Lors de cette avant-première, Fausto Fasulo (Mad Movies) a d’abord posé des questions aux trois membres présents de l’équipe du film, le producteur et scénariste Alexandre Aja, le compositeur Rob et l’actrice Nora Arnezeder, avant d’être l’arbitre entre les spectateurs du Max Linder et les invités.
Fasulo : Cela risque d’être un petit peu long si vous n’êtes pas très bavard ou si vous n’avez pas beaucoup de questions. Est-ce que j’ouvre le bal ou alors l’un d’entre vous se sent motivé pour poser sa première question. Il y a des micros qui doivent tourner dans la salle. Et bien, je vais poser la première question. Première question pour Alexandre : j’aimerais que tu essayes de plonger dans tes souvenirs et que tu me dises quand tu as découvert le film Maniac original et comment cela s’est passé ? Quel choc cela a provoqué chez toi en tant que, je pense, cinéphile ?Alexandre Aja : J’étais un peu petit quand le film original est sorti au cinéma. Je devais avoir deux ou trois ans. Mon premier souvenir du film Maniac c’est comme beaucoup de gens de ma génération, c’est la pochette de la cassette vidéo dans un vidéoclub. C’était une affiche, un visuel qui était très marquant, qui était très fort, extrêmement violent. Il s’agissait du scalp d’une femme dans une main, un couteau dans l’autre, un jean, bref tout cela. Cela a été plus comme pour beaucoup de classiques, une sorte de film que l’on ne pouvait pas voir avant un certain âge. Avec Greg [Gregory Levasseur], mon meilleur ami et collaborateur de toujours, on a vu le film quelques années plus tard.
Fasulo : Il s’agissait de la fameuse collection René Château Vidéo, les films que vous ne pouviez pas voir à la télévision ?Aja : Exactement.
Fasulo : Nora, comment cela s’est passé ? As-tu découvert le film original en préparant celui-là ou tu l’avais déjà vu avant ?Nora Arnezeder : Moi, je n’avais jamais entendu parler de Maniac et pourtant, je suis une grande fan de films d’horreur. Quand Alexandre Aja m’a appelée pour me proposer le rôle, j’étais folle de joie parce que cela faisait depuis longtemps que j’avais envie de travailler avec lui. J’ai alors rencontré Franck Khalfoun qui a réalisé le film et voilà c’était un rêve d’enfant de faire un film d’horreur. Je n’ai pas vu le film original, je ne voulais pas le voir. Par contre maintenant, ayant vu le film, je serais ravie de le voir par curiosité en tout cas.
Fasulo : Et toi Rob, en tant que musicien, la bande originale, qu’en penses-tu ? Avais-tu déjà découvert le film avant ?Rob : Moi, c’est exactement comme Alex : pour moi, c’était un souvenir comme une sorte de flash interdit dans un vidéoclub. Je n’avais pas vu le film avant de travailler dessus. Je l’ai vu en préparant la musique. Ce fut marquant.
Fasulo : Et la bande originale du film original, qu’en penses-tu ?Rob : Elle est magnifique, elle est très belle. Je crois que l’idée de faire une musique très nostalgique, très mélancolique, très sensible qui nous permet de rentrer en phase avec notre pauvre héros était déjà dans l’original. Dans celui-ci, il y avait beaucoup de flûtes à bec. Il y avait bien toujours les mêmes procédés d’angoisse de sons stridents et d’autres choses comme cela, mais l’idée originale et la plus belle était de donner de la beauté dans cet univers dégueulasse. C’est cela qui m’a le plus marqué quand j’ai découvert l’original, c’était cette tentative malgré l 'horreur que l’on voyait à l’écran, cette empathie pour le personnage qui va avec la musique mais aussi avec l’interprétation de Joe Spinell. C’est cet élément-là qui a été pour moi le plus important quand on a abordé l’écriture et la mise en production de ce film.
