Master-Class - Chimpanzés

Par Mulder, Paris, 17 janvier 2013

Alastair Fothergill et Mark Linfield

En présence des réalisateurs Alastair Fothergill et Mark Linfield, du conseiller scientifique Christophe Boesch, du producteur et président de Disneynature Jean-François Camilleri, et de Eric Meyer du magazine Geo.

Jean-François Camilleri : Nous avons ici trois personnes extraordinaires qui sont les deux réalisateurs du film et le professeur Christophe Boesch pour pouvoir vous parler du film et du tournage dans la forêt Taï. Avant tout, j'aimerais vous parler quelques secondes de Disneynature. Disneynature est un label de production de films qui fait des films sur la nature comme son nom l’indique et qui existe depuis maintenant cinq ans. On a déjà travaillé sur sept films et on a deux nouveaux films en production. Le principe de Disneynature est de faire des films pour le grand écran. C'est le premier label de ce genre qui existe au monde. Ce sont des films qui racontent des histoires que la nature elle-même invente. On n'a pas trouvé meilleur scénariste que la nature et donc on a décidé d'aller autour du monde comme cela et trouver les histoires que la nature invente pour les présenter sur grand écran. On travaille avec les meilleurs réalisateurs au monde pour le faire et avec les meilleures équipes techniques dans des endroits qui sont très éloignés et la plupart du temps inatteignables. C'est le cas de la forêt Taï que vous avez vu aujourd'hui et comme l'Antarctique pour La Marche de l'Empereur ou du lac Natron pour Les Ailes pourpres. L'idée est de sortir un film par an avec chaque fois l'envie de faire découvrir des endroits extraordinaires et des comportements animaliers extraordinaires, des histoires hors du commun et en faisant en sorte que le public qui va voir ces films découvre des choses, qu’il s'émerveille et ensuite s’il a envie de transformer les émotions qu'il a eues en regardant le film par des actions, soit en donnant du temps, soit en donnant des idées, soit en donnant de l'énergie pourquoi pas de l'argent à des associations qui s'occupent de la défense de la planète et de la conservation de la planète, libre à lui de le faire mais notre idée n'est pas de donner des directions dans les films. Les films doivent rester des moments de plaisir comme cela et ensuite quand on a ouvert les yeux on peut après faire les choses et c'est comme cela notamment que le professeur Christophe Boesch qui vient du Max Planck Institut est là aujourd'hui, puisque c'est avec lui que nous avons travaillé sur ce film. Avant qu'il vienne, j'aimerais vous montrer quelques images de notre prochain film de Alastair Fothergill qui a fait Félins et qui a travaillé notamment sur Chimpanzés. Il est en train de tourner en Alaska. C'est un film sur les grizzlys que l'on sortira dans un an et demi et pour lequel on a eu une très bonne nouvelle, puisque la maman grizzly, qu’on voit en ce moment sur le grand écran, il y a deux jours exactement a donné naissance à deux petits bébés et c'est très important pour nous, car la particularité de nos films c’est que c’est la nature qui nous donne – comme je le disais tout à l'heure – les histoires que l'on va raconter et on peut avoir de la chance ou ne pas avoir de chance. On a eu une chance incroyable sur Chimpanzés dont vous avez découvert l'histoire qui est donc une histoire vraie et c'est très important pour nous de nous assurer d'avoir de la chance, car c'est de cela qu'il s'agit : d'avoir des histoires incroyables à raconter et là l'histoire sera donc très belle car cette maman ours grizzly que nous suivons maintenant depuis le mois de juin a donné naissance à deux bébés avant-hier. Vous la voyez actuellement sur l'écran en train de pêcher un saumon. Là vous voyez un autre personnage clé du film qui est un loup. Il y a beaucoup d'interactions entre les ours grizzly et les loups mais aussi avec les orques, aussi avec les saumons. Vous voyez actuellement sur l'écran deux jeunes ours qui jouent et on revient maintenant au film Chimpanzés. Je suis très content d'appeler sur scène les deux réalisateurs Mark Linfield et Alastair Fothergill qui viennent spécialement de Bristol pour vous ce soir et aussi Christophe Boesch éminent primatologue du Max Planck Institut et qui est aussi le fondateur de la Wild Chimpanzee Foundation (WCF) (http://www.wildchimps.org/index.htm) qui est l'association avec laquelle on travaille. La forêt Taï où on a tourné est aussi son lieu de travail quasi quotidien.

