Quentin Dupieux : J’ai un processus bien à moi pour l’écriture. J’ai pas envie de le révéler aujourd’hui, sinon tout le monde va pouvoir faire les mêmes films que moi, mais voyez, j’écris, je relis comme tout le monde et puis mes amis me donnent leur avis. On tourne alors le film et on se rend compte si les scènes sont réussies ou non. C’est complètement banal, c’est comme pour tous les films.
Gregory Bernard : Finalement ce n’est pas si banal que cela, car il n’y a pas d’intervention ou très peu. On a la chance d’être ses premiers lecteurs.
Eric Judor : Si je peux me permettre, il ne me demande pas du tout mon avis. Il s’en fout à la limite et quand je lui donne, il va à l’inverse de mon avis. Il fait style qu’il est ouvert aux propositions, mais en réalité non.
Q : J’aimerais savoir ce qui caractérise vos films, car ce n’est pas un cinéma de l’absurde. Si vous pouvez le définir, car c’est un contrepoids et ce n’est pas si absurde que cela quand on regarde. Pour les comédiens, est-ce que c’est aussi un tournage de l’absurde ?Dupieux : Je vais répondre à la place de Eric. Non, ce sont des tournages très sérieux et très studieux. Mais lui, il ne s’en rend pas compte. Le mot absurde est chouette, mais ne veut plus dire grand-chose malheureusement. De mon point de vue, ce film-là est un film tout à fait normal, qui ressemble à la vie.
Judor : Maintenant, si je peux répondre, Quentin ne me donne pas une grand latitude de jeu. Il sait exactement ce qu’il veut, ce qui fait que lorsque je commence à m’écarter de la ligne qu’il m’a composée, on coupe alors en pleine scène. Comme je fais partie de son œuvre, cela ne va pas être un numéro d’acteur qu’il va demander aux comédiens. Il va leur demander de jouer le plus près possible du texte sans donner trop de nuances, juste servir la situation et servir l’idée qu’il a de son œuvre.
Q : Ce film est fait par des Français aux Etats-Unis. En même temps, je pense que c’est suite à une analyse après avoir observé les Américains et leur comportement envers leurs animaux de compagnie. Comme vous l’avez dit tout à l’heure, c’est un film qui parle de la vie.Dupieux : Malheureusement non. J’adorerais dire oui, mais non. J’observe les chiens depuis très longtemps au travers de mes voyages aux Etats-Unis. Ce n’est même pas mon point de vue sur l’Amérique.
Bernard : Merci de poser cette question. Avec Quentin, on a un petit peu décidé ensemble de cette ligne éditoriale et d’aller tourner des films en anglais là-bas, car on pense que les artistes français qui ont une dimension internationale peuvent tourner en anglais. C’est vrai que c’est inspirant les Etats-Unis, un lieu pour produire particulier. On mélange des équipes françaises et américaines, des stars francaises et des stars américaines. C’est le pari de faire des films indépendants français en anglais et aux Etats-Unis. Dans cette démarche, on trouve qu’il y a une énergie complètement nouvelle et très excitante.
Dupieux : Si je peux rajouter, c’est aussi très agréable d’être exotique pour les Américains. Cela les mets dans un climat particulier, je pense. Je ne parle pas très bien anglais, je me débrouille. Pour eux, je suis clairement un étranger et j’apporte quelque chose d’étrange et qui n’est pas leur quotidien.
Q : Quentin, j’ai entendu parler de vous avec le film « Steak », que je voulais voir mais que je n’ai pas réussi à voir et que je n’ai toujours pas réussi à voir …Judor : Bah télécharge-le, il ne te reste plus que cette solution. Tu as peut-être un souci moteur, car c’est assez simple : tu tapes « Steak » et « téléchargement » et tu devrais trouver un site. Comment cela se fait que tu n’as pas réussi ? Tu es un peu gogol ? Sinon, sur les autoroutes, les stations services … Vas-y, fonce !
Dupieux : Je suis sûr que tu vas réussir à le voir. Tu devrais l’avoir pour deux euros.
