Q: Vous avez, tout au long de votre carrière, travaillé avec John Flynn pour "Nails", Frank Marshall pour "Congo", Robert Rodriguez pour “Une nuit en Enfer”, Brett Ratner pour "Rush Hour", Michael Mann, Ridley Scott, Wolfgang Petersen, Steven Soderbergh, Steven Spielberg. Comment choisissez-vous les films sur lesquels vous travaillez ?
John Hawkes: En fait, plus tôt dans ma carrière, je n’avais pas beaucoup de choix. Je devais payer le loyer alors je prenais le job qui se présentait. Plus tard, quand j’ai commencé à avoir le choix, mes décisions sont devenues simples. Je cherche une très bonne histoire, avec des gens supers associés au projet, des conteurs, si vous préférez. Réalisateur, écrivain, producteur, acteur et aussi un grand rôle. C’est une combinaison entre les gens, le rôle et le projet.
Q: Comment en êtes-vous arrivé à travailler sur le film "Too Late” et pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Dennis Hauck sur le film?
John Hawkes: Bien sûr. "Too Late" est un projet très ambitieux. Un film avec un petit budget, tourné en 35 mm en 5 grandes prises. Par rapport à la collaboration avec Dennis, il a toujours été très disponible pour parler du script, du personnage, des scènes sur lesquelles nous travaillions et parce que le film retrace plusieurs années, par sa nature même, la collaboration a été très facile. Nous avons pris beaucoup de temps avant de tourner, nous avons eu de nombreuses réunions informelles, parfois autour d’un verre de whisky, à propos d’une scène que nous allions tourner.
Q: Où avez-vous trouvé l’inspiration pour cette chanson?
John Hawkes: Tout d’abord, avec le script. Ce n’est pas quelque chose que j’ai demandé à faire lorsque j’ai lu le script. Il y a un passage dans le script qui est décrit ainsi: Sampson commence à pianoter et leur chante une chanson à propos d’une fille qui se nomme Mary, et le bon temps qu’ils ont eu auparavant. Ça a été le début de mon inspiration. Ensuite, ce que j’ai commencé à faire afin d’écrire la chanson a été d’imaginer que nous n‘avions pas tourné cette scène. J’ai lu le script tous les jours. Dans cette scène particulière, pour faire simple, j’ai pensé à ce qui servirait au mieux l’histoire. La scène est à la fin d’une longue prise, dans un bar, très tard dans la nuit. C’est comme ça que j’ai commencé. J’ai senti que la chanson pourrait être relativement simple et qu’elle n’avait pas besoin d’être longue. Cela offrirait un indice subtil à propos du mystère de cette histoire, mais avoir une qualité élusive. Elle pourrait poser des questions plutôt que d’y répondre. J’ai aussi senti que la chanson pourrait être plaintive et douce-amère, et avoir une impression de « nuit tardive ». J’ai voulu tout ça dans la chanson, alors j’ai dû écrire quelque chose pour cela. Cela a fait un peu de travail.
Q: Quel est votre processus de composition?
John Hawkes: Il est à chaque fois différent. Parfois, c’est un morceau de musique qui vous inspire à écrire des paroles pour ce morceau que vous écoutez. Rien que les paroles en elles-mêmes, c’est un processus si mystérieux. Parfois, elles semblent tomber du ciel directement dans un trou au sommet de vôtre crane. Parfois, vous devez les pourchasser à travers les stations de bus et les rues de la ville. Les paroles peuvent vous suivre dans votre voiture, votre douche, presque comme un harceleur. Parfois, j’ai écrit des chansons sur des serviettes en papier dans un bar en 5 minutes sans raturer un seul mot et d’autres fois, une chanson vous prend 5 ans. Quand cela prend aussi longtemps, la chanson semble vous suivre jusqu’à ce que, finalement, elle vous coince dans un coin et que vous deviez vous rendre. A ce moment-là, vous y avez pensé depuis tellement longtemps que vous pouvez quasiment l’écrire d’une seule traite pour la toute première fois.