Alastair Fothergill : Tout d'abord merci Jean-François et bien sûr pardon pour mon français qui est très mauvais. Je n'ai aucune excuse de plus, car ma mère est française, mais c'est ainsi. Je dois dire que l’on pensait que c'était utile de vous parler de la genèse de cette histoire, qui a commencé en fait il y a vingt-cinq ans, lorsque Christophe et sa femme m'ont demandé de faire avec eux un documentaire pour la télévision sur justement les chimpanzés de la forêt Taï. J'ai su à cet instant précis et je n'ai jamais changé d'idée que les chimpanzés allaient être des animaux fascinants à filmer. J'ai donc dû attendre en fait 2007 que Jean-François se décide à venir à Bristol et voilà il est venu nous voir et il m'a demandé si j'avais envie de travailler avec un nouveau label qui a été créé par lui qui s'appelle Disneynature. J'ai immédiatement dit oui et je lui ai dit que l’on devait faire un film sur les chimpanzés. Cela a pris environ dix minutes et deux verres de vin pour le convaincre et voilà quelques années plus tard, vous voyez le résultat. J'ai aussitôt pensé à Mark Linfield comme second réalisateur car non seulement il est génial, mais il est aussi un grand spécialiste des primates, puisqu'il avait déjà filmé les chimpanzés dans la forêt Taï. Je savais qu'il s'agissait d'une forêt merveilleuse et que les chimpanzés allaient être des sujets formidables à filmer, mais je ne m'étais pas rendu compte que trois ans et demi, soit 800 jour dans la forêt, allaient vraiment être le plus grand défi que nous avons jamais surmonté. Pour vous donner une petite idée de ce défi, je vais vous montrer juste un petit film. Je sais que vous êtes parfaitement bilingue tous, voilà donc un documentaire sur un jour de tournage dans la forêt.

Projection d’un court documentaire

Mark Linfield : Ma mère n'est pas française mais elle a néanmoins étudié à la Sorbonne, ce qui ne me fait aucune excuse. L'une des difficultés a été l'humidité, mais aussi le fait que les chimpanzés eux-mêmes sont noirs. Ils vont aussi très, très vite dans la forêt, donc on aurait pu penser que c’était le plus difficile à filmer, mais en vérité et de façon surprenante la forêt elle-même s’est révélée être un véritable défi, car nous avons voulu montrer l’essence de l'habitat du chimpanzé. On y est allé et on a galéré avec les obstacles, les arbres, la végétation, tout ce qui grouillait. Cela aussi a été un défi et je vais vous montrer à quel point ce fut un défi par un autre petit documentaire.

Projection d’un court documentaire

Mark Linfield : La guerre civile dont parlait ce court extrait en Côte d'Ivoire à été un des éléments majeurs qui nous ont perturbés lors du tournage. Le pire à été bien évidemment la mort de Isha, la mère d’Oscar. Évidemment, Christophe le disait tout à l’heure, Oscar en réalité, après la mort de sa mère, avait très peu de chances de survivre et on était prêt à appeler Disneynature et à dire à Camilleri qu’il n'y avait plus de film. Il y a eu le miracle que vous avez pu voir, l’adoption de Oscar par Freddy. Cela a été une chance pour lui mais aussi pour nous, car l’adoption est devenue le cœur émotionnel du film.

Camilleri: Les courts documentaires que vous venez de voir précédemment seront sur le DVD, mais également sur la chaîne Disneynature qui est une chaîne VOD que nous avons sur Orange.

Journaliste : Eric, c’est une première pour vous de vous associer avec Disneynature sur un tel film. Pourquoi avez-vous choisi d’être partenaire sur ce film Chimpanzés ? Qu’avez-vous fait de votre journaliste que vous avez envoyé sur les traces de ces chimpanzés, presque impossibles à capturer ?

