Sorties-Cinema - Arco : quand l'animation française rêve du futur et réveille le présent

Par Mulder, 05 octobre 2025

De temps à autre, l'animation française produit une œuvre si lumineuse qu'elle fait le pont entre poésie et philosophie, imagination et émotion. Arco, réalisé par Ugo Bienvenu et coécrit avec Félix de Givry, est l'un de ces rares miracles. Présenté en avant-première au Festival de Cannes 2025 dans la section Séances spéciales, le film a captivé le public par sa beauté et sa clarté émotionnelle avant de remporter le Cristal du meilleur long métrage au Festival international du film d'animation d'Annecy. Il a ensuite reçu le Prix du public au Festival du film des Champs-Élysées 2025 et la Cigogne d'or du meilleur long métrage d'animation au Festival européen du film fantastique de Strasbourg. Plus qu'un film, Arco est une méditation sur la transmission, la mémoire et l'espoir, des idées qui ont défini l'univers artistique d'Ugo Bienvenu, de ses romans graphiques acclamés à ses courts métrages profondément personnels.

L'histoire se déroule en 2075. Une fillette de dix ans nommée Iris voit un étrange garçon vêtu d'un costume arc-en-ciel tomber du ciel. Il s'appelle Arco. Il vient d'un futur lointain et idyllique, l'année 2932, où le voyage dans le temps existe. Leur rencontre devient le cœur d'un récit mêlant aventure, science-fiction et tendresse. À travers le lien qui unit Iris et Arco, le film réfléchit au détachement croissant de l'humanité vis-à-vis de la nature et des autres. Iris, enfant d'un monde enfermé sous des dômes de verre, vit entourée d'hologrammes et de robots. Arco, quant à lui, vient d'une société harmonieuse où technologie et écologie coexistent. Leur rencontre ravive quelque chose qui avait été perdu : l'envie humaine de se connecter, d'apprendre et de rêver ensemble.

Visuellement, Arco se distingue comme une merveille artisanale. Ugo Bienvenu et Félix de Givry ont choisi de produire le film entièrement en 2D dans leur studio parisien, Remembers, une décision audacieuse à une époque dominée par la perfection numérique. Chaque image est dessinée à la main, respirant la chaleur et l'imperfection. Les visages, bien que d'abord modélisés en 3D pour leur structure, ont tous été redessinés afin de briser la douceur stérile du rendu numérique. Le résultat est une animation qui semble vivante. La lumière elle-même devient une force narrative : un pont entre les époques, les souvenirs et les mondes. La séquence dans la grotte, où les personnages sont plongés dans l'obscurité avant de découvrir des dessins anciens, rappelle les premiers actes artistiques de l'humanité, nous rappelant que la création résiste à l'érosion du temps.

L'arc-en-ciel, à la fois symbole et motif, résume l'esprit du film. Pour Ugo Bienvenu, c'est un élément pop de la nature, à la fois mystique et accessible. Il symbolise l'espoir, la connexion et la beauté après la tourmente. Arco, l'enfant arc-en-ciel, incarne cette idée d'unité entre la science et la spiritualité, entre l'innocence et la conscience. « Toutes les grandes idées partent d'un petit dessin », dit souvent Ugo Bienvenu, une phrase qui pourrait servir de manifeste au film. L'histoire traite essentiellement de l'imagination comme source du progrès.

À travers les yeux d'Iris, Arco oppose deux visions de la Terre : l'une où la technologie a pris le pas sur la réalité, et l'autre où l'humanité vit en équilibre avec son environnement. C'est une fable sur les choix, sur la façon dont le monde que nous construisons reflète nos valeurs. Les maisons en forme de dôme de la ville d'Iris, ses parents holographiques qu'elle ne peut pas toucher, les paysages synthétiques... Toutes ces images remettent en question le fait de savoir si le progrès sans présence compte encore comme progrès. Félix de Givry explique qu'Arco a été conçu pour une génération qui n'a jamais connu la vie avant les smartphones, pour qui l'intimité numérique a remplacé la proximité réelle. Le film est le miroir de notre époque, où la lumière artificielle nous empêche souvent de voir ce qui est vraiment lumineux.

