Interview - Les Cadors : Entretien avec le réalisateur Julien Guetta

Par Mulder, 23 novembre 2022

Les cadors est le second long métrage co-écrit et réalisé par Julien Guetta après Roulez jeunesse (2018). On retrouve au casting Grégoire Ludig, Jean-Paul Rouve, Michel Blanc, Marie Gillain, Aurore Broutin, Niels Hamel-Brochen et Roman Angel. Le film sortira en France le 11 janvier 2023 et sera distribué par Jour2Fete.

q : Les cadors est un film qui navigue entre la comédie et le drame, pourquoi avoir choisi de mélanger ces deux genres ?

Julien Guetta : Je suis bercé par le cinéma américain qui maîtrise à merveille ce mélange des genres. Ce que j’aime faire, c’est raconter une histoire en apparence simple et faire du cinéma populaire : faire rire les gens, les émouvoir et dans le même temps, manier en sous-main des images qui questionnent la psychologie des êtres, les rapports entre les hommes et les femmes. En apparence, Les cadors est un film léger, mais en profondeur, il traite de réelles problématiques, et c’est aussi la raison pour laquelle il me fallait l’ancrer dans le monde professionnel bien réel et tangible des dockers.

Q : C’est l’histoire de deux frères inconsolés, de deux hommes vulnérables, que vous filmez avec tendresse.

Julien Guetta : Le contexte du film est celui des dockers, un univers très masculin et très codifié par essence, mais mes personnages sont deux hommes qui se sont façonnés sans avoir eu de repères dans l’enfance. Et j’ai, en effet, une tendresse infinie pour eux. L’idée était de montrer comment deux hommes ont pu se construire sans modèle féminin chacun à leur façon. Antoine a rencontré une femme un peu plus âgée que lui et est resté un grand enfant toute sa vie. Christian est, lui, sous ses aspects bourrus, plus fragile, plus tendre. Et j’aime cette relation maladroite et attentionnée qu’il peut avoir avec Madeleine. À y regarder de près, l’histoire de mes personnages est terrible : leur mère était battue par leur père alcoolique, s’est enfuie et les a, de fait, abandonnés. Voilà la base sur laquelle j’essaie de faire rire et émouvoir !

Q : l’un des enjeux dramatiques du film est de tuer symboliquement le père, cette statue du commandeur surnommée « Terminator » par ses enfants.

Julien Guetta : Absolument, d’où le fait que l’on voie son fils uriner sur sa tombe. Christian parvient ainsi à faire volte-face avec le passé. La grande question du film est la suivante : comment faire pour se détacher d’un passé qui nous a meurtri ?

Q : L’enfance peut être envisagée comme un territoire sacré dans ce film. c’est à ce moment que fut noué le lien étroit qui unit ces deux frères. la notion de territoire, par ailleurs, est symboliquement représentée au sol à la craie dans le bar où christian chante du renaud à tue-tête…

Julien Guetta : Le film est en effet, très lié à l’enfance et plusieurs scènes évoquent cette notion de territoire, comme celle des conteneurs lorsque Antoine, enfant, se retrouve enfermé dans l’un d’entre eux. D’une façon générale, LES CADORS raconte l’histoire d’un homme qui pénètredans le monde de son frère, presque par effraction, avec l’intention de s’installer à son tour.Le film fait des allers retours entre passé et présent. J’aimais l’idée de jouer avec les flashsbacks, trouver des idées de mise en scène qui nous montrent comment les évènements du passé font écho avec ce qui se passe dans le présent. Christian fait des concours degifles en réaction à ce qu’il a vécu avec son père, Antoine veut organiser une communion parfaite pour son fils pour conjurer le passé. Mais l’histoire se répète parfois, malgré notre bonne volonté. Tant qu’on ne règle pas ses problèmes, cela ne peut marcher : c’est l’aspect transgénérationnel du film.Au coeur du film, il y a cette idée de la reproduction. Les enfants dans le film sont observateurs de ce que font leurs parents et deviennent susceptibles de le reproduire.

Q :  Antoine est très fier de la robe qu’il offre à sa femme pour cette occasion…

Julien Guetta : C’est typiquement le cadeau d’un homme amoureux et maladroit : cette robe n’est pas appropriée à la circonstance, mais il la lui offre en étant si fier que cela devient touchant. Et je suis ému par l’idée qu’elle la porte quand même pour lui faire plaisir. Cela raconte quelque chose de leur histoire. Mes personnages sont vraiment des gentils garçons, qui se débattent dans un monde de brutes ! Ce sont deux hommes au coeur sensible, pas encore déconstruits, qui font des cadeaux inadaptés, pour l’un, et des poèmes, pour l’autre, et se retrouvent dans des situations un peu folles. C’est ce qu’on apprécie chez les duos : plus ils ont de failles, plus on s’attache à eux.