Q (suite) : Je voulais voir « Rubber » aussi que je n’ai pas réussi à voir. Vous faites vraiment des ovnis ! J’ai vraiment aimé votre film, qui est assez délirant. Eric, vous êtes depuis « La Tour Montparnasse infernale » un de mes acteurs fétiches et celui-là, oui, je l’ai vu une bonne dizaine de fois. J’aimerais savoir si cela n’a pas été trop dur de jouer un film en anglais ?Judor : Tu dois avoir de sacrés problèmes. C’est bien, au moins celui-là, tu as réussi à le voir ! Tout cela pour ça ? Tu as beaucoup de cœur comme personnage. Je parle mieux anglais que ce que l’on entend dans le film. Un meilleur anglais que celui de Jacques Delors, qui est quand même très particulier. Avec Quentin, on cherchait une manière de parler, un personnage en fait pour interpréter ce jardinier. Du coup, on est tombé d’accord sur cet accent, qui a bien marché dans les projos que l’on a fait, notamment à Sundance. L’accent français fonctionne bien, cela fait bien gogol. J’ai l’impression que cela n’a pas mal fonctionné aussi ici. Depuis le début de ma carrière, j’aime bien jouer avec l’anglais, faire le grand nul. Je me débrouille bien en anglais.
Q : Moi, j’ai pu voir « Steak » et « Rubber » ! La forme est beaucoup plus conventionnelle cette fois. Est-ce une façon pour vous de rentrer dans le rang ?Dupieux : Honnêtement, je ne me rends pas compte. J’ai l’impression que tous mes films sortent du même tuyau. Je n’ai pas l’impression que celui-là soit particulièrement conventionnel. Il est peut-être plus classique dans la mise en images, mais je n’ai pas l’impression que les deux précédents aient été complètement fous. Vous l’avez peut-être mieux vécu. Il n’y a aucune volonté de changer mes films. C’est toujours la même source et surtout pas de rentrer dans le rang. J’essaye de ne pas me regarder faire. Je fais le film et on avise.
Judor : J’ai l’impression qu’il est moins conventionnel que ce qu’il a fait précédemment. Notamment « Steak », car on nous avait reproché de faire la comédie de Eric et Ramzy, mais cela ressemblait plus à un truc formaté et conventionnel que ne l’est « Wrong ».
Bernard : En ce qui concerne « Wrong », c’est vraiment quelque chose qui est sorti du cerveau de Quentin de façon très impulsive et très rapide, car entre le moment où il a décidé d’écrire et de livrer le film, il s’est passé un peu plus de six mois. Je pense que dans ce processus-là, il y avait une très forte envie et vision, mais pas de réflexion sur le conventionnel et l’anti-conventionnel.
Q : De quelle idée êtes-vous parti pour arriver à un film comme celui-là ? Y a-t-il un message dans ce film ?Dupieux : D’un chien. Non, il n’y a surtout pas de message. A chacun d’inventer son message et son ressenti. Je trouve cela réducteur d’enfermer le film dans un message. C’est un film touffu, qui part dans tous les sens et qui contient plein de choses. L’idée de base, je l’ai eu quand je suis né et elle n’a pas cessé d’évoluer. C’est toujours la même idée qui se recycle. L’idée est de vivre.
Judor : Il y a huit, neuf messages. Ok, pour le niveau de la réponse, c’est vivre.
Q : J’aimerais savoir si le choix de l’acteur principal a été évident. Il incarne parfaitement l’univers du film.Dupieux : En fait, j’ai écrit le film pour lui. Il jouait déjà un petit rôle dans « Rubber » et j’avais adoré travailler avec lui. Cela a été très simple de le trouver, car il a été là.
Q : Est-ce que vous pensez que le succès imprévu que vous avez eu quand vous étiez musicien avec le tube monumental qui était « Mr Oizo » et le phénomène de mode qu’il a pu y avoir vous a-t-il influencé dans votre reflexion ?Dupieux : C’est un vaste sujet, mais disons qu’en premier lieu, c’est quelque chose qui m’a fait perdre du temps, car j’ai gagné beaucoup trop d’argent trop jeune et je suis devenu quelqu’un de bête. Il a fallu me reconstruire rapidement pour pouvoir redevenir un être humain raisonnable. J’ai fait ce film en 2001, qui s’appelait « Non film », pour dépenser un peu cet argent et qui m’a permis de rencontrer Eric. Pour répondre à votre question, non, le succès mondial de la pub et du morceau flat beat m’a juste amené des ennuis.