Fasulo : Est-ce que c’était quelque chose qui a été pensé dès le départ que de choisir un acteur qui justement s’éloignait le plus possible de Joe Spinell ? Si tu prends Joe Spinell et Elijah Wood à côté, tu ne peux pas faire plus différent ?Aja : En effet, c’était ce qui a le plus surpris Elijah quand on l’a approché pour le rôle. Il est un grand fan du cinéma de genre et d’horreur. Quand il a commencé à entendre parler d’un remake de Maniac et qu’on s’intéressait à lui, il ne l’a pas compris. Il s’est demandé ce qui se passait, car il n’était absolument pas le profil. Pour ceux qui le connaissent, c’est une évidence. Pour ceux qui ne le connaissent pas, Joe Spinell dans l’original était une sorte de brute. Il était un homme par rapport à Elijah. L’idée est venue quand on a commencé à se poser sur l’écriture, on est revenu à la mythologie du film de William Lustig quant à l’histoire de Frank Zito et on a commencé à imaginer une narration relative à l’original qui était un film assez improvisé. En développant le personnage, on s’est rendu compte que l’idée derrière Frank c’était plus une sorte de psychose que le Joe Spinell de l’original. Il y a un côté plutôt romantique, plus désespéré dans ce désir d’être aimé et cette rage de mal être, qui allait plus avec un personnage qui pourrait disparaître facilement dans une foule et qui est beaucoup plus invisible.
Fasulo : Cela permet aussi de contrer une des faiblesses de l’original, qui était cette étrange relation entre Joe Spinell et Caroline Munro qui était difficilement crédible. Pour ceux qui ont vu le film, vous voyez ce dont je parle. On avait à faire à un gros dégueulasse qui tombait amoureux d’une espèce de princesse un peu improbable. Nora, quels sont les consignes que t’a données Franck sur le film et quels étaient les pièges dans lesquels tu ne voulais pas tomber et éviter à ton personnage de ressembler trop à un stéréotype, un archétype ?Arnezeder : Dès le départ, Franck m’a proposé un personnage qui se bat. Elle est une artiste. Elle a envie de défendre son travail. Ce n’est pas du tout un personnage qui subit. C’est cela que j’ai trouvé intéressant. Le personnage était là dès l’écriture du scénario, donc quand on a un personnage qui a une vraie évolution, plusieurs facettes à explorer en tant qu’actrice, c’est la lecture, la rencontre avec Franck, avec Alexandre qui font ce personnage. C’est un travail d’équipe. Je ne me suis pas posée cette question-là.
Aja : Il y avait une approche du personnage par le subjectif, notamment par le fait que tout le film est tourné d’un point de vue subjectif qui a influencé la manière dont les acteurs allaient jouer. Cela n’a pas été évident de faire ce film, comme de jouer en regardant la caméra est quelque chose de très particulier.
Arnezeder : Je tiens à dire que Elijah Wood était là tous les jours, même s’il n’y était pas obligé. Il était là tous les jours pour me donner la réplique.
Aja : Malgré le fait que tu sois derrière la caméra, il faut regarder et jouer avec l’objectif et avec le public car ce film s’adresse aux gens qui sont derrière la caméra et qui vont regarder ce film. Cela amène une manière de l’appréhender comme cela qui est très différente.
Fasulo : En termes de jeu, cela ne t’a pas posé de problèmes, le fait de voir quelqu’un derrière une caméra comme cela ?Arnezeder : Bizarrement, c’est sûr que cela ne met pas à l’aise, mais ne pas être à l’aise tout le temps c’est pas mal parfois.
Fasulo : En plus cela participe au rôle. A aucun moment en fait, tu n’as senti qu’il y avait une distance entre toi et Elijah, car il y avait une caméra entre vous deux à chaque fois ? Cela ne t’a pas posé de problème justement par rapport au fait très basique du placement, du regard et de tout cela ou tu as pu l’oublier au fur et à mesure ?Arnezeder : Les premières journées, c’est sûr que cela a été bizarre.
Rob : En fait, il existe un système qui permet de mettre une projection de quelqu’un sur l’objectif pour éviter de regarder la caméra.