Q : Pourquoi avoir choisi ce titre Les cadors ?

Julien Guetta :  Il est ironique et tendre à la fois. Un cador dans un vestiaire de footballeurs, c’est l’idée de la virilité et de la force. Or, le film montre plutôt des hommes fragiles maladroits qui veulent faire bonnes figures avec une image viriliste un peu dépassée. Ils s’accrochent à cette image alors qu’on peut aussi être un cador quand on est sensible, touchant et sincère. J’aime beaucoup ce titre, car il a un côté années 1980 et moderne à la fois.

Q : On retrouve d’ailleurs dans le film beaucoup de références aux années 80.

Julien Guetta : Absolument ! Ce film est un hommage au cinéma français des années 1980, ces films de duos que j’aime beaucoup. Il y a énormément de références au cinéma des années 80. Christian est un peu resté bloqué dans ces années-là avec ses tatouages de Renaud, sa façon de s’habiller et puis le fait que Michel Blanc incarne le méchant, lui qui a joué des duos mythiques de cette période. Il fait la passerelle entre mon film et les films que je prends en référence.

Q : Les années 80 sont aussi très présentes dans le film par le biais de la musique à commencer par Catherine Ringer qui signe la musique de fin.

Julien Guetta : Catherine Ringer m’a fait l’honneur de signer la musique de fin. Je suis un fan inconditionnel. Je la trouve tellement forte et géniale. J’ai aussi mis du Philippe Lavil, du Renaud qui rappellent ces années-là. Et puis avec Alex Beaupain, nous avons travaillé les sonorités du film afin qu’elles soient subtilement référentielles. C’était un délicat équilibre à trouver, car ce film joue sur deux tonalités, grave et légère à la fois. Il fallait trouver le ton juste pour chaque scène, ce qui était valable aussi pour la musique.

Q : Les femmes de votre film sont dignes et gardent la tête haute en toutes circonstances.

Julien Guetta : La gageure de ce film, fondé sur un duo d’hommes, était de faire exister les femmes qui les entourent. Les personnages qu’incarnent Marie Gillain et Aurore Broutin ont du tempérament, et je tenais à ce que chacune ait une séquence saillante dans le film. J’aime la personnalité du personnage que joue Marie, dont le regard n’est jamais naïf. J’aime aussi l’idée qu’Antoine vive avec une femme un peu plus âgée que lui. Cela confère une certaine modernité à ce couple. Marie Gillain incarne quelque chose de fort, sophistiqué, juste, et Aurore fait exister son personnage à la seconde même où elle apparaît à l’écran.

Q : Y a-t-il une genèse à ce scénario ?

Julien Guetta : Lionel Dutemple, le coscénariste du film, m’a apporté cette idée de scénario, dans lequel il raconte son histoire personnelle. Jean-Paul Rouve était associé au projet et comme je l’aime beaucoup, cela a contribué à me séduire. J’aimais cette histoire de famille et le contexte des dockers. J’ai retravaillé le scénario pour notamment injecter plus d’humanité aux personnages.

Q : Comment avez-vous choisi vos acteurs ?

Julien Guetta : Jean-Paul Rouve était donc associé au projet initial et cela m’a réjoui, car il peut tout jouer. J’aime ces acteurs écorchés, qui sont aussi à l’aise dans la comédie que dans le drame. Jean-Paul est un immense acteur. Grégoire Ludig vient de la comédie et mon envie était de l’emmener sur un autre registre. Je lui trouve un côté De Niro dans voyage au bout de l’enfer (The Deer Hunter) , c’est-à-dire un côté inébranlable, qui observe ce qui se joue autour de lui avec tout le courage possible. Je trouve qu’il a un corps de cinéma. Il occupe l’espace. Il a un regard qui accroche l’oeil. Comme Michel Blanc, à sa manière, qui peut incarner un méchant qui bascule en un regard du personnage sympathique au personnage inquiétant. Tous deux, comme Marie Gillain, ont un sens très fort de l’incarnation. Marie est une grande actrice, elle dégage une grande force avec beaucoup de sensualité qui la rend très moderne. Quant à Aurore Broutin, j’aimais son côté écorché vive, sa voix si particulière, elle était parfaite pour incarner un duo amoureux avec Jean-Paul. Ils forment un couple à la Popeye et Olive, qui me plaît beaucoup. On croit tout de suite à ce couple qui se crée devant nos yeux.