Judor : Et une jaguar. C’est le film « Non film » que j’ai vu avec Ramzy et qui nous a fait dire que nous devions faire un film, n’importe quoi qu’il écrive, avec ce réalisateur. L’autre là, qui chiale, il fallait le voir à l’époque. Vroommmm, bouteille en boite.
Q : J’aimerais savoir surtout comment le film a été tourné ? Est-ce avec une équipe très légère, comme ce fut le cas sur « Non film » et « Rubber » ou c’est plutôt dans la même manière qu’avait été tourné « Steak » ?Dupieux : En fait, c’est le même type d’équipe que « Rubber ». Ce fut une équipe très réduite par rapport à un film classique. Cela n’a rien à voir avec « Steak », qui était comme une vraie production, avec beaucoup de gens assis sur des caisses.
Judor : … dont des acteurs.
Dupieux : Beaucoup d’attente. Il fallait des gens qui déplacent la lumière, qui déplacent des caisses. Quand j’ai fait « Rubber », j’ai essayé d’annuler tout cela, pour aller plus vite et faire des films plus rapidement et pas attendre, car je trouve cela insupportable d’attendre. Maintenant, on a cette équipe et cette formule qui fonctionnent très bien aux Etats-Unis. C’est une équipe très réduite et presque ridicule à regarder de l’extérieur, tellement c’est petit.
Bernard : Effectivement, il a tourné avec un petit budget. Cela nous oblige et c’est un choix que Quentin a travaillé qu’il y ait peu de monde sur un plateau, mais cela vient aussi du fait que Quentin fait tout. Il occupe cinq à six postes.
Judor : Il fait aussi la bouffe le midi, par exemple.
Bernard : On a tourné « Wrong » en 21 jours. Cela a été très rapide.
Q : Comme disait Eric, j’aimerais que l’on revienne un peu à l’absurdité, au contrepied qui sont la thématique de votre œuvre. J’aimerais savoir ce qui vous nourrit ? Le cinéma genre Tati, quelque chose comme cela ou plutôt de la littérature ? Etes-vous ce genre de mauvais garçon ?Dupieux : Je n’ai pas l’impression d’être ce mauvais garçon, le vilain canard qui fait tout à l’envers. Pour moi, c’est complètement normal, dans mon esprit c’est fait pour être drôle. Après, on peut appeler cela comme on veut, absurde, grotesque. Tous les mots sont permis. Mon idée reste de vous faire rire avant tout. En ce qui concerne la nourriture, je suis comme tout le monde, je me nourris de bonnes choses, mais également de très mauvaises choses. Je regarde plein de mauvais films avec délice. Je pense qu’il serait trop prétentieux de dire que j’ai été influencé par les grands metteurs en scène. J’ai vu beaucoup de bons films et j’aime beaucoup de metteurs en scène. Je suis aussi nourri par toute la chiotte que l’on nous sert à longueur d’années et cela fait partie de moi. Pardon pour le mot « chiotte ».
Q : Je voulais savoir si vous avez été influencé par le mouvement surréaliste, comme votre affiche ?Dupieux : Oui, disons que c’est digéré, car on parle dans le passé, c’est des trucs que nous avons tous digérés, intégrés. Cela fait partie de nous. Tout cela s’est intégré. On ne peut pas se revendiquer des choses du passé, car ce sont des choses que nous avons consommées, digérées ou pas. Cela fait partie de nous. Autant qu’une pub « Babybel » des années 1980. C’est la même chose, vous voyez ce que je veux dire ?
Bernard : J’aimerais faire un sondage : on s’est beaucoup battu pour cette affiche. Qui aime l’affiche dans la salle ?
Q : Eric, vous avez dit tout à l’heure que vous n’interveniez pas dans l’écriture du scénario, mais je me suis posé la question sur la scène de l’hôtel avec Emma, puisqu’elle dit que c’est le coup du siècle et je me suis demandé si ce n’était pas votre idée ?Judor : C’est vrai, comme j’ai un micro pénis, évidemment, c’est un truc que j’ai voulu placer. Non, en fait, je ne participe pas du tout à l’écriture du scénario. Il me le fait lire en amont et il me demande mon avis, mais je ne suis pas sûr qu’il intègre mes remarques.