Eric Meyer : On a beaucoup moins de mérite qu'eux. Je suis impressionné par ce man versus Wild. Quand on voit le film d’abord qui est très beau, puis quand on voit le making of qui est très impressionnant, on peut se demander ce que Géo peut apporter sur un dizaine de pages. En deux mots, j'ai aussi déjeuné avec Camilleri un jour et il m'a raconté qu'ils allaient faire un film sur les chimpanzés. Je n’étais pas particulièrement attiré par l’idée. Peu à peu dans la conversation, il mentionne le nom de Christophe et il raconte que cet homme passe beaucoup de temps dans la jungle à observer les chimpanzés. Je me suis dit à ce moment que c’était là une histoire pour Géo, car on cherche tous les mois à raconter aux gens qui lisent le magazine non seulement de beaux voyages, mais aussi des histoires de gens passionnés, qui nous font découvrir le monde autrement. Je crois qu’on est vraiment dans un autre monde car nous apprenons cette touchante histoire de singes, mais derrière cela, il y a tout un savoir, une connaissance des chimpanzés qui est une connaissance de la culture des chimpanzés et cela, vous l’apercevez dans le film, mais vous le lirez encore mieux dans le travail qu’a fait notre journaliste. Il n’est pas resté 800 jours mais seulement huit, mais il en a quand même bavé, car la conférence qu’il a donnée à son retour était assez animée. C’est cela le magazine Géo. Ce sont des reportages sur le terrain qui nous enrichissent sur notre connaissance du monde et il y a beaucoup de choses que j’ai découvertes sur ce que l’homme sait aujourd'hui des chimpanzés qui ont un savoir-faire technique : ils savent casser des noix et beaucoup d’autres choses qui les rapprochent de façon très touchante de l’homme. Voilà pourquoi on s’est passionné pour cette histoire.

Journaliste : Comme vous venez de le dire, on a des passionnés parmi nous et l'un d'eux est Christophe Boesch. Cela fait plus de trente ans que vous êtes dans cette forêt, que vous suivez les chimpanzés. On a vraiment ici un immense spécialiste ! Merci d’être venu parmi nous ce soir et de les avoir guidés. Comment justement les avez-vous guidés ? Leur avez-vous imposé des règles ? Avez-vous été intraitable ? Leur avez-vous ouvert votre jungle ?