Q: Dennis Hauck est le scénariste et le réalisateur de "Too Late". Le connaissiez-vous avant de lire le script et comment avez-vous vécu ce scenario?
John Hawkes: je ne le connaissais pas. Nous avons un ami commun appelé David Yow, qui faisait partie de la scène d’Austin, au Texas, dans laquelle je me trouvais et qui a gagné une certaine renommée pour son groupe Jesus Lizard. Dennis l’a découvert car il était fan de ce groupe et l’a même rencontré et approché pour être dans un petit film qu’il avait réalisé. Quand “Too Late” a commencé, David a suggéré que je serai bien pour le rôle et a même dit qu’il avait écrit le rôle pour moi mais ne savait pas comment me le présenter. C’est ainsi que j’ai eu le script. Cela a pris beaucoup de temps pour que j’accepte de le faire. J’ai aimé l’idée. Dennis a fait quelques petites réécritures après une année à observer ce script et j’ai pensé qu’il était bon et ai pris part au projet.
Q: Il y a 5 scènes dans ce film qui sont des prises de 20 minutes. Quel a été le plus gros challenge créatif par rapport à des prises aussi longues ?
John Hawkes: je pense qu’à partir du moment où il n’y a pas du tout de modifications, le challenge c’est qu’il y a tellement de choses qui doivent bien se passer, au-delà de ce que font les acteurs. La camera et l’équipe faisaient comme une dance chorégraphiée pour capturer les scènes de 20 minutes. Je pense que le plus grand challenge créatif est l’erreur. Vous ne pouvez jamais avoir une parfaite prise de 20 minutes, alors on finit souvent pas choisir celle qui a le plus d’âme. Voici le challenge. Il n’y a pas de modifications. Dans une prise de 20 minutes, il y a tant de choses qui se passent, et vous essayez de trouver votre part. Chacun d’entre nous essaye de faire de son mieux.
Q: En moyenne, combien de prises avez-vous fait pour chacune des scènes non éditées de 20 minutes?
John Hawkes: Normalement, voici comment se déroulait le process: nous rencontrions les acteurs qui allaient jouer dans telle ou telle scène particulière, et le réalisateur Dennis Hauck rencontrait les acteurs pendant environ 1h30 et peut-être relire la scène une fois ou deux pour en parler. Le lendemain, nous allions sur le lieu du tournage et nous travaillions la scène pendant que la caméra et que l’équipe commençaient leur chorégraphie. À la fin de cette longue journée de tournage, nous faisions généralement une prise de 35 mm et le jour suivant, nous revenions et nous en faisions autant que possible. Je pense que Dennis doit mieux connaître le nombre de prises moyennes que nous avons fait. Le moins que nous ayons fait était 9 ou 10 et le plus 12 ou 13.
Q: Pouvez-vous nous parler de votre bagage musical et ce que vous préférez écouter le plus en tant que musicien et chanteur?
John Hawkes: J’ai grandi dans un milieu rural, dans une partie éloignée des Etats-Unis, dans le nord du Minnesota. Nous n’avions qu’une seule chaîne TV à l’époque alors j’ai lu énormément de livres et j’ai beaucoup écouté de musique. J’ai toujours été ému et transporté par la musique. Je n’ai pas de formation formelle en tant que musicien ou acteur. J’ai juste pris une guitare et j’ai commencé à en jouer parce que mon grand frère le faisait et que je voulais être comme lui. J’ai fini à Austin, au Texas, dans la scène post-punk des années 80 quand beaucoup de gens commencèrent à former des groupes parce qu’ils réaliseaient qu’on ne devait pas nécessairement être les Rolling Stones ou les Eagles pour se connecter aux gens et faire de la musique. Pendant presque 35 ans j’ai fait partie de groupes ou j’ai joué en solo. Ce que j’aime écouter est peut-être ce que j’aime à propos de la musique et du chant. Quand vous faites un film, c’est une façon très collaborative de raconter une histoire et vous dites généralement les mots de quelqu’un d’autre, quelqu’un qui a écrit le scénario. Une chose quand on est dans un groupe ou quand on est compositeur-interprète c’est de dire vos propres mots. La musique est aussi la forme d’art la plus puissante et la plus dangereuse. La musique populaire. Il y a une énergie que vous n’avez pas de la part d’une peinture, d’un livre ou d’un film. Il n’y a pas d’autre art populaire qui inspire autant les gens à se bouger le cul, pour parler ainsi, et de se révolter comme les générations l’ont fait. Ou juste tout arrêter et faire l’amour à la personne à côté de vous. La musique populaire est une forme d’art magnifique et dangereuse. Et c’est pour cette raison que je l’adore.
