Avec A Real Pain, le public assiste à un mélange cinématographique audacieux d'esprit acéré, d'émotions profondes et du poids inéluctable de l'histoire. Cette comédie dramatique est le deuxième long métrage de Jesse Eisenberg en tant que scénariste-réalisateur, après ses débuts avec When You Finish Saving the World (Quand vous aurez fini de sauver le monde). Pourtant, A Real Pain n'est pas un film indépendant comme les autres ; il s'agit d'un projet profondément personnel qui parvient à marier anecdotes personnelles et réflexions historiques plus larges d'une manière rarement vue dans le cinéma contemporain. Coproduction internationale entre la Pologne et les États-Unis, le film a déjà été salué par la critique, l'American Film Institute et le National Board of Review l'ayant désigné comme l'un des dix meilleurs films de 2024.
A Real Pain s'articule autour de l'histoire de deux cousins juifs américains : David, interprété par Jesse Eisenberg lui-même, et Benji, joué par le toujours charismatique Kieran Culkin. Les deux cousins, mal assortis en termes de tempérament et de choix de vie, entreprennent un voyage apparemment simple en Pologne pour honorer leur grand-mère décédée. Il s'ensuit une exploration complexe des liens familiaux, des luttes personnelles et des traumatismes générationnels, le tout dans le contexte contrasté de la Pologne moderne et de ses repères historiques obsédants. Jesse Eisenberg, qui a des ancêtres polonais, a passé des années à se demander comment confronter et réconcilier son identité personnelle avec les grands récits historiques de ses ancêtres. Le film n'est donc pas seulement une entreprise artistique, mais aussi une catharsis personnelle, un moyen pour lui de poser des questions difficiles sur l'identité, le deuil et l'appartenance.
Jesse Eisenberg s'est inspiré d'expériences vécues, notamment d'un voyage décisif qu'il a effectué en Pologne il y a plus de vingt ans. Lors de ce voyage, il a visité la maison où sa tante avait vécu avant que l'Holocauste ne déplace sa famille. L'idée que cela aurait pu être sa vie, sa maison, son monde, est restée en lui. Ces souvenirs ont jeté les bases de A Real Pain, qui a mis près de quinze ans à se matérialiser en un récit cohérent et captivant. Le portrait nuancé de la Pologne que dresse le film se distingue précisément par le fait qu'Eisenberg a cherché à présenter un aspect du pays que le public américain ne voit que rarement. Au lieu de se concentrer uniquement sur son sinistre passé, il capture son présent vibrant et dynamique, aidé par l'expertise cinématographique de Michał Dymek, né à Varsovie, dont l'objectif fait ressortir à la fois la beauté et la solennité des paysages polonais.
Les personnalités contrastées de David et Benji sont le moteur du film. Jesse Eisenberg joue le rôle de David, un New-Yorkais coincé et angoissé qui, en apparence, a une vie bien ordonnée, mais qui, en réalité, lutte pour trouver un sens à sa vie et résoudre ses conflits intérieurs. Benji, interprété par Kieran Culkin, est quant à lui un personnage libre et impulsif dont le charme et l'imprévisibilité masquent souvent des blessures émotionnelles plus profondes. Leur dynamique est authentique et racontable, en grande partie parce qu'elle est enracinée dans la complexité réelle des relations familiales - l'amour, les tensions inexprimées et les bagages non résolus qui refont inévitablement surface dans les moments de perte et de réflexion. La performance de Kieran Culkin a été largement saluée par la critique comme une performance déterminante pour sa carrière, oscillant entre des moments d'hilarité et de vulnérabilité déchirante. En fait, Kieran Culkin était initialement réticent à accepter le rôle si peu de temps après avoir terminé sa célèbre performance dans le rôle de Roman Roy dans Succession. Cependant, le scénario poignant d'Eisenberg, associé à la douce persuasion de la productrice Emma Stone, l'a finalement convaincu de rester, et le public n'en est que plus riche.
