HBOMax - Merteuil : une réinvention envoûtante des Liaisons dangereuses qui électrise le XVIIIᵉ siècle

Par Mulder, 12 novembre 2025

Il y a quelque chose de délicieusement renversant dans Merteuil, cette ambitieuse production de HBO et HBO Max réalisée par Jessica Palud et écrite par Jean-Baptiste Delafon, qui ose plonger encore plus profondément dans les zones d’ombre et de lumière d’un personnage qui n’a cessé de fasciner lecteurs et cinéphiles depuis la publication du roman de Pierre Choderlos de Laclos en 1782. Dès les premières images – six épisodes de 52 minutes d’une rare densité –, la série s’affirme comme une œuvre qui entend non seulement revisiter Les Liaisons dangereuses mais aussi combler un vide : raconter comment Isabelle Dassonville, jeune orpheline naïve, devient la redoutable marquise de Merteuil. À travers une approche sexy, pop et résolument moderne, la série assume une perspective féminine affirmée qui bouleverse les codes visuels et narratifs traditionnels du XVIIIᵉ siècle. Les producteurs Clément Birnbaum, Joachim Nahum et Marie Guillaumond défendent une vision audacieuse où les intrigues aristocratiques se chargent d’un souffle romanesque intense, sublimé par la photographie de Sébastien Buchmann, le montage d’Eric Armbruster, de Thomas Marchand et de Camille Toubkis, ainsi que la musique atmosphérique de Delphine Malausséna. Une démonstration de force qui rappelle combien HBO sait transformer les récits historiques en fictions totalisantes.

Très vite, on comprend qu’avec Anamaria Vartolomei, la série a trouvé non seulement son héroïne, mais aussi son moteur émotionnel. L’actrice joue Isabelle avec une intensité d’autant plus saisissante qu’elle construit littéralement le mythe. Ses premiers pas hésitants dans un Paris libertin aux fastes trompeurs, sa découverte brutale du pouvoir masculin via la trahison du vicomte de Valmont, incarné avec panache par Vincent Lacoste, dessinent les contours d’un personnage qui se forge dans la douleur, la ruse et l’ambition. Jessica Palud, qui connaît parfaitement les forces de son actrice, l’accompagne dans un glissement subtil : robes plus sombres, regards plus durs, gestuelle plus assurée. Un vrai travail de métamorphose pensé dès la genèse du projet, et que la réalisatrice décrit comme un “revenge movie” XVIIIᵉ siècle, teinté d’une dimension tragique et profondément féministe. La série assume ce choix sans retenue et le revendique jusque dans les dialogues incroyablement ciselés par Jean-Baptiste Delafon, qui réussit à écrire un « faux vrai français » d’une sophistication redoutable, à la fois accessible et cru, presque théâtral, sans jamais sombrer dans la reconstitution figée.

Dans ce tableau de passions, de mensonges et de jeux de domination, deux présences sculptent la série dans une direction profondément humaine : Diane Kruger et Lucas Bravo. Sous les traits de Madame de Rosemonde, Diane Kruger est bouleversante, trouvant une grâce rare dans ce personnage que l’on croyait connaître mais que la série explore avec une délicatesse inattendue. Son interprétation incarne ce regard féminin qui manquait souvent aux adaptations précédentes : mentor, amie, rivale, confidente, elle se révèle comme la figure essentielle à la transformation d’Isabelle en Merteuil. L’actrice, très impliquée dans les détails de costumes et de mise en scène, porte un personnage chargé de contradictions – moderne dans sa vision, prisonnière dans sa condition – et propose une lecture contemporaine d’une femme vieillissante qui refuse l’effacement. Face à elle, Lucas Bravo incarne un comte de Gercourt élevé au rang de véritable antagoniste : libertin toxique, organisateur d’orgies, abuseur mondain, il devient le visage le plus cru du patriarcat. L’acteur y trouve un rôle totalement inédit dans sa carrière, livrant une prestation étrange, dérangeante, presque animalement charnelle, qui contribue à faire de Gercourt l’un des obstacles les plus brutaux auxquels Merteuil ait jamais été confrontée à l’écran.