L'écologie n'est pas seulement une toile de fond, mais un courant sous-jacent essentiel. L'un des moments les plus marquants du film, un immense incendie qui consume le monde d'Iris, s'inspire directement des catastrophes climatiques réelles. Pourtant, le film ne fait jamais la morale, il invite simplement à la réflexion. Son guide pédagogique, rédigé par Jean-Charles Malbec, étend la portée du film aux salles de classe, utilisant Arco comme une passerelle pour explorer les écosystèmes, le changement climatique et la responsabilité environnementale. Il est rare qu'un film d'animation fusionne aussi naturellement l'art et la pédagogie, transformant la science en histoire et la prise de conscience en émerveillement.

Derrière la production se cache un partenariat remarquable. Ugo Bienvenu et Félix de Givry se sont rencontrés en travaillant sur Eden de Mia Hansen-Løve, puis ont fondé Remembers en 2018. Ils ont construit Arco comme leurs héros du Studio Ghibli l'avaient fait autrefois : de manière indépendante, collaborative et avec une croyance presque obstinée en la beauté. Refusant d'externaliser la production, ils ont tout animé à Paris, renonçant à certaines subventions régionales au profit du contrôle artistique. Leur persévérance a attiré l'attention de Natalie Portman et Sophie Mas, dont la société Mountain A s'est jointe au projet, apportant non seulement des fonds, mais aussi sa confiance. Cette indépendance rare, qui privilégie l'intégrité plutôt que l'ampleur, a permis à Arco de conserver son âme intacte.

Avec les voix de Swann Arlaud, Alma Jodorowsky, Louis Garrel, Vincent Macaigne et Oxmo Puccino, le film dégage une chaleur et une intelligence qui le font résonner bien au-delà de ses 82 minutes. C'est à la fois une fable pour enfants et un éveil pour adultes, un rappel lumineux que l'art peut nous apprendre à voir à nouveau. À une époque où le cinéma confond souvent bruit et émotion, Arco apparaît comme une révolution silencieuse, un film qui murmure plutôt que crie, mais qui laisse le cœur tremblant. Ugo Bienvenu et Félix de Givry nous offrent plus qu'un long métrage d'animation : ils nous offrent une vision. Arco est un rêve de réconciliation – entre la nature et le progrès, entre le passé et l'avenir, entre les adultes et les enfants. Et peut-être, entre ce que nous sommes et ce que nous avons encore le temps de devenir. Car parfois, pour sauver le monde, il suffit de croire en un arc-en-ciel.

Synopsis :
En 2075, une fillette de 10 ans nommée Iris voit un mystérieux garçon vêtu d'un costume arc-en-ciel tomber du ciel. Il s'appelle Arco. Il vient d'un futur lointain et idyllique où le voyage dans le temps est possible. Iris l'accueille chez elle et fait tout son possible pour l'aider à rentrer chez lui.

Arco
Réalisé par Ugo Bienvenu
Écrit par Ugo Bienvenu, Félix de Givry
Produit par Ugo Bienvenu, Félix de Givry Sophie Mas, Natalie Portman
Avec Swann Arlaud, Alma Jodorowsky, Margot Ringard Oldra, Oscar Tresanini, Vincent Macaigne, Louis Garrel, William Lebghil, Oxmo Puccino
Directeur de la photographie :
Montage : Nathan Jacquard
Musique : Arnaud Toulon
Sociétés de production : Remembers, Mountain A
Distribution : Diaphana Distribution (France), NEON (Etats-Unis)
Date de sortie : 22 octobre 2025 (France), November 14, 2025 (Etats-Unis)
Durée : 82 minutes

Photos : Copyright Remembers Mountain A