L'un des aspects les plus frappants de A Real Pain est la façon dont il utilise l'humour comme mécanisme de survie pour ses personnages. Le scénario de Jesse Eisenberg, bien que serré et précis, laisse place à l'improvisation, en particulier pour Kieran Culkin, dont les instincts comiques naturels transparaissent dans les scènes où Benji interagit avec le groupe de touristes. Dans un moment mémorable, Benji transforme une sombre visite à un mémorial de la Seconde Guerre mondiale en un jeu de rôle impromptu, assignant aux membres du groupe différents rôles de soldats et d'avions. Cette scène, comme le rappelle Jesse Eisenberg, a été largement improvisée et a ajouté une couche de légèreté qui contrastait magnifiquement avec la lourdeur du cadre historique. Pourtant, même dans ses moments de légèreté, le film ne perd jamais de vue le thème sous-jacent : la question de savoir ce qu'est la vraie douleur. Cette question est au cœur du voyage de David. Comment ses luttes personnelles - son anxiété, son sentiment d'inadéquation - se comparent-elles à l'insondable souffrance endurée par les générations précédentes ? Eisenberg laisse magistralement cette question en suspens, invitant les spectateurs à y réfléchir longtemps après le générique.
Les acteurs secondaires enrichissent encore le récit du film. Will Sharpe livre une performance mémorable dans le rôle de James, le guide touristique qui devient à la fois une source de soulagement comique et un bouclier philosophique pour Benji. Sharpe, connu pour son rôle dans The White Lotus, qui lui a valu une nomination aux Emmy Awards, apporte une gravité tranquille à James, qui est dépeint comme un étranger profondément fasciné par l'histoire juive, mais qui dépasse souvent ses limites dans ses tentatives de se connecter à l'expérience du groupe. Jennifer Grey, dans un rôle surprise de Marsha, apporte profondeur et chaleur à un personnage qui redécouvre ses racines après une vie personnelle mouvementée. Ses scènes avec Kieran Culkin sont particulièrement touchantes, car elles laissent entrevoir la possibilité de liens inattendus, même au milieu du chagrin et du chaos.
Au-delà de ses excellentes performances, A Real Pain se distingue également par sa partition musicale unique, entièrement composée de morceaux de piano de Chopin. Interprétée par le pianiste israélo-canadien Tzvi Erez, la partition ajoute une couche de sophistication et de poésie au film. Contrairement aux partitions traditionnelles qui soulignent directement les émotions d'une scène, la musique de Chopin dans A Real Pain sert de commentaire réfléchi, comme si elle offrait un point de vue extérieur sur l'agitation intérieure des personnages.
Le tournage dans des lieux polonais réels, notamment le camp de concentration de Majdanek, rarement représenté, a été un choix audacieux qui a ajouté de l'authenticité et de la gravité au film. Eisenberg s'est d'abord entendu dire qu'il serait pratiquement impossible de tourner à Majdanek, mais sa persévérance a porté ses fruits. Le résultat est une séquence obsédante où le silence du lieu parle plus fort que n'importe quel dialogue. Les membres de l'équipe ont décrit le tournage comme une expérience profondément émouvante, Mme Grey racontant qu'elle a été tellement submergée par l'émotion lors d'une scène qu'elle a dû quitter le plateau.
Alors que A Real Pain poursuit son périple sur les marchés internationaux et se dirige vers sa sortie en streaming sur Hulu aux États-Unis à la mi-janvier 2025, il laisse une marque indélébile en tant que film qui ose poser de grandes questions tout en ne perdant jamais de vue les petits moments intimes qui rendent la vie à la fois douloureuse et belle. Qu'il soit perçu comme une comédie potache poignante ou comme une méditation plus profonde sur le deuil et l'héritage, A Real Pain offre quelque chose pour tout le monde : du rire, des larmes et, surtout, de la réflexion.
Synopsis :
Deux cousins aux caractères diamétralement opposés - David et Benji - se retrouvent lors d'un voyage en Pologne pour honorer la mémoire de leur grand-mère bien-aimée. Leur odyssée prend une tournure inattendue lorsque les vieilles tensions de ce duo improbable refont surface sur fond d'histoire familiale...
A real Pain
Écrit et réalisé par Jesse Eisenberg
Produit par Ewa Puszczyńska, Jennifer Semler, Jesse Eisenberg, Emma Stone, Ali Herting, Dave McCary
Avec Jesse Eisenberg, Kieran Culkin, Will Sharpe, Jennifer Grey, Kurt Egyiawan, Liza Sadovy, Daniel Oreskes
Directeur de la photographie : Michał Dymek
Montage : Robert Nassau
Sociétés de production : Topic Studios, Fruit Tree, Rego Park, , Extreme Emotions.
Distribué par Searchlight Pictures (Etats-Unis), The Walt Disney Company (France)
Dates de sortie : 20 janvier 2024 (Sundance), 1er novembre 2024 (États-Unis), 26 février 2025 (France).
Durée : 90 minutes
Photos : Copyright 2024 Searchlight Pictures Tous droits réservés.