sortie-cinema - The Return, le retour d’Ulysse : Ralph Fiennes et Juliette Binoche subliment une odyssée intérieure profondément émouvante

Par Mulder, 01 juin 2025

Avec The Return, le retour d’Ulysse le réalisateur Uberto Pasolini réussit un pari audacieux : démystifier l'un des récits fondateurs de la civilisation occidentale pour en révéler la substance humaine déchirée, souvent silencieuse. Librement adapté de la fin de L'Odyssée, ce long métrage, présenté en avant-première au Festival du film de Toronto en 2024 et dont la sortie en France est prévue le 18 juin 2025, réunit pour la troisième fois deux icônes du cinéma d'auteur : Ralph Fiennes et Juliette Binoche. Plus de 25 ans après Le Patient anglais, leur complicité artistique reste intacte, mais s'exprime ici dans un registre radicalement différent : la retenue, l'usure du temps et la douleur des retrouvailles. Ce film n'est pas un drame historique épique à la Peter Jackson ou Ridley Scott, mais une odyssée intérieure qui rappelle une tragédie grecque, tournée avec une sobriété presque monastique, magnifiée par le travail de la caméra du directeur de la photographie Marius Panduru.

Le projet, que Uberto Pasolini développe depuis plus de 30 ans, tire sa force d'un scénario dense, écrit par Edward Bond, John Collee et Uberto Pasolini lui-même, qui rejette toute forme de grandiloquence. Le film se déroule à la toute fin de l'histoire d'Ulysse : il revient à Ithaque après vingt ans de guerre, méconnaissable, dépouillé de tout héroïsme. Il n'est plus l'homme aux mille ruses, mais un fantôme errant, brisé, qui se glisse dans les ruines de son propre royaume. Ralph Fiennes, qui s'est préparé physiquement pour incarner ce corps meurtri – « un corps comme une corde usée », selon ses propres termes –, livre l'une de ses performances les plus dépouillées et les plus sobres, utilisant davantage son regard et sa posture que les mots pour exprimer le poids de l'absence, de la honte et de la culpabilité. Loin des contes de monstres et de sirènes, son Ulysse est avant tout un homme perdu, qui revient dans un monde qui ne l'attend plus. Face à lui, Juliette Binoche incarne une Pénélope féroce, souveraine dans son silence, emprisonnée dans un palais occupé par des prétendants qu'elle rejette obstinément depuis deux décennies.

 L'actrice, qui a trouvé une nouvelle résonance dans ce rôle après avoir lu L'Odyssée à son propre fils adolescent, refuse de faire de Pénélope une simple figure d'attente. Au contraire, elle incarne une femme stratégique et blessée, dont le stoïcisme masque une immense solitude. Ce qui se déroule entre Ralph Fiennes et Juliette Binoche n'est pas une histoire d'amour retrouvé, mais la difficile reconnexion de deux personnes qui ne se reconnaissent plus.

 Il y a une tension subtile et une délicatesse brutale dans leurs échanges. La rareté et la préciosité des mots font penser à Bergman ou même à La Route de Cormac McCarthy. Chaque mot compte, chaque regard transperce la surface de l'autre. La mise en scène d'Uberto Pasolini est d'une sobriété presque radicale. Tourné en extérieur à Corfou, dans le Péloponnèse et dans la campagne italienne, le film suit le rythme lent du deuil et de la mémoire.
 La lumière naturelle, les gros plans sur les visages, les silences prolongés, tout contribue à faire de ce film une expérience sensorielle rare. Le spectateur est invité à observer, à attendre, à s'immerger dans un espace dévasté par la guerre, une maison en ruines, un chien fidèle qui ne reconnaît son maître que lorsqu'il est mourant. La musique minimaliste mais poignante de Rachel Portman accompagne cette méditation sur le temps perdu avec une partition discrète, presque invisible, dont les motifs s'infiltrent dans l'âme du film comme les vagues sur les rochers d'Ithaque.

Les seconds rôles sont interprétés avec plus ou moins de finesse, mais quelques performances se démarquent. Charlie Plummer, dans le rôle de Télémaque, incarne avec justesse ce fils candide mais rebelle, né en l'absence de son père, manipulé par les prétendants mais animé par un instinct profond pour la vérité. Marwan Kenzari, glaçant dans le rôle d'Antinoos, impose une autorité froide et bureaucratique qui contraste avec la brutalité attendue. Son visage figé, presque impassible, devient l'incarnation du pouvoir illégitime et de la menace silencieuse. Le duel final entre Ulysse et ses usurpateurs, en particulier lors du concours de tir à l'arc, est mis en scène sans la moindre trace de spectaculaire : pas de musique triomphante, pas d'effusion de sang exagérée, juste le silence d'un acte inévitable, celui de la justice rendue par la corde tendue de l'arc.

Le film explore les thèmes de la guerre, de la masculinité, de la transmission et de la reconstruction. Dans ses notes de production, Uberto Pasolini mentionne qu'il voulait faire un film sur les conséquences du conflit, sur l'homme qui revient mais ne rentre jamais vraiment chez lui. Le mythe devient ainsi une parabole sur tous les soldats brisés, les familles brisées et les royaumes perdus. Edward Bond, co-scénariste du film, décédé peu avant sa sortie, décrivait l'approche du film comme anti-patriarcale et anti-cinématographique, avec une volonté délibérée de rompre avec les conventions narratives traditionnelles afin de faire place à l'élément humain. Cette ambition est évidente dans chaque plan, même au risque de perdre une partie du public qui n'est pas préparé à cet ascétisme cinématographique.

The Return, le retour d’Ulysse s'impose comme une œuvre majeure et exigeante, dont la puissance émotionnelle réside dans les non-dits et les silences. Porté par deux acteurs immenses à la sensibilité brute, filmé avec une rare rigueur éthique et esthétique, il nous rappelle que l'essence du cinéma peut résider dans la plus pure économie de moyens. Une odyssée à contre-courant, où le voyage importe moins que ce que l'on trouve – ou ne trouve pas – au bout du chemin.

Synopsis :
De retour de la guerre de Troie après 20 ans d'absence, Ulysse échoue sur les côtes d'Ithaque, son ancien royaume. Sa femme Pénélope, qui lui est restée fidèle, y vit prisonnière dans sa propre maison, repoussant tous les prétendants au trône. Leur fils Télémaque, qui n'a jamais connu son père, devient un obstacle pour ceux qui veulent s'emparer du pouvoir.

The return, le retour d'Ulysse
Réalisé par Uberto Pasolini
Produit par James Clayton, Uberto Pasolini, Konstantinos Kontovrakis
Écrit par John Collee, Edward Bond, Uberto Pasolini
Avec Ralph Fiennes, Juliette Binoche, Charlie Plummer, Marwan Kenzari, Ángela Molina, Tom Rhys Harries, Amir Wilson, Moe Bar-El Elatus, Jamie Andrew Cutler Polybus, Jaz Hutchins Hippotas, Matthew T. Reynolds , Amesh Edireweera Leocritus, Pavlos Iordanopoulos Stratius
Musique de Rachel Portman
Directeur de la photographie : Marius Panduru
Montage : David Charap
Sociétés de production : Picomedia, Rai Cinema, Heretic, Ithaca Pictures Inc., Kabo Productions, Marvelous Productions
Distribution : Maverick Distribution (France), Bleecker Street (États-Unis)
Date de sortie : 6 décembre 2024 (États-Unis), 18 juin 2025 (France)
Durée : 118 minutes

Photos : Copyright Ithaca Films / Marvelous Productions