Christophe Boesch : Oui effectivement, j’ai été intraitable. Je dois l'avouer. Passer 33 ans avec les chimpanzés, ce n’est pas uniquement parce qu’on a une passion, mais aussi parce qu’on développe une sorte de passion et de fascination pour les animaux. C’est au nom de ce respect pour les animaux que j’ai été intraitable avec l’équipe de Alastair et Mark et aussi directement avec eux deux, car je pense que notre but commun était de produire un film magnifique, dont vous venez de voir les images. La condition pour obtenir ces images était évidemment de faire respecter les règles qu’il faut entretenir avec les animaux sauvages. Pour les chimpanzés, ce n’est pas la même façon de faire qu'avec les grizzlys et les éléphants. C’est dans ce sens-là que j'ai été un peu le maître des équipes Disney pour leur montrer comment on doit se comporter quand on veut observer des chimpanzés et d’autre part, je voulais aussi éviter que les chimpanzés puissent être infectés. On a mentionné le phénomène des maladies. J'ai imposé des règles d’hygiène et de comportement face aux équipes qui ont travaillé. J'aimerais souligner ici que j'ai été admiratif par la façon dont le caméraman Martyn Colbeck a vraiment enfilé l'habit du chercheur expert chimpanzé, alors que lui est un grand spécialiste sur les éléphants. Je pense qu’une grande partie des images ici ce n’est pas la technique, mais l'amour et le coup d’œil de Martyn quand il était en forêt avec les chimpanzés. J'aimerais me permette de faire rapidement un tour autour du film pour essayer de vous montrer d'une part quelques histoires en lien avec Oscar et sa famille. Dans le cadre du film, vous avez eu la chance de connaître quelques individus. Il faut réaliser que ceux-ci vivent en Côte d'Ivoire. C’est dans l’Afrique de l’Ouest. Le parc national de Taï se trouve à la frontière ouest de la Côte d’Ivoire tout près de la frontière du Libéria. C’est un site qui est un peu éloigné des grands centres d’habitation. En vérité, si dans la nature vous voulez voir des animaux, il n’y a que dans les zones isolées qu'ils existent. Oscar vit dans une famille élargie dont vous avez connu trois individus dans le cadre du film. Vous avez vu qu'ils ont tous des têtes différentes. Au visage, vous pouvez les reconnaître. C'est sur cet aspect-là des chimpanzés qu’on a fait le film, afin que vous puissiez entrer dans ces familles. Le fait que l’on a travaillé longtemps sur ces chimpanzés, ce n’est pas seulement une liste d’individus, mais il y a des généalogies. Il y a toute une équipe qui nous a soutenus. De nombreux étudiants ont travaillé avec moi. On a aussi des équipes locales depuis de nombreuses années qui sont avec nous. Ce sont des gens qui ont été tous les jours en forêt. Ce sont des Ivoiriens des villages environnants qui sont excessivement courageux. Notre plus ancien s'appelle Grégoire. Il travaille depuis 27 ans sur notre projet. Il a été le pionnier pour expliquer aux populations locales que les chimpanzés ne sont pas dangereux et qu’on peut y travailler. Ils ont été des membres très importants de notre équipe de film, qui ont permis à celle-ci d’être efficace et productive. Je me permets de faire une petite parenthèse rapide. Le chimpanzé a aussi un cerveau qui est proche du nôtre, des mains qui se composent de doigts différenciés. Grâce à cela, ils ont utilisé des outils dont vous avez vu quelques exemples dans le film. Le cassage des noix avec cette fascination que les enfants ont face au comportement de la mère et qui font qu’ils sont tellement anxieux d’apprendre, de faire des efforts pour appendre la technique. Ce comportement-là est un comportement spécifique des chimpanzés de Taï. C’est une culture spécifique chez les chimpanzés de Taï. Les noix se trouvent dans toute la région jusque au Gabon et Congo et les chimpanzés des autres forêts ne les cassent pas. Ces cultures vont jusqu’à des cultures symboliques. Vous savez tous que l’homme est aujourd'hui défini comme étant l’homme de l’espèce qui a la culture. Les autres animaux ne sont pas considérés comme ayant de la culture. Nous, les scientifiques, en tout cas les primatologues, nous sommes en train de pousser une grande porte dans le mur de la culture et je vais jusqu’à parler de culture symbolique chez les chimpanzés. Pour donner un exemple : quand ils déchirent des feuilles, les chimpanzés de Taï vont dire qu’ils vont parader, tandis que ceux de Mahale en Tanzanie