Fasulo : Rob, et par rapport à la musique et l’illustration sonore, est-ce que tu avais des compositeurs de musique de films qui t’ont inspiré ? On sait très bien que la musique de films est bardée de pièges, de clichés que certains compositeurs essayent de détourner. As-tu essayé d’en contourner certains ?Rob : Je t’entendais parler de stéréotypes et comment faire pour éviter de tomber dans les pièges de ceux-ci, n’est-ce pas un exercice encore plus intéressant que de jouir des stéréotypes et de les embrasser et d’essayer de les transcender et d’en faire un truc formidable. C’est le truc qui m’a fait le plus jouir en travaillant sur le film, moi qui suis quelqu’un de très sensible et qui compose des musiques très romantiques, c’est je pense pour cela que Alexandre m’a appelé. J’étais moi-même très surpris d’être appelé pour travailler sur ce genre de chose, mais justement pour moi, cela a été formidable avec ma sensibilité de jeune fille de plonger dans cela. C’est cela qui m’a vraiment passionné là dedans. Pour répondre à ta question, on a juste évoqué « Murder » pour justement l’utilisation très électronique mais toujours très mélodique et très romantique. Ce qui a été formidable, c’était de pouvoir travailler très tôt sur le projet. Je recevais au quotidien les rushs et donc je me suis projeté vraiment et je me suis pris d’une affection malsaine.
Fasulo : Comment s’est passé votre rencontre ? Est-ce toi Alexandre qui a appelé Rob ? Tu connaissais déjà son travail en amont ?Aja : Cela a été via plusieurs personnes que nous avions en commun qui nous ont présentés et puis c’est surtout son travail sur le film Belle épine [de Rebecca Zlotowski] qui m’avait bluffé. C’est vrai que je cherchais pour ce film une couleur qui soit extrêmement loin des clichés du cinéma de genre habituel. Les clichés sont certes poussés à l’extrême comme disait Rob, mais en même temps, récemment le cinéma de genre de la dernière décennie s’est plus dirigé vers une orchestration et une musique qui est toujours dans l’illustration plus que dans l’émotion. Je voulais revenir à ce côté extrêmement proche de cette histoire d’amour.
Après cet échange, Fausto Fasulo demande aux spectateurs présents dans la salle s’ils ont des questions. Q : Toutes mes félicitations pour le film. Ce qui m’a frappé, c’est l’utilisation de Los Angeles mais des rues que l’on a rarement vues. Au niveau du repérage, comment cela s’est fait ? Avez-vous des contacts là-bas ? Comment on repère des lieux aussi différents ?Aja : J’ai passé beaucoup de temps à Los Angeles ces dernières années, mais c’est vrai que Downtown Los Angeles (le centre-ville) est un endroit un peu déserté. Un endroit où on va rarement si ce n’est jamais, même quand on est à Los Angeles et que l’on vit là-bas. En fait, j’avais tourné une partie du film Mirrors dans ces rues et en général, elles sont utilisées pour faire semblables à celles de New York. Il y a toute une partie de Downtown L.A. qui est comme une cour des miracles qui est très impressionnante. Je pèse mes mots, car c’est tout à fait cela. Au moment où on réfléchissait un peu. Dans la version originale, New York est un personnage à part entière. La ville sentait la pisse. Ce milieu-là a disparu depuis pas mal de temps maintenant. Maintenant, c’est plus Disneyland. Le New York actuel n’est plus celui de Warriors ou de Maniac. Il fallait donc trouver un site équivalent. Downtown L.A. est exactement ce New York-là. Un New York où les gens viennent travailler la journée et la nuit les rues sont abandonnées et dangereuses. Il y a une sorte de faune très étrange. Il y a, comment dire, toute une nouvelle génération de personnes qui envahissent un peu le Downtown. Il y a quelque chose d’intéressant concernant ce personnage joué par Elijah Wood qui vit là-bas, qui est resté dans ce monde-là et qui se mèle dans cette nouvelle génération. C’est une ville qui est rarement jouée. Récemment, dans Drive, c’était une autre exploitation formidable de Los Angeles, mais cette ville est rarement utilisée pour ce qu’elle est. C’était une évidence quand on a commencé à faire le tournage là-bas.