Dupieux : Pourtant, au montage, Eric a fait une remarque sur le début, car le générique était trop long et je l’ai prise en compte. Je réponds à ta place. Il y a plein d’inventions tout le temps, je garde des choses mais lui, il oublie qu’il me les a apportées. On fait comme si c’était moi qui l’avait écrit, mais cela vient de lui. Il faut un capitaine à bord.
Judor : Je suis ta marionnette, ta chose. On a déjà eu ce débat. Des fois ton matelot … Moi, je suis là-haut sur le mât. [En s’adressant à un journaliste dans la salle] Etonnant ton t-shirt Malabar. C’est une copie ? Il a une couleur particulière.
Q : Quentin, pouvez-vous nous parler de la vision humide que vous avez du bureau ?Dupieux : J’aime bien le choix du mot humide. Par contre, je n’ai pas compris la question.
Q : Il pleut beaucoup dans ce film. D’où vient l’idée de la pluie dans le bureau ?Dupieux : On ne sait jamais d’où viennent les idées. Je dois avouer que l’on peut faire une métaphore après coup. L’idée de la grisaille au bureau. Quand j’ai écrit cette scène, je ne pensais même pas à cela. J’ai juste envie de voir des mecs bosser sous l’eau.
Judor : C’est pourtant simple la métaphore. C’est une réponse de mauvaise foi. Il pleut dans le bureau, cela veut dire ce que cela veut dire. C’est la grisaille du quotidien. Il y a au moins un message que tu peux avouer. C’est dingue ça !
Dupieux : C’est peut-être mon fantasme du bureau, car je n’y ai jamais travaillé.
Q : J’ai une question pour Gregory : le film sort mercredi prochain en France et aux Etats-Unis, il sort quand ? Avez-vous fixé un objectif de salles avec les producteurs américains ?Bernard : Aux Etats-Unis, cela sort à priori en janvier. Au Fantastic Fest aussi, fin septembre. On est distribué par un distributeur que l’on aime beaucoup. Cela va sortir dans les grandes villes aux Etats-Unis. Ce film existe aux Etats-Unis, comme « Rubber » y a existé. Je ne sais pas si la question recouvrait la sortie salles en France aussi. Notre film sort mercredi et j’espère que vous allez convaincre beaucoup de monde d’aller le voir. Le film sort dans une cinquantaine de salles. On augmente petit à petit notre exposition et on espère que le public nous suivra.
Q : Quelle était la part de votre cachet dans le budget ?Judor : Merci beaucoup pour votre question. C’était un sandwich de marque Fauchon. Quand on va sur les films de Quentin, cela n’est pas pour s’enrichir. On y va pour l’œuvre et pour le principe de rester immortel en fait. Ce sont des œuvres qui vieillissent bien, je pense. « Steak » est parmi les films que j’ai faits et qui vieillissent le mieux. « Wrong » va être de la même nature. Je ne vais sûrement pas y aller pour de l’argent.
Dupieux : J’ai honte, mais Eric a toujours joué gratuitement pour moi.
Bernard : J’aimerais remercier Eric, mais on participe un peu tous à ce processus. Dans cet éco-système, tout le monde joue le jeu : la grande star française et maintenant américaine, les acteurs américains, Quentin. Cela permet de maintenir une énergie incroyable sur le plateau, car tout le monde est là pour les bonnes raisons : c'est-à-dire travailler avec Quentin. Cela permet de se donner plus de libertés.
Dupieux : Même moi, je suis là pour travailler avec moi. Les tournages sont pour moi un vrai bonheur, il n’y a jamais de conflits, c’est fluide.
Judor : Il y a un truc de particulier avec les tournages de Quentin : personne n’y va pour les mauvaises raisons, tout le monde y va au service d’une œuvre et Quentin est un peu comme un gourou pour tous ces gens. On est tous fan de son travail et quelle que soit la décision prise sur le plateau. C’est la meilleure décision, c’est celle qui va le mieux servir. Je vois William Fichtner pareil, il était tout tremblant à faire ses propositions d’acteur, pareil pour Jack Plotnick, on est tous à son service et à attendre qu’il nous bénisse.