s’ils ont le même comportement, cela veut dire à une femelle qu'il veut coucher avec elle. Les chimpanzés de Libéria font le même comportement, mais cela veut dire, je veux jouer avec toi. Vous pouvez vous en douter quand il y a des mâles pour vouloir coucher avec des femelles. Donc à Taï, les chimpanzés disent la même chose qu'à Mahale, je veux coucher avec toi, mais au lieu de déchirer des feuilles, eux, ils frappent sur les troncs d’arbre avec leurs doigts. Il y a donc des gestes qui véhiculent un message, qui est entendu par le groupe de façon différente. C’est ce que j’appelle la culture symbolique. Je pourrais vous parler des heures de toutes les choses fascinantes que nous avons découvertes sur les chimpanzés, mais il faut regarder notre site sur le net. Vous pourriez lire pendant des heures toutes les choses intéressantes qu’il y a dessus. En même temps, il faut se rendre compte que Oscar et ses frères et sœurs sont gravement menacés par la chasse. Ils sont tués pour la viande. Leur habitat dans la forêt part petit à petit en fumée. La population humaine ne fait qu’augmenter toujours de plus en plus. Quand il y a des humains, il faut bien les nourrir. Quand les forêts disparaissent, les chimpanzés et tous les autres animaux qui y vivent disparaissent. Il y a un siècle, on estimait qu’il restait un million de chimpanzés. Aujourd'hui, on estime qu’il n’en reste qu’entre 100 000 et 500 000 chimpanzés. Imaginez, c’est un ou deux stades de football qui recueillent tous les chimpanzés du monde qui sont présents dans quatorze pays du monde. Si on ne fait rien demain, si on ne change rien, cela ne peut qu’empirer. J'ai donc essayé avec ma famille et d’autres personnes de monter une fondation pour aider les chimpanzés, la Wild Chimpanzee Foundation, pour agir maintenant sur le terrain et contre toutes les menaces, avec les partenaires locaux autour et dans le parc national de Taï et pour étudier des méthodes scientifiquement approuvées et essayer de lutter contre la tendance actuelle, qui est que la masse de chimpanzés est en train de diminuer. Nous faisons ainsi des théâtres avec des jeunes des écoles des villages de la région autour du parc. Ces pièces de théâtre montrent la problématique des chimpanzés et la coexistence avec l'homme. Vous avez des jeunes qui y sont costumés en noir et qui jouent le rôle des chimpanzés face à des villageois. On a évalué les effets de nos activités sur le comportement des spectateurs et au début, quand il n'y a pas eu d’éducation environnementale, 60 % des gens vont dire que quand il y a des chimpanzés qui envahissent leurs plantations, ils les tuent. Trois mois après avoir vu les spectacles, ils ne sont plus que 40 % à dire qu’ils vont tuer les chimpanzés, mais ils préfèrent les chasser. Mais quatre années plus tard, après avoir vu une seule pièce de théâtre, cette tendance à tuer les chimpanzés quand ils envahissent leurs plantations est tombée à 0 %. On arrive avec l’éducation environnementale à avoir des effets positifs. Nous faisons dans la forêt de Taï des études systématiques de la distribution dans le parc de là où se trouvent les animaux, et là où se trouvent les activités illégales humaines dans le parc. Les informations que nous fournissons aux autorités du parc national sont utilisées pour programmer les patrouilles dans le parc. Plus il y a de zones de braconnage, plus les autorités intensifient leurs efforts de patrouille. On optimalise comme cela l’efficacité des patrouilles dans le parc en produisant des cartes, qui informent les agents des eaux et forêts sur ce qu’il y a à faire pour protéger le parc. Un troisième type d’activités que nous encourageons actuellement est qu’une bonne façon d’aider les chimpanzés est que, si vous avez été fasciné par le film Disney, est d’aller dans votre agence de voyages et de demander à voir les chimpanzés dans la nature. Allez en Côte d'Ivoire, il y a deux projets d’éco-tourisme en développement dans le parc national de Taï. Vous pouvez ainsi voir les cousins de Oscar. Vous pouvez aller dans d'autres pays comme le Ouganda pour voir ces chimpanzés. Votre présence sur place donnera une claire idée aux autorités de la valeur du patrimoine qu’ils ont là-bas et en même temps vous contriburez à avoir un plaisir pour vous. Pour terminer, les chimpanzés, quand ils essayent de casser les noix, ils font vraiment de leur mieux. Faisons nous aussi de notre mieux pour les aider.