Rob : C’est aussi une zone qui est métamorphosée quand la nuit tombe. C’est un peu comme San Francisco, on a l’impression que les monstres sortent de terre. Quand les gens arrêtent d’y bosser, les rues sont vides et il y a des clochards.
Fasulo : Le choix de Los Angeles s’est imposé à l’écriture ? L’idée était de ne pas retourner à New York car cela ne servait à rien et maintenant la ville a changé. Cela s’est imposé comment ? C’est toi en repérage, Alexandre ?Aja : C’est vraiment avec Franck que l’on est arrivé à cette conclusion après l’écriture. Au départ, on pensait faire le film à Toronto ou à Montréal pour des raisons économiques. Finalement, on s’est rendu compte qu’il y avait peut-être un moyen de tourner à Los Angeles. Tourner à Los Angeles est extrêmement cher et difficile d’accès, car un peu usé par les tournages de séries télé ou des choses qui n’utilisent pas Los Angeles comme L.A.. C’était un petit peu difficile. On s’est rendu compte qu’il y avait un moyen avec une équipe assez réduite de travailler là-bas.
Q : Lorsque j’ai vu votre film tourné en caméra subjective afin de permettre au public d’être dans la tête du tueur, cela m’a fait penser à deux autres films : schyzophrenia de Gerard Kargl et Seul contre tous de Gaspar Noe. J’aimerais savoir s’il s’agissait de petits clins d’œil.Aja : Oui et il y en a d’autres. Il y a toute une histoire du cinéma en mode caméra subjective. Enter the void est aussi entièrement tourné en mode de vue subjectif. L’influence majeure sur ce film-là est un autre film français qui n’a absolument rien à voir avec le genre en question, La Femme défendue de Philippe Harel pour ceux qui se souviennent de ce film avec Isabelle Carré. Ce film est extrêmement différent mais il avait justement quelque chose d’assez fort, qui était une immersion dans une histoire d’adultère en point de vue subjectif sans pour autant tomber dans le tout plan séquence, grand angle avec le côté subjectif pas tape à l’œil mais le côté où la forme dépasse un peu le fond, c'est-à-dire le côté un peu comme dans le film L’Aigle noir qui est d’être un exercice au lieu d’être un élément de narration. J’avais vraiment envie de trouver un système dans lequel on est en point de vue subjectif et où on rentre dans le vif du sujet avec les personnages. Pas juste l’effet de savoir comment ils ont fait ce plan-là. La technique dans un film n’est pas le but ultime de ce procédé.
Fasulo : Le mode de vue subjectif, comment cela s’est imposé ? Etait-ce dès l’écriture ou une façon moins radicale de se démarquer de l’original ?Aja : C’était pendant l’écriture et c’était vraiment une manière de se démarquer de l’original. J’étais convaincu qu’il fallait tourner un concept, quelque chose qui allait vraiment justifier l’existence d’un nouveau film Maniac, en sachant que l’original était pour moi un classique irremplaçable. J’avais besoin de ce concept, de cette idée. Je me souviens d’avoir eu une réaction extrêmement forte à la lecture du livre « Un tueur sur la route » de James Ellroy écrit à la première personne. Cette immersion dans la tête d’un maniac, d’un tueur en série m’a vraiment séduite. J’ai trouvé que c’était quelque chose d’assez nouveau et j’ai aimé le défi, le fait que tout d’un coup, on se coupait de la grammaire classique du cinéma d’horreur c'est-à-dire que pour créer la peur et la tension, on se mettait toujours du côté de la victime. Il y a des codes visuels pour créer ces scènes de suspense. Le fait de devoir appréhender ces scènes d’horreur de manière différente était stimulant pour fabriquer ce film.
