sortie-cinema - En première ligne : Portrait viscéral de l'héroïsme moderne dans un système en ruine

Par Mulder, 28 juin 2025


Dans le film En première ligne, écrit et réalisé par Petra Volpe, le public n'est pas simplement invité à observer, mais plutôt contraint de vivre, à chaque instant, l'expérience douloureuse, chaotique et profondément humaine du travail dans un système de santé en pleine déliquescence. Porté par la performance d'une rare intensité de Leonie Benesch, le film explore l'univers de Floria, une infirmière dont le dévouement est constamment mis à l'épreuve dans la réalité accablante d'un service hospitalier en proie à des sous-financements, à des pénuries de personnel et au poids invisible mais oppressant de l'échec institutionnel. Contrairement aux dramatisations qui s'appuient sur l'exagération, En première ligne tire sa tension de la vérité brute, reflétant non seulement l'état du système de santé suisse, mais aussi la crise mondiale commune qui afflige la médecine moderne. Le résultat est une description saisissante, presque claustrophobe, d'une nuit de travail qui ressemble à un champ de bataille, réalisée avec un tel réalisme et un tel sentiment d'urgence que les spectateurs quitteront le cinéma bouleversés mais éclairés.

La force du film En première ligne réside dans son authenticité, que Petra Volpe a recherchée avec un dévouement sans faille. La genèse du film remonte à l'intérêt de longue date de Petra Volpe pour les conditions de travail des professionnels de santé, un intérêt ancré dans sa vie personnelle. Ayant vécu avec une infirmière, Petra Volpe a été témoin du poids émotionnel et moral que portent ces héros méconnus. Le projet a gagné en authenticité grâce à sa rencontre avec le livre de Madeline Calvelage, Unser Beruf ist nicht das Problem. Es sind die Umstände, un récit de nuit si captivant qu'il est devenu la colonne vertébrale émotionnelle et structurelle du scénario. Le scénario est le fruit d'un travail collaboratif, Madeline Calvelage ayant été consultée tout au long du processus et apporté un éclairage précieux sur la réalité qui se cache derrière les blouses blanches. De plus, Nadja Habicht, spécialiste des soins de santé, a accompagné la production de sa conception à la post-production, guidant chaque décision créative afin de garantir que le réalisme soit toujours au rendez-vous.

Au centre de ce tourbillon se trouve Leonie Benesch, dont la transformation en Floria est tout simplement révélatrice. Connue pour son travail dans Babylon Berlin, The Crown et la série acclamée La Salle des profs, Leonie Benesch se fond complètement dans son rôle. Elle a suivi une formation immersive à l'hôpital cantonal de Liestal, où elle a répété les procédures aux côtés de véritables infirmières, maîtrisant les gestes, les rythmes et les silences des soins infirmiers jusqu'à ce qu'ils deviennent une seconde nature. Cette préparation physique se manifeste à l'écran avec une précision saisissante : chaque interaction avec un patient, chaque regard jeté dans un couloir encombré est empreint de mémoire musculaire et de fatigue. Sa présence est naturelle et magnétique, suscitant l'empathie sans sentimentalisme. C'est une performance qui ne repose pas sur le dialogue, mais sur l'immersion, faisant de Leonie Benesch le vecteur idéal à travers lequel le public vit à la fois les triomphes et les échecs du personnel soignant en première ligne.

Le rythme implacable du film est rehaussé par la cinématographie dynamique, mais jamais intrusive, de Judith Kaufmann, dont les précédentes collaborations avec Petra Volpe dans Traumland et Les Conquérantes ont démontré sa capacité inégalée à allier esthétique et urgence émotionnelle. Ici, la caméra devient presque un personnage à part entière, planant près de l'épaule de Floria, la suivant à travers des couloirs labyrinthiques, capturant l'épuisement viscéral gravé sur son visage. Judith Kaufmann évite l'éclat policé que l'on voit souvent dans les séries médicales ; elle opte plutôt pour un réalisme tactile, laissant les lumières fluorescentes clignoter et les murs stériles paraître froids. Chaque image respire la même fatigue et la même pression que son protagoniste. Le montage de Hansjörg Weissbrich intensifie cet effet : les coupes sont serrées, les scènes s'enchaînent sans répit, tout comme les gardes dans le monde réel. La musique, composée par Emilie Levienaise-Farrouch, est subtile, émouvante, mais jamais manipulatrice. Elle ne sert pas à susciter des émotions, mais à faire écho à ce que nous ressentons déjà, rendant douloureusement audible le tribut invisible du travail.

