussi juste et qu’il nous a touchés aussi profondément.
Vu le 10 septembre 2010, au C.I.D., Deauville, en VO
Note de Tootpadu:
Critique de Mulder
La thématique de la famille était une des thématiques récurrentes de ce 36ème festival de Deauville, et plus précisément, les turbulences qui peuvent la détruire de l'intérieur (perte d'un des membres, conflits personnels). Ce premier film de l'acteur Leland Orser n'échappe pas à cette thématique et montre les jours qui suivent la mort accidentelle par noyade de l'enfant unique d'un couple. Le réalisateur, également acteur ici, s'est entouré de sa propre femme pour incarner son épouse à l'écran. La manière qu'il a de filmer cette mère en plein désarroi montre que pour elle, il serait capable du meilleur.
Certes, ce premier film manque de moyens financiers et cela se ressent par son côté minimaliste. Peu de dialogues et une lenteur excessive renforcent donc la portée de cette blessure atroce que ce couple traverse. Chacun va essayer de son côté de trouver une absolution face au fait qu'ils n'ont pas pu sauver leur enfant. Los Angeles est guère une ville où la pluie est présente. Pourtant chaque journée montrée dans ce film se passe sous le mauvais temps, comme si la nature transpire également la perte tragique de cet enfant.
Le cinéma indépendant semble donc la terre bénie pour les acteurs-réalisateurs débutants (voir Abel de Diego Luna) et surtout un refuge pour les actrices, qui ne trouvent plus de grands rôles dans les productions des studios. Jeanne Tripplehorn, qui marqua à jamais nos mémoires dans Basic instinct et Waterworld, montre une nouvelle fois ici l'étendue de son talent.
Ce film ne sera pas diffusé dans beaucoup de salles, si il ne sort pas directement en vidéo, car le cinéma indépendant n'est pas pour les exploitants un moyen de rentrer dans leurs frais. Nous sommes loin ici des produits sans âme, déversés sur nos grands écrans.
Vu le 10 septembre 2010, au C.I.D., Deauville, en VO
Note de Mulder: