HBOMax - Marteuil : Quand l'innocence brûle et que l'ambition prend le pouvoir (notre critique)

Par Mulder, 14 novembre 2025

Revenir sur une histoire aussi immortelle et venimeuse que Les Liaisons dangereuses invite inévitablement à la comparaison avec ses prédécesseurs, du roman de Pierre Choderlos de Laclos publié en 1782 aux performances glaciales et emblématiques de Glenn Close et John Malkovich dans le film de 1988, en passant par le néon pop vengeur de Cruel Intentions. Pourtant, Jean-Baptiste Delafon et la metteuse en scène Jessica Palud abordent Marteuil avec une confiance malicieuse, remodelant le conte classique non pas comme une pièce de musée en costume, mais comme une dissection moderne du pouvoir, de la cruauté et de la faim émotionnelle, simplement déguisée sous des perruques poudrées et des couloirs de marbre. Ce qui frappe d'abord, c'est le renversement délibéré des rôles : au lieu de voir la marquise de Merteuil comme une marionnettiste omnisciente, nous voyons Isabelle, incarnée par Anamaria Vartolomei, arrachée à son innocence, trompée par Sébastien de Valmont, incarné par Vincent Lacoste, à travers un mariage factice qui ressemble presque à un traumatisme originel. C'est une reconfiguration intelligente, car la série refuse de la sacrer héroïne ; elle montre la blessure qui précède le prédateur, nous permettant de suivre chaque nouveau poignard qu'elle aiguise après s'être enfuie du couvent, l'humiliation encore fraîche sur sa peau. C'est dans les conséquences de la trahison que le rythme de la série est le plus intense, en particulier lorsque Isabelle fait irruption dans la maison de Madame de Rosemonde, incarnée par Diane Kruger, qui reconnaît dans cette jeune femme à la fois un problème et une arme potentielle.

Dès l'instant où Diane Kruger entre en scène, la série s'embrase d'une électricité résolument adulte. Kruger incarne Rosemonde comme une impératrice sur le déclin s'accrochant au pouvoir avec des griffes trempées dans le parfum, un personnage qui oscille entre mentor, conspiratrice et marionnettiste selon l'éclairage. L'un des moments forts de la série est celui où elle observe froidement la transformation d'Isabelle tout en ajustant une perruque élaborée, comme si elle sculptait à la fois les cheveux et l'être humain, démontrant silencieusement comment l'influence aristocratique s'exerce non pas par l'affection, mais par le calibrage. Sous sa tutelle, Isabelle gravit les échelons de la société parisienne à une vitesse déconcertante, obtenant un titre grâce à son mariage avec un noble plus âgé et commençant son lent et stratégique tourment de Valmont et du cruel Lucas Bravo, comte de Gercourt. Ce qui rend ces premiers épisodes captivants, c'est la reconnaissance par la série du fait que la mobilité sociale pour une femme dans la France du XVIIIe siècle s'apparente davantage à un champ de mines qu'à un escalier, et chaque pas d'Isabelle semble instable, comme si la vengeance elle-même risquait de consumer la personne qu'elle tente de construire.

Sur le plan stylistique, Jessica Palud insuffle à la série l'assurance sensuelle d'un thriller érotique tout en l'ancrant dans une sensibilité typiquement française : le sexe comme monnaie d'échange, le sexe comme cage, le sexe comme rébellion, le sexe comme langage parlé couramment par ceux qui sont privés de toute autre forme d'autonomie. À son apogée, Marteuil ressemble à un ballet décadent de regards, de demi-sourires et de corsages stratégiquement déboutonnés, où chaque confession murmurée masque un poignard pointé dans le dos de quelqu'un. L'un des aspects les plus intrigants de la série est sa réflexion sur le genre : comment le libertinage accorde la liberté aux hommes et la parsème de dangers pour les femmes. À un moment donné, Isabelle réfléchit, de manière presque clinique, à la rapidité avec laquelle les hommes puissants renoncent à leur raison lorsqu'ils sont confrontés à la beauté ; c'est un écho effrayant du roman original, mais aussi un commentaire moderne sur les structures fragiles qui façonnent le désir. Et pourtant, l'érotisme de la série n'est pas gratuit : même ses moments les plus torrides misent moins sur le choc que sur la stratégie, révélant la fusion inconfortable entre vulnérabilité et domination qui alimente l'ascension d'Isabelle.

Cependant, malgré l'élégance de son récit et la somptuosité de sa réalisation, Marteuil cède parfois sous le poids de sa propre ambition. Vers le milieu, l'intrigue devient plus circulaire qu'ascendante, répétant les séductions et les manipulations sans en intensifier les conséquences. Les intrigues d'Isabelle, au lieu de se resserrer vers une tragédie inévitable ou un jugement moral, donnent parfois l'impression de tourner en rond, en particulier dans ses interactions avec des personnages comme l'innocente Cécile de Volanges, interprétée avec une délicate perplexité par Fantine Harduin. La série s'appuie fortement sur l'idée symbolique que le sexe est la seule forme de pouvoir accessible à ces femmes, mais cette répétition risque d'aplatir la complexité de ce qui semblait initialement être une exploration richement stratifiée. Même les performances puissantes, telles que celle de Noée Abita dans le rôle troublé de Madame de Tourvel ou celle de Samuel Kircher dans le rôle sincère du Chevalier Danceny, peinent à percer un récit qui semble se contenter de tourner trop longtemps autour du même espace émotionnel.

Et pourtant, malgré ces ratés structurels, le casting élève l'expérience. Diane Kruger est une révélation, passant avec une aisance soyeuse de la tendresse à la malice ; il y a des moments où son regard calme contient plus de danger que n'importe quelle confrontation physique. La transformation d'Anamaria Vartolomei, qui passe de jeune fille de couvent à prédatrice aristocratique, est tout aussi magnétique, même si le scénario précipite parfois son évolution vers la cruauté au lieu de la laisser s'imprégner naturellement. Ses scènes avec Vincent Lacoste, dont le Valmont rumine comme un homme à la fois fasciné et terrifié par la femme qu'il a autrefois rejetée, véhiculent la charge meurtrie et enivrante de deux personnages destinés à une destruction émotionnelle mutuelle assurée. L'un des plans les plus mémorables cadre Valmont à travers des rideaux transparents baignés d'une lumière dorée, le transformant en un tableau vivant, emblème de l'ambition visuelle de la série et de son insistance sur le fait que la séduction relève autant de l'esthétique que de l'intention.

À mesure que l'histoire approche de sa fin, les enjeux émotionnels s'intensifient enfin et la série retrouve son élan initial. Vers la fin de la saison, les motivations s'estompent, les alliances se défont et les conséquences des méfaits de chaque personnage commencent à faire écho à la cruauté du roman original, bien qu'atténuée, comme si Marteuil hésitait à embrasser pleinement le fatalisme impitoyable de son ancêtre littéraire. L'utilisation anachronique de « Hallelujah » de Jeff Buckley peut diviser les spectateurs, mais il y a quelque chose d'étrangement approprié à entendre une mélancolie moderne murmurer sur un drame imprégné d'un péché vieux de plusieurs siècles. Cela suggère une universalité émotionnelle, l'idée que la trahison, l'ambition et le désir se répercutent de manière inchangée à travers les époques. Si la fin n'atteint pas le niveau de tragédie brutale que certains puristes pourraient souhaiter, elle n'en reste pas moins cohérente avec la vision du monde de cette adaptation : les conséquences arrivent, mais pas toujours sous forme d'exécutions ; le regret lui-même peut être la punition la plus sévère.

Au final, Marteuil est une réinterprétation enivrante, inégale et magnifiquement mise en scène, qui fascine par ses images somptueuses, ses performances acérées et son audace thématique, même si elle manque parfois de rythme et de cohérence narrative. Il réussit surtout lorsqu'il embrasse l'ambiguïté : lorsque l'émancipation d'Isabelle semble à la fois triomphante et corrosive, lorsque la séduction devient indissociable de la guerre, lorsque l'éclat du plaisir cache le frisson du danger. Bien qu'il ne soit pas aussi impitoyable ou psychologiquement perçant que le chef-d'œuvre de Pierre Choderlos de Laclos, il offre un miroir hypnotique à ses thèmes, les réfractant à travers un prisme moderne qui met l'accent sur les blessures émotionnelles plutôt que sur la cruauté opératique. Au final, Marteuil n'est peut-être pas aussi incisif que ses prédécesseurs, mais il se taille néanmoins une place mémorable, opulente, séduisante et teintée d'un poison juste assez puissant pour piquer.

Synopsis :
Pour être l'héroïne de sa propre vie, elle détruira celle des autres. Orpheline sans fortune, la jeune Isabelle de Merteuil est piégée par les fausses promesses du vicomte de Valmont. Ivre de vengeance, elle se lance dans une ascension vertigineuse, défiant les hommes et leur pouvoir, depuis les bas-fonds libertins jusqu'à la cour de Louis XV. À la fin de son combat, un choix déchirant l'attend, entre l'amour et la liberté.

Marteuil
Réalisé par Jessica Palud
Écrit par Jean-Baptiste Delafon
Produit par Clément Birnbaum, Joachim Nahum, Marie Guillaumond, Marc Brunet
Avec Anamaria Vartolomei, Vincent Lacoste, Diane Kruger, Lucas Bravo, Noée Abita, Julien de Saint Jean, Fantine Harduin, Samuel Kircher, Sandrine Blancke, Patrick d'Assumçao
Directeur de la photographie : Sébastien Buchmann
Montage : Eric Armbruster, Thomas Marchand, Camille Toubkis
Musique : Delphine Malausséna
Sociétés de production : Nabi Production, Felicita Films
Distribution : HBO Max (États-Unis, France)
Date de sortie : 14 novembre 2025 (France)
Durée : 52 minutes (par épisode) (6 épisodes)

Note : 3/5

Photos : Copyright Carolines Dubois - HBO Max