Entretiens - Daniel Pemberton au sujet de Gold et de sa carrière

Par earina, Los Angeles, 21 décembre 2016

“Trying to record a complicated film score is sometimes like playing a very crap version of Battleships..” - Daniel Pemberton

Q: Quel est votre bagage musical et comment êtes-vous devenu compositeur de musiques de film?

Daniel Pemberton : J’ai commencé à faire de la musique électronique étrange dans ma chambre lorsque j’étais très jeune et en écrivant pour la TV… Un réalisateur m’avait demandé de faire son show télévisé alors que j’allais encore à l’école, j’ai juste fait un million d’émissions, c’est ainsi que j’ai appris comment faire. Quelque part, à travers cette expérience, je suis devenu un compositeur.

Q: Vous avez une carrière très diversifiée puisque vous avez composé pour des jeux vidéo, la TV et les films. Comment choisissez-vous vos projets?

Daniel Pemberton : J’essaye toujours de faire quelque chose de différent de ce que j’ai fait auparavant. Je tente toujours d’écrire une bande-originale propre à chaque projet. Je trouve cela plus facile à faire si je travaille sur un film qui est très différent de ce que j’ai fait avant.

Q: Vous avez travaillé avec de grands réalisateurs comme Gareth Edwards, Ridley Scott, Danny Boyle. Pouvez-vous nous parler de ces collaborations et des souvenirs que vous en avez gardés?

Daniel Pemberton : chaque collaboration est différente, et c’est une des choses les plus fascinantes, je pense, dans le fait d’être un compositeur de musique de film. Vous devez ajuster votre approche à chaque fois. Avec Gareth, j’ai un incroyable souvenir de nous deux en train de faire un film il y a 8 ans, quand il n’avait pas encore vraiment de carrière en tant que réalisateur. Il essayait de se lancer et nous avons fait un film court, en 48 heures. Maintenant, il réalise Star Wars, ce qui est assez dingue. C’était une joie de travailler avec Ridley Scott. C’était aussi très intimidant pour mon premier grand film à Hollywood, surtout avec un réalisateur aussi légendaire que lui, qui a tellement de bandes-originales iconiques pour ses films depuis 30 ans, cela a été d’une grande influence pour moi. C’est une personne très chaleureuse et collaborative avec qui travailler, intéressée dans ce que j’avais à dire, de mon approche sur les choses. Je pense avoir beaucoup appris en travaillant avec lui, d’avoir gardé ma propre voix et de ne pas être effrayé de faire ce qui me semblait être l’approche la plus intéressante pour un film. Danny Boyle dispose d’un grand enthousiasme et est très positif, il vous pousse à créer quelque chose de différent à chaque fois. Cette utilisation fantastique de la musique à travers ses films a, encore une fois, eu une grande influence sur moi. Très intimidant de travailler avec quelqu’un comme ça, mais un réalisateur très entraînant et positif avec qui travailler.

Q: En parlant de grands réalisateurs, vous avez récemment travaillé sur le film de Stephen Gaghan, “Gold”: quel a été votre processus de création pour cette bande-originale? Quelles recherches avez-vous faites avant de commencer ?