Q: Quel a été le moment le plus inspirant pendant que vous travailliez sur ce film?
John Hawkes: je pense que la toute première scene tournée à été inspirante. La toute première scène tournée a été celle qui a été placée en second dans le film. C’est la scène où je dois jouer de la guitare à la fin. Cette scène commence dans un nightclub. Tout débute dans un vestiaire où il y a une petite bagarre dans laquelle je suis impliqué qui poursuit mon personnage dans une rue de Los Angeles. Nous descendons le quartier et nous allons dans un club où Sally J et son groupe sont en train de jouer. Tout à la fin, c’est la fin de la nuit et les gens sont partis et Sally me demande de chanter une chanson. C’est une prise si ambitieuse et c’était la toute première scène que nous interprétions pour le film et c’était très libérateur et gratifiant de faire partie de cette longue prise qui a fonctionné. Je dois vous dire, je pense que nous avons du faire 10 ou 11 prises de cette scène et je ne pense pas avoir fait une seule erreur avec la chanson, qui était super. À la fin de la 18ème minute de prise, car il faut être honnête, elle dure 18 minutes, vous ne voulez pas être la personne qui ruine la prise parfaite car il faut alors tout recommencer et il faut à peu près une heure pour tout refaire entre les deux clubs, etc. La toute première scène a été très inspirante pour moi et je pense que nous avons tous ressenti que nous pouvions y arriver.
Q: "Too Late" a été tourné en 35 mm. Que pensez-vous de ce format et en quoi est-ce important, particulièrement pour ce film ?
John Hawkes: je pense que Dennis voulait un certain look pour ce film. Je pense qu’il a trouvé que seul ce format le satisferait. Cela rend les prises de 18 minutes plus difficiles et assure également qu’il y a peu de chance pour qu’il y ait une supercherie numérique. Il n’y a vraiment aucune modifications dans ce film, pas de modifications internes, jusqu’à la toute fin du film, les toutes dernières minutes. Dennis n’a rien changé du film lui-même. Encore une fois, il n’y a aucune modification ou autre. Aussi tentant que cela ai pu être car il y a des scènes qui, si elles avaient pu être filmées ensembles elles auraient fait une scène parfaite mais ce n’était pas son approche. Personnellement, j’aime les films de 35 mm parce qu’étrangement, bien que cela semble plus granuleux que numérique, cela me semble plus réel quand je les regarde. Je me sens plus impliqué dans l’histoire mais c’est peut-être juste parce que j’ai grandi en regardant des films.
Q: Quels sont vos projets actuels ou à venir?