Fasulo : Il y a quelque chose qui fonctionne très bien et qui est dû à la direction d’action et la voix d’Elijah Wood qu’on entend très souvent et qui a une espèce de timbre assez hallucinante. Cela aussi au niveau de la direction d’acteurs, je pense que Franck a insisté sur le travail de la voix d’Elijah qui est à la fois douce et inquiétante. C’est quelque chose d’assez saisissant. Comment cela s’est-il passé au niveau de cette direction d’acteurs ?Aja : Elijah a vraiment une vue sur ce personnage très forte. Il était là du matin au soir, tous les jours. Il a vraiment amené à son personnage des choses. Il a eu un vrai travail avec le réalisateur Franck mais il avait aussi une idée très précise de ce qu’il voulait faire. Il s’est réellement impliqué dans ce film.
Fasulo : Nora, y a-t-il des suggestions que tu as faites à Franck et Alexandre par rapport à ton personnage ? Y a-t-il des idées que tu voulais apporter ? Arnezeder : Certainement, mais je ne m’en souviens plus [rires].Aja : J’ai fait un truc dont on a parlé au départ. La tendance à ce que les gens se regardent dans les yeux en permanence sans vouloir surjouer. Ce n’est pas le cas dans la vie de tous les jours. C’était quelque chose de très important dont on a parlé tout au début. Cela a été un tournage court, car on l’a fait en 23 jours. Ce fut pourtant l’un des tournages les plus stimulants dans lesquels je suis allé, dans le sens où chaque jour, c’était des défis à relever. Les journées étaient trop courtes. C’était vraiment un tournage pendant lequel on était en permanence à chercher des idées.
Fasulo : Nora, quelle a été la scène la plus difficile ? Je n’irais pas jusqu’à dire qu’elle posait problème, mais qui a été difficile en termes d’acting ?Arnezeder : Les longues scènes d’anglais. Cela a été compliqué parce qu’il y avait de longs monologues comme cela. Il fallait que l’on comprenne. J’ai donc travaillé mon accent et c’est vrai que cela a été un challenge car au départ, il y avait des termes très compliqués. Il fallait employer des termes techniques sur la photographie.
Fasulo : Et toi Rob, tu travaillais dès que tu recevais les rushs ? Tu étais sur Paris, c’est cela ? Comment réagissais-tu quand tu découvrais les images ? Tu étais une sorte de spectateur privilégié, tu travaillais sur le film.Rob : C’est quelque chose que j’appréhendais un petit peu. Mon entourage appréhendait aussi. A savoir dans quel état j’allais me retrouver en passant des journées à bosser. En effet, il se crée une forme de tendresse que je ne connaissais pas avant. C’est vraiment comme cela que je me suis mis à composer la musique. Je me suis mis à vraiment essayer d’accompagner ces moments de furie et de profonde tristesse. Ce personnage est complètement fou. Je me suis autorisé à être sans limite. J’ai beaucoup regardé les images.
Aja : Les rushs étaient assez particuliers. Les plans séquences étaient très longs.
Rob : Ce fut du coup assez facile, car j’avais vraiment des déroulés de séquences. J’ai pu me projeter malgré le fait que je n’étais pas dans le rythme du film encore. C’était assez agréable. Au moins, j’avais la scène du début à la fin. Je dois avouer que les scènes qui m’ont le plus inspirées étaient les scènes de scalps parce que c’était là que je ressentais le plus de choses.
