Kung Fu Zohra est un film français réalisé par Mabrouk El Mechri et qui sortira en France le 9 mars prochain. Il s’agit de son quatrième film après Virgil (2005), JCDV (2008), Sans Issue (The Cold Light of Day) (2012). Ce film fut présenté en avant-première au festival du cinéma méditerranéen de Montpellier en 2021. Le tournage a lieu du 8 juin au 31 juillet 2020 notamment dans les studios d'Épinay et en Île-de-France. On retrouve au casting Sabrina Ouazani, Ramzy Bedia, Eye Haïdara et Marie Cornillon.
On vous propose de découvrir l’interview du réalisateur présent dans le dossier de presse de ce film :
Q : D’où vous est venue l’idée de ce film ?
Mabrouk El Mechri : Entre mon précédent film et celui-ci, il y a eu du temps. Je suis devenu le papa d’une petite fille qui a aujourd’hui 8 ans. Je trouve qu’il manque cruellement de films qui pourraient s’adresser à elle sans être forcément un Disney ou un Marvel. 8 ans, c’est l’âge que j’avais quand j’ai découvert Rocly. Je voulais que ma fille ait son Rocky, avec le prénom de sa grand-mère donc, puisque ma mère s’appelle Zohra. Après une expérience américaine et des séries, je voulais aussi revenir à un projet plus personnel qui touche à ce que j’aime, ce que j’estime être mon identité de cinéaste. Retrouver un désir plus viscéral de raconter des histoires. Me défaire de ce milieu pour me réconcilier avec mon métier. Explorer mon histoire familiale aussi, essayer d’y trouver des histoires susceptibles de passer la membrane de pudeur qui m’a parfois parue « empêchante » sur mes films précédents. Je voulais aussi bénéficier de mon expérience et ma culture du genre mais dans un espace francophone. Ce n’est pas un film idéologique ; je ne cherche pas à faire passer un message. Je ne crois pas aux films à thème. Je crois aux histoires et aux personnages. Quasiment tous mes films portent le nom de leurs personnages. Quand je dis que le film raconte l’histoire de ma mère, il s’agit plutôt d’un point de départ, une proposition où le cinéma me permettrait de raconter l’histoire de mes parents que j’aurais préféré raconter à mes enfants. La violence n’a jamais été un sujet en soi. S’il y a eu une interrogation, c’était surtout sur sa représentation. Je me suis demandé comment neutraliser le choc de la violence pour permettre au spectateur de continuer de la regarder en face, de ne pas détourner le regard sur ce couple au moment où la violence apparaît. Le public doit avant tout comprendre la dynamique et les interactions de ce couple, et d’où naît la violence entre eux. C’est là tout l’enjeu du film : explorer cet espace-temps où la léthargie initiale qui empêche de décamper, légitime les abus un peu plus chaque jour. La violence, c’est souvent le choc du coup. Le réalisme du son et du bruit qui font froid dans le dos. Je me suis souvenu de ces westerns spaghetti avec Terence Hill et Bud Spencer. Où les bruits des coups étaient grotesques, neutralisés. Je me suis mis à réfléchir à une manière de neutraliser à mon tour le choc de la violence pour ne pas détourner le regard. Et c’est là où les balises stylistiques du film de Kung-Fu m’ont permis d’explorer cette arène. L’appartement familial comme le lieu d’un combat. J’ai été évidemment biberonné aux films de Scorsese, Tarantino, aux séries comme Les sopranos, qui utilisent l’humour comme vecteur de distanciation. C’est même souvent leur meilleure arme. Mais Je voulais éviter le « cool » de la situation tout en n’essayant pas de réduire la portée « bad ass » du personnage. En cela, l’incarnation de Sabrina et ce qu’elle peut dégager de paradoxe entre fragilité et force a été essentielle. J’aime l’idée qu’elle soit ma Stallone à moi.
Q : Comment avez-vous trouvé les acteurs principaux du film ?
Mabrouk El Mechri : Le choix de Sabrina Ouazani, qui joue le rôle de Zohra, était une évidence. C’est l’une des meilleures actrices de sa génération, elle prête d’emblée une solarité indéniable au personnage. Une garantie de non-misérabilisme. Elle rit beaucoup. J’adore sa voix rugueuse qui épouse parfaitement les contradictions du personnage. Ramzy Bedia et elle se connaissaient déjà, et s’entendent très bien, ce qui était formidable pour servir l’intimité de ce couple. Elle est très physique aussi. Quand on fait un film qui s’appelle KUNG-FU ZOHRA, ça peut aider. C’était facile pour elle de se mettre aux arts martiaux. Bref une évidence. Ramzy aussi. Ça fait longtemps qu’on se tourne autour. Que je suis persuadé qu’il y a quelque chose de plus ambigu à explorer chez lui devant une caméra. Je trouve que c’est un acteur parfait, avec une personnalité qui supporte les plus grands paradoxes. On ne sait jamais s’il est sérieux ou pas. L’imprévisibilité est une des armes des manipulateurs, Ramzy s’en sert à merveille. C’était important pour moi de ne pas avoir une sorte de méchant « basique ».
Q : Combien de temps Sabrina s’est-elle entraînée ?
Mabrouk El Mechri : Comme nous avons dû interrompre la préproduction à cause de la pandémie, Ramzy et elle ont dû prolonger leur entraînement pendant deux mois. C’était un mal pour un bien, nous avons eu davantage de temps pour nous préparer.
Q : Les vidéos que Zohra regarde sur youtube sont-elles authentiques, ou bien les avez-vous réalisées pour les besoins du film ?