Jean-François Camilleri et Eric Meyer

Camilleri: Si je peux rajouter une chose : pendant la première semaine d’exploitation en salles en France, on versera une partie de la recette à l’association que Christophe a créée. C’est important, car le nombre de gens qui vont aller voir ce film contribuera à tous ces efforts importants, qui sont faits depuis un tiers de siècle.

Boesch : Je remercie Disney car je trouve que c’est une initiative remarquable et qui concrétise auprès du public l'intérêt de Disneynature pour la conservation de ce site naturel.

Journaliste : Grâce à Disneynature, 7 millions de dollars ont été donnés à de vrais projets partout à chaque fois que vous avez sorti un film. Aux États-Unis, au lieu d’une semaine, ils ont allongé la période pendant laquelle une partie du pourcentage allait être reversée aux associations, telles que la vôtre.

Le public est alors invité à poser des questions.

Q : Sur la forêt de Taï, est-ce tout ce qui reste de la forêt sauvage de Côte d'Ivoire ? Avant, la forêt était plus vaste. Y a-t-il encore des éléphants dans la forêt de Taï ?

Boesch : C’est vrai que lorsque nous parlions de la mémoire de l'Afrique de l'Ouest qui est représentée, l’ensemble du bassin forestier Libéria / Côte d'Ivoire était très grand. Il a fondu. Mais il reste encore des forêts et c’est une des priorités de notre fondation de travailler justement non seulement sur la forêt de Taï, mais aussi sur l’ensemble des forêts qui restent ici. Autour, il y a deux forêts classiques qui existent, une près du parc national de Taï et au Libéria de l’autre côté de la frontière, il y a le parc national de Sapo et la forêt classée de Grebo, qui va être transformée dans les prochains mois en parc national et nous travaillons aussi avec les autorités libérienne pour les aider. Nous voulons aussi avoir des projets de replantation, de façon à ce qu’il y ait un corridor, un échange effectif dans les différentes forêts qui restent et qui forment ensemble près d’un million d’hectares. Il y a un besoin d’agir rapidement. Il y a des pressions très fortes. Il y a aussi des problèmes de corruption au Libéria au niveau des permis forestiers, qui ont provoqué de grands troubles. Mais nous sommes sur place et j’espère que nous pourrons devenir le plus actif possible. Il y a toujours des éléphants. Ils ont diminué énormément. Heureusement, il y a eu le moratoire qui a été imposé sur l'ivoire. Ce moratoire sur le commerce de l’ivoire a eu un effet fantastique sur le terrain. Je connais beaucoup de braconniers qui ont toujours un fusil, mais qui ne l’ont plus sorti, car cela ne vaut plus le coup à cause de la chute du prix de l’ivoire. Mes dernières informations sont plutôt positives.

Q : En voyant le making of, j’ai été étonné que vous puissiez approcher de si près les chimpanzés et j'aimerais savoir comment ils réagissaient à la présence d’une équipe proche d'eux ?

Fothergill : C’est vrai. Par rapport à cela, j’allais ajouter quand Christophe parlait que cela a été pour nous extraordinaire. Son expérience de 33 ans avec les chimpanzés a été très importante pour nous. On se demande parfois comment réussir un film sur ces animaux et on penserait qu'il s'agit de filmer des chimpanzés complètement sauvages dans la nature pour effectivement que la caméra capte le comportement le plus naturel possible. C’est complètement faux. Pour bien filmer des chimpanzés, il faut justement filmer des chimpanzés qui sont habitués à la présence humaine. Comme évidemment les chercheurs qui entourent Christophe, les étudiants ont habitué ces chimpanzés à une forme de présence humaine. On avait des chimpanzés plutôt relax et habitués aux humains. C’est cela qui nous a permis justement de les filmer au plus près et de la façon la plus juste. Grâce à sa connaissance du terrain et intime des relations qui existaient entre ces chimpanzés, on a pu avoir un aperçu immédiat de la vie sociale de ces chimpanzés, savoir quelles étaient leurs relations entre eux. Cela nous a permis de les filmer au plus juste, au plus près et même de prévoir parfois ce qu’ils allaient faire. C’était pour nous une valeur extraordinaire et un bonus que d’avoir quelqu'un comme Christophe avec nous.

Boesch : Il faut simplement réaliser que pour les chimpanzés sauvages normaux, soit la majorité, l’homme c’est le danger. L'homme c’est l’espèce à fuir. Quand nous avons commencé dans le parc national de Taï, les deux premiers mois, nous n'avons pas vu un seul chimpanzé. Pour pouvoir vaincre la crainte du naturel que les chimpanzés ont de l'homme, c’est un processus d'habituation qu’on doit faire en allant tous les jours en forêt de la façon la plus gentille, la plus douce possible, mais cela demande cinq ans. Il a fallu attendre cinq ans avant que les chimpanzés puissent commencer à se comporter normalement, comme si nous n’étions pas présents et qu’ils nous autorisent à les suivre à vue, quand ils marchent en forêt et qui est la seule possibilité de pouvoir les observer toute la journée.