Q : J’ai dû voir le film Maniac une bonne vingtaine de fois. A la vue de votre film, je suis mitigé. J’ai fait l’erreur de revoir l’original hier soir et je m’en excuse. Je pense que je n’aurais pas dû. Il se dit que l’idée de Maniac au départ est que Lustig est parti sur une discussion avec un pote dans une voiture de faire un Les Dents de la mer en ville avec ce prédateur. L’idée de cette caméra subjective m’a fait penser à la caméra subjective dans Les Dents de la mer, du prédateur qui va sur sa victime. J’aimerais savoir si vous vous étiez inspiré de cette idée-là ? Est-ce que vous étiez au courant du point de départ par rapport aux Dents de la mer ?Aja : Non, je ne savais pas que c’était sur Les Dents de la mer. Je savais que Joe Spinell avait participé à un reportage avec des images assez incroyables de Spielberg pour les Oscars. L’histoire du plan subjectif elle est due au premier plan du film Halloween, voire au film Le Voyeur de Michael Powell et aussi à l’ouverture du film Maniac, l’original. C’est quelque chose qui à chaque fois amène quelque chose. Ce qui est assez étrange, c’est que quand on fait un film du point de vue subjectif, le film suivant est très bizarre, car c’est très difficile de repasser sur la filmographie habituelle classique. Il m’a fallu du temps pour appréhender le film suivant, que je viens de finir de tourner il y a très peu de temps pour me démarquer de cette vue subjective qu’on avait adoptée avec Maniac.
Q : La question était aussi la sensation que j’ai eue en voyant votre film. Je me suis posé la question à savoir si le fait d’être constamment en caméra subjective n’était pas restrictif au niveau des plans et de l’image.Aja : En effet, c’est une vraie frustration. On a pris une décision au départ et il fallait s’y tenir. C’était mon rôle en tant que producteur d’insister là-dessus, parce que Franck venait me voir tous les jours en me disant que ce n’était pas possible, qu’il fallait retourner la caméra et qu’on filme Elijah en train de dire ce qu’il est en train de dire. On ne peut pas l’avoir juste derrière la caméra en train de parler. Il a fallu tenir cela car je pense que le film existe par ce concept. Si on avait changé le concept en cours de route, je pense qu’on se serait perdu entre les deux et il n’y aurait pas eu cette intensité.
Fasulo : Y a-t-il des moments où vous vous demandez dans quoi vous vous engagiez, que c’était peut-être une bonne idée sur le papier, mais assez difficile à tenir en réalité ?Aja : En effet, tous les jours jusqu’à ce que l’on présente le film la première fois à un public et là, la réponse est assez immédiate, soit cela marche ou ne marche pas du tout. Mais c’est vrai qu’à chaque instance, on s’est demandé pourquoi ne pas faire quelque chose de plus classique. En même temps, voilà une originalité sur un film qui est déjà un classique, sinon à quoi bon le refaire.
Fasulo : Ce qui est justement intéressant, c’est que dans toutes les parties du scénario, vous développez ce lien avec l’original notamment le fétichisme du mannequin car le personnage est un artiste. Cela aussi vous a-t-il permis de développer d’autres thèmes présents dans l’original et d’en développer d’autres ? Etait-ce une volonté dès le départ de dupliquer les morceaux de bravoure de l’original ?Aja : La première version du scénario allait là où l’original allait. On refaisait ces thèmes-là. Il se trouve que j’ai déjà quelque part fait mon remake de Maniac, à travers Haute tension. Il y a beaucoup de scènes qui sont très proches, notamment une scène qui se passe dans une station-service qui est plan par plan exactement celle du métro de New York de l’original. Je n’avais pas envie de refaire ces moments de bravoure nécessairement et surtout à l’écriture, on a fait le même travail que celui qu’on avait fait sur La Colline a des yeux, c'est-à-dire reprendre des personnages, reprendre l’histoire et de creuser, de creuser, de creuser et de développer le pourquoi il y avait des mannequins dans son appartement. Finalement en développant ce fétichisme, le fait qu’il a grandi dans cet atelier de mannequin, on arrive à développer son angoisse de se transformer lui-même en mannequin. Tout cela enrichit le personnage. C’est vraiment un travail qui est dans l’écriture, qui parle de l’essence de l’original pour arriver à un film qui est différent et c’est exactement ce qu’on avait fait sur La Colline a des yeux de la même manière en respectant l’histoire de base et, en même temps, en arrivant à un endroit un peu plus riche et plus intéressant.