Mabrouk El Mechri : Nous les avons écrites et réalisées. Pendant l’écriture du scénario, j’ai fait des recherches sur Google et je me suis inspiré d’un professeur d’auto-défense très populaire : Franck Ropers. Quand j’ai parlé de lui à l’équipe, nous nous sommes dit que le plus simple serait de lui proposer de jouer dans le film. Ce qu’il a accepté de faire avec enthousiasme, gentillesse et efficacité. Quand on cherche à se défendre, on ne google pas tout de suite Kung-Fu. On va plutôt chercher le terme : « self defense ». Et on tombe sur Franck. Cette fausse piste sera la prémisse à sa rencontre avec Chang Sue, le gardien, qui va lui enseigner le Kung-Fu. Au début, je voulais que le prof soit beaucoup plus jeune, mais on aurait pu s’attendre à ce que l’héroïne tombe amoureuse de lui. Or, je ne voulais pas qu’elle quitte un homme forcément pour un autre. Il était plus question d’émancipation.
Q : On pense évidemment à karaté kid. ce film vous a-t-il inspiré ?
Mabrouk El Mechri : On ne peut pas ne pas se rendre compte qu’on marche dans des sentiers déjà battus. C’est un film sur l’apprentissage d’un art martial avec un gardien de gymnase asiatique après tout… Est-ce qu’on ne peut plus mettre des acteurs en costard qui prennent des petits déjeuners sans penser à Reservoir dogs ? Probablement. Mais ça ne doit pas empêcher de tenter sa chance quand une proposition vous paraît assez originale. Plus qu’une inspiration il s’agissait de faire un clin d’œil à un classique du genre. J’apprends à mes enfants que c’est celui qui aime qui a raison. Mais le film est truffé de bien d’autres références que Karaté kid. J’assume totalement ce choix. Je viens d’une génération qui voit le cinéma presque comme du hip-hop où l’on sample et régurgite sans jamais s’excuser de ses classiques.
Q : Pourquoi ne souhaitiez-vous pas que Zohra parle à sa fille de sa relation avec son père ?
Mabrouk El Mechri : C’est vraiment difficile de voir se désagréger le regard d’un enfant sur un de ses parents. Père ou mère. Je trouve que c’est presque un film en soi. Là est parfois toute la difficulté de partir. Je sais d’expérience qu’on peut être à la fois un bon père et un mauvais mari. J’aime l’ambiguïté que lui confère Ramzy, le type de violence qu’il a accepté d’incarner. Une violence d’ignorance. C’est courageux par les temps qui courent où l’on veut que les méchants soient très méchants et parfaitement irrécupérables pour n’avoir aucun remords à les faire disparaître.
Q : Vous avez fait le choix d’une narratrice qui n’est pas Zohra. Etait-ce clair dès le départ ? comment l’idée vous est-elle venue ?
Mabrouk El Mechri : Ça a toujours été mon intention. J’avais plus en tête le Morgan Freeman du film Les évadés que le Ray Liotta des Affranchis. Je me suis dit qu’il valait mieux que la protagoniste, avec l’humilité et la modestie qui la caractérisent, ne raconte pas sa propre histoire. Le récit devenait du même coup une sorte de conte et ça me plaisait. De plus, un narrateur est souvent omniscient, je ne voulais pas mettre Zohra dans une situation de conscience, puisque le sujet était justement la prise de conscience.
Q : Vous semblez très attaché à travailler la musique de vos films…
Mabrouk El Mechri : La musique a une importance viscérale pour moi. Parfois j’ai plus la sensation de sortir un album qu’un film. Pour ce film, j’ai eu la chance de rencontrer Leon Michels qui a notamment remixé des morceaux du Wu-Tang Clan, groupe de rap chez qui on retrouve une filiation importante avec l’univers des arts martiaux. Leon Michels a accepté de me confier une série de morceaux pour que je puisse les monter, avant de les lui renvoyer pour qu’il les réinterprète en fonction du montage. C’était merveilleux et très organique comme collaboration. Leon est un musicien d’un éclectisme rare.
Q : Vous utilisez principalement des couleurs chaudes. Comment avez-vous développé l’identité visuelle du film ?
Mabrouk El Mechri : Mon objectif n’était pas de montrer cet univers de la manière la plus réaliste possible, mais de privilégier avant tout une dramaturgie des couleurs et des tons. Je voulais éviter une certaine austérité. Je voulais montrer que Zohra peut être heureuse dans le monde qui l’entoure, à condition de s’extraire du conflit qui l’oppose à son mari. C’est pourquoi elle habite une banlieue « sopranesque » et verte, plutôt que des barres d’immeubles grisâtres. Cette banlieue-là existe aussi.
Synopsis :
Persuadée qu’une rupture briserait le cœur de sa petite fille, Zohra n’arrive pas à quitter son mari Omar malgré les violences qu’elle subit. C’est alors qu’elle rencontre un maître de Kung-Fu qui va lui apprendre à se défendre et à rendre désormais coup pour coup !
Kung-Fu Zohra
Écrit et réalisé par Mabrouk El Mechri
Produit par François Kraus, Denis Pineau Valencienne
Avec Sabrina Ouazani, Ramzy Bedia, Eye Haïdara, Marie Cornillon
Musique : El Michels Affair
Image : Pierre-Yves Bastard
Montage : Marc Gurung
Sociétés de production : Les Films du kiosque, Gaumont, France 2 Cinéma
Distribué par Gaumont (France)
Date de sortie : 9 mars 2022 (France)
Durée du film : 99 minutes
Photos : Copyright Les films du kiosque – Gaumont – France 2 cinéma – Umedia