Journaliste : D’ailleurs, vous ne vouliez pas que les membres de l’équipe regardent les chimpanzés dans les yeux ?

Boesch : Je leur ai dit qu’on peut les regarder dans les yeux. Les chimpanzés le font entre eux. Mais on ne doit pas les fixer. Quand on les fixe, à partir d'un moment, cela devient un peu désagréable. Les chimpanzés réagissent de ce point de vue-là comme les humains.

Q : J'aurais une question du point de vue scientifique. On a bien compris que c’ était un miracle qu’Oscar puisse être adopté par le mâle dominant. De votre expérience, est-ce quelque chose qui a déjà été observé ou pas ?

Boesch : Il arrive malheureusement dans la nature que des mères meurent et parfois avec un enfant encore jeune, qui n’est pas encore sevré. Dans ce cas, ce sont des orphelins qui sont dans une situation terrible. Les chimpanzés ont l'habitude régulièrement dans ces cas-là d'adopter ces enfants, mais en règle générale, c’est le grand frère ou la grande sœur qui fait cela. Si ce n’est pas le grand frère ou la grande sœur, cela peut être une femelle. C’est seulement chez les chimpanzés de la forêt de Taï qu’on a vu des fois des adoptions faites par les mâles. Mais, j'aimerais vraiment insister sur le fait que la façon dont Freddy a investi Oscar, la façon dont il 1'a porté sur le dos toute la journée, la façon dont il l'a amené dans son lit pour dormir la nuit, cela je ne l'avais jamais vu. Je dois dire que pour une fois, j'étais 100 % heureux d'avoir l'équipe Disney auprès de moi, parce que cela nous a permis de communiquer l'émotion que moi j'avais sur la pellicule et que cela allait être transmis à un grand public et là, j’étais vraiment heureux.

Q : On voit ici un film sur les chimpanzés. Peut-on imaginer un film du même type sur d'autres espèces de singes ? Vous parliez des menaces qui pèsent sur les chimpanzés. Est-ce que ce sont les plus menacés ? Les bonobos sont – il me semble – encore plus menacés.

Fothergill : Par rapport aux autres grands primates, on peut dire qu'ils ne sont pas trop intéressants à filmer, car le gorille, en gros, il s'asseoit et il mange, l’orang-outang est plus intéressant, mais c’est un animal extrêmement solitaire. En revanche, Mark et moi allons tourner un autre film sur les singes au Sri Lanka. Cela s'appellera Jungle story ou un autre titre complément différent peut-être.

Christophe Boesch et Jean-François Camilleri

Camilleri : Ce film sera tiré du livre de Rudyard Kipling. Cela sera filmé au Sri Lanka et en Inde dans des décors semblables à ce que pourrait être le décor du « Livre de la jungle ». Il y a des animaux qui sont dans « Le Livre de la jungle », mais on suit particulièrement des macaques qui sont des singes beaucoup plus petits que les chimpanzés. Le tournage a commencé en juin 2011 et cela sera un tournage très long de nouveau. Le film ne sortira pas avant 2015.

Boesch : Je ne voulais pas faire une classification des espèces les plus en danger. Il est évident qu'il y a des espèces qui sont encore plus en danger que les chimpanzés. Les bonobos n’ont pas forcément un nombre plus réduit. Ils sont fragilisés par le fait qu'ils vivent dans un seul pays d'Afrique, en République démocratique du Congo. Ils sont très dépendants du contexte socio-politique de ce pays. Puisque le film s'appelle Chimpanzés, on parle de la condition des chimpanzés. Les gens ne réalisent pas à quel point les chimpanzés sont menacés. En partie car justement ils sont vus dans des publicités commerciales. Ils sont trop utilisés dans ce genre de média. On a fait des études qui montrent que justement le fait de voir une espèce animale régulièrement dans ces publicités commerciales donne l'impression aux gens que ces espèces ne sont pas en danger et cela est un problème pour les chimpanzés. Le message qui pourrait accompagner le film dessus est très important à diffuser.