Daniel Pemberton : Stephen a été un très grand réalisateur avec qui travailler, très intéressé à l’idée de faire une bande-originale différente, pas l’approche traditionnelle. Gold, en tant que film, a été un défi parce qu’il y a tellement d’aspects différents dans l’histoire et il fallait trouver un moyen dès le début. Mon approche initiale était de créer quelque chose à partir d’objets métalliques, d’or étincelant, quelque chose de métallique parce qu’ils ressemblent à de l’or. C’était comme des gongs et des cloches, j’ai ressenti quelque chose d’intéressant dans cette approche. Cela n’allait pas vraiment ensemble jusqu’à ce que je réalise qu’il y avait dans le film un son absolument brillant et j’ai essayé de créer un bande-originale autour de ce son, qui était en réalité la cloche du New York Exchange. Pour moi, c’était le symbole du capitalisme, le rêve américain et l’idée du succès à l’américaine. J’ai voulu prendre ce son, qui était le son de New York, et le mettre dans la jungle de l’Indonésie, et ensuite prendre le son de la jungle, cet espèce d’exotisme, et le mettre dans New York. Vous apportez ces parallèles entre les gratte-ciels, les ravins et les montagnes. Les animaux sauvages et aussi les traders. Il n’y avait pas beaucoup de différence, vous avez des prédateurs dans les deux zones. C’était un bon début. Nous avons pensé que je pouvais composer des musiques avec cette cloche du New York Exchange, qu’il y aurait un bon rythme et un bon tempo, que ça marcherait vraiment bien avec la vitesse de l’histoire, avec Kenny, dans cette conduite implacable, cette quête implacable. Vous pouvez les ralentir, et cela sonne comme les cloches de l’enfer. Vous pouvez les accélérer, et cela sonne comme s’il y avait une file de gens, tapant avec des pioches. C’était une façon fascinante de s’amuser avec un son et de l’utiliser comme point de départ et comme socle afin de composer. Ce son est présent dans tout le film, parfois caché, parfois mis en avant, parfois encore caché.

Q: Quels ont été les défis rencontrés pour cette bande-originale?

Daniel Pemberton : Je pense qu’il y a beaucoup de défis dans le fait d’avoir à unifier un certain nombre d’aspects différents de l’histoire. La relation entre Kenny et Kay, trouver le rythme de son implacable conduite et recherche de quelque chose. Je pense également à l’exotisme, la grandeur de la jungle, l’énergie et le danger du capitalisme de New York. Avoir tous ces lieux différents, toutes ces idées ensembles, dans une bande-originale qui vous emmène dans un voyage excitant à travers le film.

Q: Vous avez co-écrit la chanson originale “Gold” pour le film. Quelle a été votre méthode de travail avec une légende de la musique comme Iggy Pop? Comment avez-vous travaillé pour écrire ensemble cette chanson?

Daniel Pemberton : Stephen Gaghan, le réalisateur, était très enthousiaste à l’idée de faire une chanson pour ce film. Je pensais que ce serait une super idée mais j’étais assez débordé à enregistrer et mixer la bande-originale. Il est venu à Londres, il continuait à en parler et j’étais « Ok mon pote, on la fait. J’ai un jour de congé, viens me voir et on va essayer d’écrire quelque chose”. Stephen est venu me voir avec des supers paroles. Il avait écrit ces paroles, cette poésie, car il faut dire que c’est un grand écrivain. Il a écrit Traffic et Syriana, il a un vrai talent avec les mots. Il est venu avec toutes ces merveilleuses idées et j’ai du choisir celles qui étaient fortes, celles qui pourraient être travaillées en chanson et celles qui ne marcheraient pas du tout. Ensuite, nous avons commencé à travailler et à écrire une chanson. J’ai commencé avec quelques cordes, une mélodie et nous commencions à avoir une belle forme mais ce n’était pas fini et je devais retourner terminer la bande-originale. Stephen a dit : « Pourquoi ne l’enverrions-nous pas à mon ami Dangermouse?» et moi de lui répondre : « Ce serait super, j’adore Dangermouse, il est un de mes producteur préférés. Pense-tu vraiment qu’il sera ok ? » et Stephen de me dire: “Oui, je pense qu’il sera d’accord”. Nous avons contacté Dangermouse et il était d’accord. Il a dit : « Pourquoi ne pas demander à Iggy Pop de la chanter ? ». C’était absolument génial. Une idée fantastique. Dangermouse a participé à l’écriture, il a fait quelques arrangements, musicaux et lyriques et nous avons écrit cette chanson. Avoir écrit une chanson avec une légende comme Iggy Pop est un fantastique honneur.