John Hawkes: J’ai deux/trois films achevés. L’un s’appelle "Life of Crime", je joue le personnage principal dans celui-ci avec Anthony Anderson and Octavia Spencer, et d’autres. Il y a un film appelé "Unlovable", un film indépendant à très petit budget sur lequel j’ai travaillé. "Unlovable" a été merveilleux car je jouais un grunge agoraphobe avec plusieurs extraits de chansons et plusieurs chansons entières pour le film. Certains mots furent écris par le scénariste mais beaucoup d’entres eux sont de moi-même. Je pense qu’il y a un total de 12 ou 13 répliques musicales que j’ai inventé. C’était un challenge très appréciable. Ça s’est terminé il y a juste une semaine et demie. « Unlovable ». Finalement, pour Amazon TV, j’ai juste fait un pilote appelé "The Legend of Master Legend" où je joue le role de Master Legend, un véritable super héro qui vit en Floride. J’attends de voir si ça prend. Pour la partie musicale, je joue dans un groupe appelé Rodney and John. Nous terminons un enregistrement et prévoyons de le sortir et de faire une tournée en 2017. Nous allons faire une vidéo de notre version de la chanson Down With mary et je pense que cela sera disponible en ligne le 12 décembre.
Q: La série d’Amazon, est-ce un Marvel, un DC Comic ou un Indie Comic?
John Hawkes: Master Legend, tel qu’il est connu, est un super héro de la vraie vie. C’est un phénomène qui existe. Il y a eu un documentaire dessus. Les vrais super héros dont des gens qui ne possèdent pas de pouvoir magique, qui font généralement leur propres costumes et qui patrouillent les rues la nuit afin de combattre le crime.
Q: ça à l’air génial.
John Hawkes: Ho oui!!
Q: Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui veut travailler comme acteur ou chanteur/parolier?
John Hawkes: Je dirai que toute personne qui ne veut pas d’un travail normal travaille dans le cirque. Je l’appelle le cirque car vous êtes dans le milieu du divertissement. Les gens qui ont un métier en dehors de la norme et, croyez-moi, j’ai eu beaucoup de boulots normaux, ont rejoint le cirque. Je dirais que la première question que je poserai à quiconque souhaite rejoindre le cirque ou peut-être d’une façon plus compréhensive, plus simplement, si quelqu’un veut faire un métier créatif, une vie qui implique une carrière dans l’art, je pense. La première question que je poserai, donc, ce serait : veulent-ils vraiment le faire et pourquoi. Si c’est pour être riche et célèbre, vous ne serez peut-être pas heureux. Vous le serez peut-être, mais si c’est parce que vus adorez faire partie de l’art et de raconter une histoire, c’est une bonne réponse. Je pense que s’il y a quelque chose d’autre que dans ce monde que vous pensez que vous voulez faire, vous devez poursuivre ce rêve. Si c’est dans votre sang et que c’est ce que vous voulez, vous devriez être heureux d’avoir trouvé quelque chose que vous aimez et y travailler aussi dur que vous pouvez. Je recommanderai l’expérience de la vie plus que celle de l’école mais c’est juste mon expérience. L’école offre beaucoup, j’en suis sûr, pour les musiciens, les acteurs ; les artistes. L’expérience de la vie est la clef, je crois, et est irremplaçable. Essayer de vivre un peu hors de l’art, faire d’autres choses. Vous devez trouver ce qui unique en vous. Votre voix, pas seulement en tant que chanteur, mais votre voix en tant que romancier ou sculpteur ou quoi que vous poursuiviez. Ce qui vous rend unique et ce qui vous rend différent et réellement l’accepter pour ce que c’est. Et ensuite réaliser que ce qui vous rend intéressant et unique ; et ne pas avoir peur de faire des choses qui ne sont pas nécessairement dans les livres, pour ainsi dire. Briser les règles. Je pense que lorsque vous trouvez votre propre voix, vous pouvez le faire. Enfin, je dirai que si vous voulez une vie dans l’art, et je pense que cela vaut pour tous les êtes humains, quelque soit leur travail et leurs vies, les gens qui réussissent ne sont pas ceux qui ne sont jamais à terre car tout le monde se retrouve à terre. Ce sont les gens qui se relèvent, qui se dépoussièrent et qui font un autre pas en avant et qui continuent dans ce qu’ils font le mieux.
Nous remercions très sincèrement John Hawkes pour cette interview et pour avoir répondu à nos questions.
Un très grand merci à Ray Costa pour nous avoir apporté son aide pour cette interview.
Traduction : Earina