Q : J'ai vu il y a quelque temps un très beau film qui s'appelle Bonobos. Ce sont des singes extrêmement pacifiques, très drôles comme des chimpanzés. Là, on nous montre des chimpanzés qui font la guerre. Est-ce vraiment la réalité ? Y a-t-il une très grande différence entre les deux espèces ?

Boesch : Disons qu'au point de vue purement scientifique, il y a beaucoup moins de différences qui ne peuvent être perçus entre ces deux films. Des études comparatives plus précises montrent que même au niveau du comportement mâle et femelle, les fréquences sont les mêmes chez les bonobos que chez les chimpanzés. Une différence capitale est le comportement homosexuel entre les femelles chez les bonobos et absent chez les chimpanzés. Ils ont beaucoup de sexe non lié à la reproduction, qui est utilisé par les bonobos comme un mécanisme pour résoudre les conflits sociaux, alors que chez les chimpanzés, la résolution des conflits sociaux se fait par des salutations, des encrassements ou de l'épouillage. De ce point de vue-là, il y a une différence, mais la différence au niveau de l'agressivité est plus faible. Il faut aussi dire une chose qui est importante : on connaît beaucoup moins de choses sur le bonobo que sur le chimpanzé. Le seul groupe qui travaille actuellement sur les bonobos est chez moi. Nous sommes actuellement en train d’étudier une seconde communauté voisine des bonobos. On pourra donc finalement répondre à la question s’il y a des conflits territoriaux aussi importants chez les bonobos, car jusqu'à présent, on n’a aucune idée si c’est le cas ou pas.

Q : Quelles sont les relations avec les autres ONG qui travaillent aussi sur les chimpanzés ? Comment travaillez-vous ensemble pour faire en sorte que la protection des chimpanzés soit globale et non le fait que d’un groupe ?

Boesch : Il faut reconnaître que traditionnellement, il y a eu pas mal de compétition entre les différentes ONG pour la conservation de la nature, qui a aussi nuit à la conservation. Aujourd'hui, il y a un grand effort de ces organisations pour travailler beaucoup plus ensemble. Dans la situation présente dont on parle de l'Afrique de l'Ouest, il faut savoir que cette Afrique de l'Ouest a été délaissée par les ONG de la conservation de la nature, parce que les surfaces de forêts restant en Afrique sont beaucoup plus grandes en Afrique Centrale qu’en Afrique de l'Ouest. Les grandes organisations BBF et WBF ont quitté l'Afrique de l'Ouest et ont investi plus en Afrique Centrale. Le WBF a toujours un projet dans le parc national de Taï. Dans le cadre du parc national de Taï, nous avons une coopération entre les ONG qui est exceptionnelle, peut-être en partie due au fait que nous avons une longue expérience sur le terrain et je travaille depuis toujours avec les locaux. J’espère que cela pourra continuer dans cette direction.

Journaliste : Pour finir, je vais juste me tourner vers l'équipe ici présente et vous remercier encore une fois pour non seulement ce film mais aussi pour toute la passion que vous y avez mise et que ce soir nous avons tous partagée. J'aimerais que vous redonniez juste comme cela le nom de votre organisation, l'endroit où on peut faire des donations pour aider, juste pour que vous l'entendiez une fois de plus.

Boesch : L'association s'appelle la Wild Chimpanzee Foundation (WCF) (http://www.wildchimps.org/index.htm). Si vous cliquez sur internet Google « Wildchimpsorg » vous arriverez directement sur notre site. Toutes les donations sont les bienvenues. Nous avons toujours besoin d'argent et je peux vous garantir que nous travaillons dans la forêt de Taï et que Oscar et ses amis sont notre centre de préoccupation.

Propos recueillis par Mulder, le 17 janvier 2013
Avec nos remerciements à Sophie Benoit de l’agence WayToBlue.
Photos : Boris Colletier