Q: Nous sommes de grands fans de votre bande-originale pour Agents Très Spéciaux: Code U.N.C.L.E. Avez-vous été présent dès les débuts de l’aventure? Comment avez-vous choisis les différents instruments et avez-vous des anecdotes à nous raconter à propos de votre collaboration avec Guy Ritchie?

Daniel Pemberton : J’ai été impliqué dès le début pour Agents Très Spéciaux: Code U.N.C.L.E. J’avais travaillé de façon très rapprochée avec l’éditeur de Guy, James Herbert, qui est une force fantastique et créatrice derrière ses films. Nous nous jetions des idées entre l’édition et mon studio et nous avons beaucoup travaillé en tandem. Je voulais retranscrire le grand langage musical des années 60, ainsi que la musique d’espionnage des années 60, qui est un genre un peu exotique. J’aime la façon dont ces bandes-originales étaient implantées, les rythmes simples ou les mélodies. Je voulais capturer autant que faire se peut cette « couleur », l’enthousiasme de cette époque mais aussi y apporter quelque chose de neuf. Guy est un personnage fascinant avec qui travailler et il vous poussera aussi loin que vous le pouvez dans votre travail afin de créer un morceau de musique qui semble différent pour chaque scène, ce qui fera une superbe bande-originale, plus qu’un simple bon morceau.

Q: Vous avez récemment travaillé avec la réalisatrice française Nicole Garcia sur son film, Mal de Pierres. Connaissiez-vous ses films avant de travailler avec elle et quel a été votre processus de création pour cette bande-originale ?

Daniel Pemberton : Je n’étais pas familier avec le travail de Nicole avant mais j’étais avec la star du film, Marion Cotillard et j’ai toujours aimé les films qu’elle choisissait de tourner en France. J’étais très intrigué lorsque l’on m’a demandé de regarder ce film. Je l’ai vraiment adoré. Nous devions faire très vite car le film était nommé pour la Palme d’Or à Cannes et devait avoir une bande-originale rapidement. C’était un processus très intense, moi qui écrivais à Londres, en amont et en aval. Nicole venait me voir et s’assoir dans mon studio, je jouais certaines choses et parfois je retravaillais avec elle, dans mon appartement. D’autres fois, j’écrivais d’autres choses et je leur envoyais. C’était très intense. Je voulais créer quelque chose qui était, en un sens, plus traditionnel comparé à d’autres bandes-originales que j’avais composé, parce que je sentais que c’était ce dont le film avait besoin. Pas besoin d’être intelligent pour ça. Je pense qu’il faut toujours faire ce qui est bon pour le film et c’était une histoire très tendre, je voulais créer une bande-originale qui le soit également. C’était une bande-originale orchestrale traditionnelle, ce qui était sympa pour moi, pour changer parce que je fais toujours des choses un peu folles et expérimentales. C’est bon de faire quelque chose basé sur la musicalité. C’était super, que le film soit nommé à Cannes, pour la Palme d’Or, c’était comme si nous avions gagné. Mon studio préféré est Abbey Road, j’adore y enregistrer. Je fais tous mes enregistrements là-bas. Ils ont une super équipe de personnes fantastiques et j’adore travailler avec eux.


Q: Pouvez-vous nous parler de votre processus de composition?

Daniel Pemberton J’aime, si possible, être impliqué dans le film au plus tôt, au moment de l’élaboration du script, avant qu’ils ne commencent à tourner. Cela me donne beaucoup de temps pour expérimenter et échouer. J’adore expérimenter, voir comment les choses pourraient être faites différemment. Parfois, vous n’y êtes pas du tout mais si vous y êtes dès le début, alors vous avez plus de temps pour composer une bande-originale unique et plus individuelle. Vous avez aussi du temps pour l’arranger, si vous faites quelque chose de trop fou et que cela ne fonctionne pas. Tandis que, si vous ne l’avez pas à la fin, vous devez prendre l’option la plus sûre. Plus tôt j’y suis, plus je peux travailler et le film se fond en moi, il se fond comme j’aime. C’est ma manière idéale de travailler et j’en change pour chaque bande-originale. Pour King Arthur, nous avons testés tous ces trucs avec des instruments médiévaux tandis que pour Steve Jobs, j’ai fait beaucoup d’expérimentation avec de la musique électronique façon années 80 et de l’opéra. J’aime faire chaque film différemment et plus j’ai de temps pour bosser, plus je pourrai composer une bande-originale unique.