Q : J’aurais aimé savoir quand on fait un film comme celui-là, quels types de sentiments on peut nourrir vis-à-vis du personnage ? Est-on plutôt dans des sentiments ambivalents ou plutôt on considère le personnage comme un ami ?Aja : C’est tout d’abord une très bonne question. C’est vrai que jusqu’à maintenant dans tous les films, on était plutôt positionné du côté des victimes, en essayant de créer un certain graphisme de la violence. Ici, c’est un peu l’opposé dans le sens que l’on est d’emblée avec lui. Finalement, en réfléchissant à ce qui m’avait vraiment marqué dans le film de William Lustig, c’était cette empathie malgré moi. C’était ce côté, ce type est un monstre, il est dégueulasse, il filme d’une manière horrible ce type qui tue et scalpe. L’empathie venait d’un sentiment universel que je pense que l’on a tous, qui est la peur d’être abandonné, la peur d’être seul, la peur de ne pas être aimé, le désir d’être aimé et des fois la colère de ne pas l’être. Ce sentiment-là, on l’a tous, on peut le comprendre. Finalement, de voir ce personnage qui le vit à l’extrême, d’une manière extrêmement violente, cela devient quelque chose de très universel. On dépasse un peu le fait que ce soit un monstre, pour finalement réfléchir à une sorte de fable presque sur notre propre vie.
Fasulo : Nora, n’as-tu jamais été intimidée par le personnage de Elijah Wood sur le set. Il a un regard qui est totalement incroyable. Son rôle était-il uniquement basé sur son intensité de jeu ? Y a-t-il eu des moments où toi, en tant que comédienne, tu as réussi à palper cette inquiétude ?Arnezeder : Bah tous les jours. Travailler avec un acteur aussi extraordinaire fut un vrai plaisir. Je n’ai pas eu besoin de le voir dans les yeux pour ressentir ses émotions, ressentir sa force. Travailler avec un acteur comme lui, cela te fait progresser. J’ai trouvé aussi cela génial quand Alexandre m’a dit que cela allait être Elijah Wood qui allait jouer le tueur. On ne s’y attend pas du tout. Il fait mi-ange, mi-démon.
Rob : Ce qui est effrayant est à quel point il peut être terrifiant en étant la personne la plus gentille au monde.
Fasulo : Tu l’avais vu aussi dans Sin City dans lequel il jouait un rôle particulièrement violent ?Aja : C’était plus une silhouette qu’un personnage dans ce film. Il avait déjà joué ce côté tueur. C’est quelqu’un qui malgré sa grande volonté, c’est un énorme fan de cinéma d’horreur. Je pense qu’on va le revoir très vite dans d’autres rôles. Il va maintenant faire des choses qui lui font plaisir.
Fasulo : Par rapport aux effets spéciaux, dans l’original ils étaient signés Tom Savini qu’on ne présente plus et il y avait une magnifique explosion de tête, peut-être une des plus belles de l’histoire du cinéma. Là, quelles étaient les consignes par rapport à KNB ? J’ai l’impression qu’il se sont vraiment amusés. Je n’ai jamais vu un film aussi brutal et avec des effets spéciaux si convaincants. C’est vraiment dégueulasse.Aja : Il y avait en effet un défi. Greg Nicotero qui était le co-fondateur de KNB qui est une boite de maquillages et d’effets spéciaux à Los Angeles et avec lequel j’avais déjà travaillé sur La Colline a des yeux, Mirrors et Piranha 3D en était le responsable. Je lui ai dit voilà, on va refaire Maniac et il a eu une réaction extrêmement forte, car il a commencé à travailler avec Tom Savini. Il savait qu’il ne pouvait pas se rater là-dessus. On l’attendait au tournant. Je savais que les membres de KNB allaient se dépasser. Le défi était à la hauteur de leur talent. Il fallait vraiment réussir aujourd’hui à faire des effets qui sont marqués. Je ne sais pas si on a réussi à faire les choses, mais l’analyse pour moi était la clé et ce fut un mélange assez subtil d’effets réels, de maquillages et d’effets spéciaux numériques pour rendre ces effets encore plus invisibles. Tout est fait aujourd’hui dans l’invisibilité de l’effet. Si on voit l’effet, on n’y croit plus.
