Le cinéma de genre en France semble se cantonner à quelques rares exceptions plus ou moins réussies. De la même manière les films de science-fiction semblent uniquement être la création des studios hollywoodiens qui voient dans ces films matière à donner vie à des blockbusters impressionnants aux effets spéciaux spectaculaires à outrance. Pourtant, le cinéma indépendant réussit à venir à bout de projets ambitieux sans bénéficier d’un budget colossal mais uniquement d’un scénario parfaitement orchestré laissant part à de nombreux rebondissements et à une interprétation de qualité. Après un premier film remarqué lors du festival de Cannes 2014 à la Quinzaine des Réalisateurs dans lequel il concourait en compétition (Les combattants), on attendait de découvrir la prochaine réalisation de Thomas Cailley, un jeune réalisateur et scénariste. Alors qu’on pouvait s’attendre à un second film, forte est la surprise de découvrir une série ambitieuse qu’il créé et coréalise avec Sébastien Mounier. Ad vitam est non seulement une excellente surprise mais montre que la science-fiction peut également être abordée dans des productions françaises et n’a surtout rien à envier aux nombreuses créations américaines actuelles.
Composé de six épisodes, Ad vitam peut se voir comme étant un long métrage de science-fiction abordant avec une rare intelligence la question de l’immortalité et de ses nombreuses conséquences sur la société. Trouvant ses origines sur des études scientifiques sur la méduse Turritopsis nutricula, seul animal capable de s’auto-régénérer en revenant du stade adulte au stade de polype. Cette régénération poussée à ses limites se marie parfaitement à un futur utopique dans lequel l’être humain peut ainsi devenir immortel en stoppant son vieillissement à jamais par des sessions de régénération dans des espaces dédiés. Certes cette notion d’immortalité semble encore être un pur fruit de la science-fiction moderne mais il en était de même du fait de pouvoir voler dans des temps ancestraux.
Passé ce postulat qui permet non seulement de dresser le portrait d’une société futuriste dans laquelle la majorité passe de 18 ans à 30 ans et dans laquelle également que certaines personnes peuvent bénéficier d’un tel traitement remboursé totalement par la sécurité sociale, Ad vitam est surtout le mixte réussi entre thriller et science-fiction. En se débarrassant d’une contrainte de durée liée à tout œuvre cinématographique, ces six épisodes permettent non seulement d’obtenir des personnages parfaitement campés mais surtout de livrer une intrigue palpitante et de dresser le portrait d’une jeune sacrifiée sous le jouc d’une sorte de secte douteuse et à un organisme privé prêt à tout pour mener ses projets à terme. On ressent continuellement l’influence du cinéma américain sur cette série et par son ambiance on repense aisément à Blade Runner (1982), Total Recall (1990) et surtout THX 1138 (1971). Dans ces films, notre société future semble être en proie à un mal profond que cela soit la place de l’individu dans la société ou face à face à un pouvoir en place imposant ses diktats. Certes le budget est moindre pour donner vie à la série Ad vitam mais le résultat n’a rien à envier à ces films tant le scénario est parfaitement orchestré et que le rythme lent des trois premiers épisodes s’accélèrent ensuite pour laisser place à un monstre guère éloigné de celui de Total Recall et de ses mutations transformant l’homme en une créature fantastique.
Ad vitam bénéfice également d’un casting de seconds rôles venus du monde du cinéma, de qualité et plutôt assez rare dans des séries françaises et campé par comédiens reconnus comme Anne Azoulay (Béat), Niels Schneider (Virgil Berti), Rod Paradot (Léonard « Linus » Ader), Philippe Laudenbach. On aurait juste apprécié que l’écriture des dialogues soit nettement plus fouillée et puisse bénéficier de la même qualité que ces deux interprètes principaux. On retrouve en effet dans le rôle principal du flic étant à sa troisième période de 33 ans (soit à sa fin de carrière) Yvan Attal un comédien, réalisateur et scénariste passionné de cinéma. Son personnage de flic solitaire qui a perdu son fils et qui s’est marié quatre fois s’investit totalement dans son métier d’enquêteur et n’a pas peur d’aller jusqu’au bout quitte à froisser certaines personnes. La présence de ce comédien donne à cette série une véritable force émotionnelle et en fait une œuvre à découvrir d’urgence.
Pourtant la vraie force de cette série tient en un nom, celui de Garance Marillier. Elle est ici une nouvelle fois parfaite et s’impose non seulement comme la meilleure jeune comédienne française actuelle mais aussi montre que ces choix ne sont pas liés forcément à une envie de gloire éphémère mais à des projets qui lui tiennent à cœur. Après de nombreux courts-métrages remarqués comme Junior (2011), Mange (2012) déjà avec Julia Ducournau, elle s’impose avec le premier film de la même réalisatrice en 2017 comme la révélation féminine de l’année. Chacune de ses scènes dans Ad vitam devient électrisante, elle se montre même plus convaincante dans l’ensemble qu’Yvan Attal dans certaines scènes inversant ainsi les rôles et devenant le premier rôle au fur et à mesure que l’histoire se déroule. De son personnage de jeune rebelle qui a failli participer à un suicide collectif et qui s’est retrouvée internée dans un centre pour jeunes en difficultés et jugés dangereux pour la société, elle n’aura de cesse de se battre pour non seulement faire triompher la vérité mais aussi faire payer à ceux ayant entrainé la mort de ses sept jeunes adolescents découverts sur le bord d’une plage au début de la série. A elle seule, elle fait d’Ad vitam la série du moment qui montre une nouvelle fois que les séries françaises comme celles aux Etats-Unis sont devenues un divertissement capable d’attirer les meilleurs comédiens au service d’un divertissement de qualité. On ne peut donc que vous encourager à découvrir cette série.
Diffusé depuis le jeudis 8 novembre sur Arte, Ad vitam est également disponible en ligne dans son intégralité sur le site officiel de la chaine Arte et sur la page officielle Youtube. La fin ouverte de cette première saison laisse espérer une suite, si elle est également avec Garance Marillier on répondra assurément présent. En attendant, on espère que cette série sera présentée lors du prochain festival de Colcoa montrant au public américain une sélection des meilleures productions françaises (films et séries).
Synopsis :
Dans un monde futuriste, la science a mis au point la "régénération", un bain de jouvence qui stoppe le vieillissement. En pleine fête du 169e anniversaire d’une doyenne, sept jeunes corps inertes sont découverts sur la plage : ils se sont tous apparemment suicidés. En compagnie d'une jeune fille aussi rebelle que révoltée, Darius un flic de 119 ans enquête sur ce mystère sans doute lié à une association sectaire…
Ad Vitam
Une série Créée par Thomas Cailley et Sébastien Mounier
Production : Kelija
Avec Yvan Attal, Garance Marillier, Anne Azoulay, Niels Schneider, Victor Assié, Rod Paradot
Musique : HiTnRuN
Chaîne d'origine : Arte
Diff. originale 8 novembre 2018 – 22 novembre 2018
Site web : arte.tv/ad-vitam
Photos : Copyright Kelija / Arte
Ecrit par Boris Colletier (Mulder)
Vu le 9 novembre via Arte.fr - Note 5/5