Q: Quels sont les compositeurs ou les musiques de film qui vous inspirent ?

Daniel Pemberton : Des millions. J’essaye d’absorber toutes sortes de musiques, vraiment. Cela dépend, je pense, de mon état d’esprit du moment. J’absorbe quelque chose de chacun, de Bach à Harold Budd et Brian Eno à d’autres compositeurs de piano des années 70. Il y a tellement de genre musicaux qui m’inspire parce que j’essaye de toujours trouver quelque chose dans chaque musique. Il y a toujours quelque chose, d’une façon générale, qui va m’intéresser. Outre la production, la musicalité, la performance, il est difficile de mettre le doigt dessus. En termes de musiques de films, je dirai qu’Ennio Morricone est probablement le personnage le plus inspirant, dans le fait qu’il écrivait, à mon sens, de la musique très expérimentale mais aussi mélodique et émotionnelle. J’adore prendre ces deux mondes et tenter de les mixer ensemble.

Q: Avec quels réalisateurs aimeriez-vous travailler dans le futur et pourquoi?

Daniel Pemberton : Je ne sais pas. Ce sont plus les projets, en fait. Les réalisateurs avec qui j’aimerai travailler ont déjà souvent une longue relation avec des compositeurs, ce pourquoi ils ont de grandes bandes-originales. Je ne veux pas nécessairement ne travailler qu’avec un seul réalisateur en particulier. Ce sont plus les projets : les projets où je peux faire quelque chose de différent ou d’inhabituel qui m’excitent vraiment. Plus que… N’importe quel réalisateur qui voudrait une approche différente, ou qui voudrait que je fasse quelque chose de nouveau, ou d’une façon intéressante ; voici le type de gens avec qui je veux travailler. Je ne suis pas très emballé par des films à gros budgets. Je suis bien plus intéressé pour travailler avec des gens qui veulent faire du cinéma excitant, faire quelque chose de nouveau.

Q: Pouvez-vous nous parler de votre projet, King Arthur : Legend of The Sword et de votre travail avec Guy Ritchie ?

Daniel Pemberton : King Arthur a été un gros, gros projet. C’est une bande-originale vraiment folle. Elle a été très expérimentale… Pour un blockbuster Hollywoodien, ça a été fou. Il y a beaucoup de moi-même, hurlant et respirant tout au long de cette bande-originale, ce qui est très intéressant. Nous avions une multitude d’instruments médiévaux ; nous avions fait beaucoup de recherches sur la construction de ces instruments. C’était comme créer, encore, un monde comme dans les films de Guy. Ce sont des films uniques et je pense que cette bande-originale en surprendra plus d’un quand le film sortira. Cela a été très amusant.

Q: Auriez-vous quelques conseils à adresser à de futurs compositeurs?

Daniel Pemberton : Travailler sans relâche. Tester des choses et travailler autant que possible, apprendre autant d’approches différentes à la musique afin de créer votre propre approche. Plus vous trouverez votre propre son, plus vous aurez de chances de vous détachez. Si vous avez le même son que tous les autres, qui vous engagera ? Si vous avez votre propre son, alors vous avez quelque chose que personne d’autre ne possède.

Nous remercions très sincèrement Daniel Pemberton pour cette interview et pour avoir répondu à nos questions.

Un très grand merci à Ray Costa pour nous avoir apporté son aide pour cette interview.

Traduction : Earina