Q : Vous filmez aussi des acteurs non professionnels parmi les dockers, qui ont des visages marquants.

Julien Guetta : C’était l’idée. Nous avons tourné sur les docks de Cherbourg et de Rouen et dès que je pouvais filmer des visages de dockers, je le faisais. Je voulais que ce film s’inscrive dans un monde social bien réel et celui-ci m’intéressait particulièrement, car il est mal connu et peu représenté au cinéma. Il est très cinégénique. Les conteneurs, les bateaux, tout cela amène de l’aventure et me plaisait beaucoup.

Q : comment avez-vous écrit vos dialogues avec Jean Paul Rouve ?

Julien Guetta : C’est une chance d’écrire les dialogues d’un film avec l’un de ses acteurs. Cela nous a permis de répéter au moment de l’écriture. Entre Jean-Paul et moi, il y a eu une vraie complicité. Nous avons travaillé main dans la main, puis, sur le plateau, je me suis retrouvé entouré d’auteurs, car Michel Blanc et Grégoire Ludig le sont aussi et leurs propositions de texte étaient formidables.

Q : Comment avez-vous élaboré la mise en scène du film ?

Julien Guetta : Nous avons décidé de filmer en CinémaScope. Il se justifiait ici, car je voulais travailler sur les docks donc sur l’espace qui s’étend à l’infini, notamment dans les scènes où Christian cherche Antoine au milieu des conteneurs. J’avais envie de donner au film une ambiance de western à la mer. On la retrouve jusque dans la musique. Avec Alex Beaupain, on s’est beaucoup inspiré des sonorités de Morricone. J’aime aussi les films qui sont toujours en mouvement et c’est ce que je recherchais ici. J’aime que les récits aillent vite, comme dans mon premier film, et que la durée de l’ensemble soit réduite pour accentuer cette sensation.

Q : Plusieurs rimes structurent le film.

Julien Guetta : On retrouve cette idée de l’écho, du passé et du présent qui dialoguent. C’est pourquoi les gifles, la communion, la fratrie, les références aux années 1980, fonctionnent en rimes. Le monde des dockers aussi est intéressant, car son iconographie est faite de ces images passéistes d’hommes qui chargent les bateaux, alors que sa réalité aujourd’hui est faite de machines et de métal, ce que je voulais filmer. Sur le plan symbolique, il y aussi l’idée de la péniche qui remonte le fleuve et le temps. Et pour rendre cela vivant, nous avons aussi travaillé avec mon épouse, qui est directrice artistique, à déployer les couleurs du port et des conteneurs dans les décors du film. Des teintes lavées par le soleil et la mer associées aux couleurs primaires industrielles qui apportent du dynamisme et de la joie à l’image.

Synopsis : 
L’histoire de deux frères que tout oppose. Antoine, marié, deux enfants, conducteur de bateaux, et Christian, célibataire, chômeur et bagarreur incorrigible. Mais quand Antoine le mari idéal se retrouve mêlé à une sale histoire, c’est Christian le mal aimé qui, même si on ne lui a rien demandé, débarque à Cherbourg pour voler à son secours. Les Cadors comme ils aimaient se surnommer dans leur enfance vont se redécouvrir au travers de cette histoire. Christian qui n’a rien à perdre, va alors défendre au péril de sa vie cette famille qu’il a toujours rêvé d’avoir sans jamais avoir eu le courage de la fonder.

Les cadors
Réalisé par Julien Guetta
Produit par Mathieu Ageron, Maxime Delauney, Romain Rousseau, Benjamin Morgaine et Lionel Dutemple
Ecrit par Julien Guetta, Lionel Dutemple
Avec Grégoire Ludig, Jean-Paul Rouve, Michel Blanc, Marie Gillain, Aurore Broutin, Niels Hamel-Brochen et Roman Angel.
Musique : Alex Beaupain
Directeur de la photographie  : Philippe Guilbert
Montage : Grégoire Ssivan 
Sociétés de production : Nolita Cinema, 
Distribué par jour2fête (France)
Date de sortie : 11 janvier 2023
Durée du film : 85 minutes

Photos : Copyright Nolita Cinema

(Source : Dossier de presse)