Au-delà de ses qualités stylistiques, En première ligne résonne sur le plan politique et sociologique. Ce film n'est pas seulement une œuvre d'art, c'est un appel à la prise de conscience. Les chiffres sont stupéfiants : la Suisse, souvent louée pour son système de santé, sera confrontée à une pénurie de 40 000 infirmières d'ici 2040. Avec le vieillissement de la population et le désintérêt des jeunes pour cette profession en raison de l'épuisement professionnel et des faibles rémunérations, la pression sur le personnel existant se multiplie. À l'échelle mondiale, la situation n'est guère meilleure, l'Organisation mondiale de la santé prévoyant une pénurie de 13 millions d'infirmières d'ici 2030. Comme le soulignent les communiqués de presse, ce déficit a conduit à une sorte de néocolonialisme sanitaire, les pays riches important des infirmières expérimentées des pays plus pauvres sans investissement réciproque. Ces dynamiques ne sont pas de simples statistiques dans le film en première, ligne, elles en sont l'ADN. Chaque image est construite autour de ce à quoi ressemblent ces crises au niveau humain : la sueur, l'insomnie, le chagrin et ces moments fugaces et miraculeux de tendresse entre un soignant et un patient.

Le casting des seconds rôles a été abordé avec le même souci de réalisme. Petra Volpe a délibérément choisi des acteurs peu connus du grand public, notamment des comédiens de théâtre et même de véritables professionnels de santé, afin que chaque visage à l'écran reflète les traces et la sagesse de l'expérience vécue. Des acteurs tels que Sonja Riesen, Alireza Bayram, Selma Jamal Aldin et Urs Bihler contribuent au réalisme texturé et multiculturel du film. En dépeignant un monde où la vie et la mort s'affrontent à chaque instant, En première ligne souligne une vérité souvent ignorée : la maladie, la vulnérabilité et les soins sont des expériences universelles qui transcendent les classes sociales, les cultures et les langues.

Tourné principalement dans un hôpital abandonné, qui a dû être transformé avec une attention obsessionnelle aux détails, le film brouille la frontière entre fiction et documentaire. La conception des décors et l'éclairage contribuent à créer un espace qui semble habité, et non mis en scène, un lieu où la routine côtoie l'urgence, où la dignité lutte contre le désespoir. L'équipe de production, dirigée par Reto Schaerli et Lukas Hobi de Zodiac Pictures, aux côtés de Bastie Griese, a veillé à ce que chaque élément, des costumes au maquillage en passant par les interactions avec les patients, reste fidèle au monde réel qui a inspiré l'histoire. Il ne s'agit pas d'une vision aseptisée des soins de santé. Il n'y a aucun romantisme à voir Floria contrainte de choisir entre la dignité et la survie, seulement du respect et, parfois, de l'horreur face à la normalisation de la souffrance.

En première ligne n'est pas seulement un film remarquable, c'est un coup de poing émotionnel, un acte cinématographique de défense des droits. Petra Volpe a réalisé une œuvre qui nous oblige à affronter ce que nous ignorons trop souvent : le travail invisible, les systèmes défaillants et le poids psychologique de ceux qui prennent soin de nous lorsque nous sommes le plus vulnérables. Ce faisant, elle offre non seulement un film, mais aussi un hommage à toutes les Floria qui, dans la vie réelle, naviguent dans le chaos institutionnel avec grâce, rage et une humanité sans limites. Qu'il soit vu comme un thriller captivant, un commentaire social ou une lettre d'amour à la profession infirmière, En première ligne est avant tout une invitation à voir et à respecter ceux qui se trouvent toujours en première ligne.

Synopsis :
Floria est une infirmière dévouée qui doit faire face au rythme effréné d'un service hospitalier en sous-effectif. Malgré le manque de ressources, elle s'efforce d'apporter humanité et chaleur à chacun de ses patients. Mais au fil des heures, les demandes deviennent de plus en plus pressantes et, malgré son professionnalisme, la situation commence à dégénérer...

En première ligne (Heldin)
Écrit et réalisé par Petra Volpe
Produit par Reto Schaerli, Lukas Hobi
Avec Leonie Benesch, Sonja Riesen, Alireza Bayram, Selma Jamal Aldin, Urs Bihler, Margherita Schoch, Albana Agaj, Ridvan Murati, Urbain Guiguemdé, Elisabeth Rolli, Doris Schefer, Jürg Plüss, Jeremia Chung, Eva Fredholm, Andreas Beutler, Lale Yavas, Dominique Lendi
Musique : Emilie Levienaise-Farrouch
Directrice de la photographie : Judith Kaufmann
Montage : Hansjörg Weissbrich
Sociétés de production : Zodiac Pictures, Bastie Griese
Distribution : Wild Bunch Distribution (France)
Date de sortie : 27 août 2025 (France)
Durée : 92 minutes

Photos : Copyright TOBIS Film GmbH