Un mot doit également être salué sur la beauté esthétique de la série : elle est omniprésente, vibrante, presque hypnotique. Le travail de la cheffe costumière Pascaline Chavanne, qui refuse les volumes empesés et les tissus d’époque trop rigides, introduit une vision fluide, sensuelle et très incarnée du XVIIIᵉ siècle, permettant aux acteurs de se toucher, de s’approcher, de respirer. Les couleurs deviennent un langage en soi : les bleus glacés de Diane Kruger, les pastels qui virent au sombre d’Anamaria Vartolomei, les motifs félins et rouges agressifs de Gercourt, tout participe à une dramaturgie du tissu qui complète l’écriture des personnages. La collaboration avec le chef décorateur Florian Sanson renforce cette impression de cohésion totale : entre les châteaux de Normandie, ceux du Val-d’Oise – Magnitot, Balincourt, Villette, Boissy, Champlâtreux – et les intérieurs magnifiquement éclairés, la série navigue entre réalisme historique, vision artistique moderne et intensité dramatique. Une esthétique travaillée au millimètre, pensée pour éviter toute référence trop marquée à Barry Lyndon ou Bridgerton, mais pour inventer une nouvelle voie, plus électrique, plus charnelle, plus intime.

Le récit, quant à lui, épouse la montée en puissance de la future marquise avec une précision chirurgicale : des bas-fonds libertins aux salons aristocratiques, de la rue aux couloirs de Versailles, Merteuil s’impose comme une fresque où les stratégies dominent chaque geste. Jean-Baptiste Delafon imagine une structure brillante où les trois premiers épisodes inventés prolongent intelligemment l’univers de Laclos tandis que les derniers rejoignent la matière originelle. Il tisse un triangle Merteuil–Valmont–Tourvel profondément renouvelé, où la dévotion de Noée Abita dans le rôle de Madame de Tourvel devient un enjeu essentiel contrôlé par Isabelle, qui manipule autant qu’elle avoue. Le scénariste s’autorise aussi à développer davantage les personnages souvent oubliés des adaptations, comme le Chevalier Danceny et Cécile de Volanges – incarnés ici par Samuel Kircher et Fantine Harduin –, que Merteuil modèle avec une cruauté presque maternelle, preuve supplémentaire que son ascension est un récit de pouvoir dans sa forme la plus pure. Les épisodes montent en intensité comme un piège qui se referme, pour culminer dans un final à Versailles où Merteuil défie le roi et atteint son apogée, au prix d’un sacrifice moral dévastateur.

Présentée au Festival de la fiction de La Rochelle 2025 en section Fictions événements, la série porte clairement l’ambition d’une œuvre majeure. Véra Peltekian, vice-présidente des productions originales françaises chez HBO Max, résume parfaitement ce souffle épique : « Merteuil explore les jeux de pouvoir, la manipulation et les dilemmes moraux à travers des personnages complexes et fascinants, revisitant l’esprit des Liaisons dangereuses sous un prisme moderne tout en conservant son intensité originelle. » Et force est d’admettre que le résultat dépasse largement l’exercice d’adaptation : Merteuil s’impose comme une œuvre autonome, vibrante, ciselée, portée par une écriture intelligente, une mise en scène viscérale et des interprètes en état de grâce. Bien plus qu’un simple préquel, c’est une réflexion politique sur la domination, une radiographie émotionnelle de l’ambition féminine et un hommage troublant à l’héritage de Laclos. Une série qui ne cherche jamais à flatter son époque, mais à s’y inscrire avec une clarté et une audace irrésistibles. Et lorsque les derniers plans laissent apparaître une Isabelle devenue Merteuil – lucide, libre, dangereuse –, on comprend que le pari est pleinement réussi : redonner une voix à Merteuil, c’était lui offrir enfin le rôle principal. Ici, elle règne absolument.

Synopsis : 
Pour être l'héroïne de sa propre vie, elle va briser celle des autres. Orpheline sans fortune, la jeune Isabelle de Merteuil se laisse piéger par les fausses promesses du vicomte de Valmont. Ivre de vengeance, elle se lance dans une vertigineuse ascension, défiant les hommes et leur pouvoir, depuis les bas-fonds libertins jusqu'à la cour de Louis XV. Au bout de sa lutte, un choix déchirant l'attend, entre amour et liberté.

Merteuil (The Seduction)
Réalisé par Jessica Palud
Écrit par Jean-Baptiste Delafon
Produit par Clément Birnbaum, Joachim Nahum, Marie Guillaumond, Marc Brunet
Avec Anamaria Vartolomei, Vincent Lacoste, Diane Kruger, Lucas Bravo, Noée Abita, Julien de Saint Jean, Fantine Harduin, Samuel Kircher, Sandrine Blancke, Patrick d'Assumçao
Directeur de la photographie : Sébastien Buchmann
Montage : Eric Armbruster, Thomas Marchand, Camille Toubkis
Musique : Delphine Malausséna
Sociétés de production : Nabi Production, Felicita Films
Distribution : HBO Max (États-Unis, France)
Date de sortie : 14 novembre 2025 (France)
Durée : 52 minutes (par épisode) (6 épisodes)

Photos:  Copyright Carolines Dubois - HBO Max