Fasulo : En plus toi, Alexandre, tu es amateur de tout ce qui est prothèse.Aja : J’aime le mélange des deux. On se sert des effets numériques pour améliorer les effets maquillages réels. Je n’aime pas le tout numérique comme le tout maquillage. Je trouve qu’il y a toujours un juste milieu justement pour arriver à un résultat qui est le plus invisible possible, le plus transparent et le plus réaliste. On ne voit jamais un mauvais maquillage qui sort d’un film immédiatement.
Fasulo : Est-ce que tout est dans le montage qu’on peut voir en salle ? Toutes les scènes violentes qui ont été tournées ont-elles été conservées, ou y a-t-il un moment où vous vous êtes dit que cela aurait du mal à passer ?Aja : Je ne m’en souviens plus. Pascal, tu t’en souviens ? Il est dans la salle. Le monteur du film est dans la salle et il se cache. Bon, je crois qu’on a tout utilisé. J’ai l’impression qu’il y a peut-être un élément qu’on n’a pas utilisé, mais je ne me souviens plus lequel.
Q : J’aimerais savoir comment s’est passé la rencontre avec Thomas Langmann ? Pourquoi avoir décidé de travailler avec lui, car ce n’est pas du tout le genre de film sur lequel il travaille ?Aja : Justement, c’est méconnu, mais Thomas est un grand fan de genre et un énorme fan de Maniac. Il est vraiment à l’initiative du projet. Cela a commencé par des discussions ensemble. Il me parlait de Maniac et du fait qu’il l’a découvert en salle et que ce film l’a traumatisé. C’est lui qui est venu avec l’idée et on a discuté longtemps avant de se décider de se lancer dans cette aventure. C’est à lui que je dois ce film, car il a mis ce film sur les rails et j’espère que ce film sera le premier d’une longue série de productions de genre pour lui, car il aime vraiment cela.
Q : Pouvez-vous nous dire pour quelles raisons vous n’avez pas réalisé ce film ?Aja : Quand le projet s’est mis en place, j’étais en train de finir Piranha et très vite, il a été question que mon collaborateur Gregory Levasseur le réalise. C’est devenu une évidence inégale et finalement le tournage a été un petit peu déplacé et Greg, pour des raisons familiales, ne pouvait plus faire le film. Le film est donc passé dans les mains de Franck Khalfoun, mais mon investissement personnel a toujours été le même. Je voulais accompagner le film au-delà de l’écriture. Je voulais être là sur le plateau et être là en préparation jusqu’à la fin de la fabrication du film. En tant que réalisateur, j’avais le sentiment que j’avais déjà exploré ce film via mon film Haute tension. Je n’avais pas envie de refaire quelque chose de trop similaire. J’avais vraiment envie de trouver un réalisateur qui allait amener quelque chose de nouveau et je pense que si j’avais fait ce film, j’aurais peut-être été tenté de tourner dans des différences de ton. Pour moi, la production et la réalisation sont deux choses différentes. Je viens de finir, il y a une semaine, mon dernier film. C’est vrai que la production entre deux films, quand on écrit, cela reste quelque chose où on peut participer à un film sans en être.
Q : Votre projet d’adaptation du manga culte « Cobra » est-il toujours d’actualité ?Aja : Cobra est toujours d’actualité. Cela avance. C’est un beau projet, très ambitieux. Cela prend donc du temps de trouver des acteurs, le financement et j’espère que cela sera le prochain. Le scénario se basera sur pas mal d’histoires.
Propos recueillis par Mulder, le 11 décembre 2012, au cinéma Max Linder suite à l'avant-première du film Maniac,
Avec nos remerciements à Gwenn Gautier et Emie Le Fouest de l’agence WayToBlue.
Photos : Boris Colletier