Q : Quel est votre parcours musical et comment êtes-vous devenu compositeur?
Nicholas Britell : J’ai commencé le piano à 5 ans. J’avais vu le film « Les Chariots de Feu » et nous avions un très vieux piano dans notre appartement. J’ai tellement adoré cette musique que je me suis dirigé vers le piano et que j’ai tenté de comprendre, et j’ai demandé des leçons à ma mère. C’est à ce moment là que j’ai réellement commencé le piano ainsi que, probablement, mon intérêt pour les musiques de film. J’ai étudié le piano classique. J’ai envisagé devenir un pianiste professionnel et éventuellement commencé à faire un peu de jazz. Ensuite, à l’université, j’ai rejoints un groupe de hip-hop et je m’y suis investi un long moment. C’est également à l’université que j’ai eu, pour la première fois, l’opportunité d’écrire une musique pour un film. Un ami très cher réalisait son premier film et m’a demandé d’en composer la bande-originale. J’ai eu l’opportunité d’écrire 2h30 à 3h de musique orchestrale, pour ce film qui, à l’époque, n’avait aucun budget. J’ai fini par tout programmer dans un clavier mais ça a été une grande expérience. J’ajouterai qu’au lycée j’étudiais le piano dans la division pré-universitaire Juilliard. A l’université, j’étais à Harvard et c’est là que j’ai eu mon groupe de hip-hop.
Q : Vous avez créé, tout au long du film, des textures musicales uniques et magnifiques. Il y a t’il une réplique ou une texture musicale qui se détache spécifiquement pour vous et en quoi est-ce important?
Nicholas Britell : Merci beaucoup. Je pense que la réplique qui est devenue comme la signature de cette bande originale est le morceau intitulé “The Middle of the World”. C’est le moment où Little apprend à nager. C’est la musique que Barry et les producteurs ont utilisé pour la bande-annonce. L’obtention de ce son a été un processus fascinant. Barry cherchait quelque chose de réellement puissant pour cette scène et plus tôt, dans l’exploration musicale effectuée pour cette bande-originale, j’ai été attiré par le son du violon. Nous avons enregistré un violon très calme, qui fait ressortir la poésie inhérente du film. Ce qui était intéressant c’est que, dans la scène de nage, le violon revêt une toute autre personnalité et monte vraiment en flèche. J’ai eu l’idée d’utiliser presque les caractéristiques d’un concerto de violon ; des arpèges à grande échelle, qui ont été incroyablement interprétées par Tim Fain, notre violoniste. Dans un certain sens, cela a été pour moi la réplique la plus importante car, lorsque nous avons enfin terminé ce son, j’ai pensé que cela correspondait exactement à ce que la scène demandait. Musicalement, j’ai pensé que c’était une opportunité incroyable d’écrire quelque chose avec un tel degré de virtuosité, mais pour moi, il y a une réelle émotion dans ce son. Il y a un alanguissement dans ce violon qui essaye d’atteindre des hauteurs, et je pense que c’est une réplique très importante.
Q : Il y avait-il des challenges créatifs à composer cette musique pour ce film? Si oui, comment les avez-vous surmontés?
Nicholas Britell : Je ne parlerai pas de challenges créatifs. Je dirai qu’il y avait des opportunités créatives que Barry et moi avons explorées. Si je ne devais parler que d’un seul challenge, je pense que ce serait la façon dont nous avons créé une cohésion à travers les trois chapitres d’une vie. Comment avoir à cet endroit un lien à travers le temps, qui permette également une transformation ? S’il ne devait y avoir qu’un seul challenge dont je doive parler, cela serait sûrement celui-ci et il y a une infinité de façons sur lesquelles nous avons travaillé. Plus tôt dans le processus de composition, Barry m’a dit son amour pour le chopped and screwed, qui est un style de hip-hop du sud, où la musique est ralentie. Vous prenez une piste et vous la ralentissez, et dans le processus de ralentissement, le ton descend et s’en trouve réellement enrichi et profond et revêt une personnalité complètement différente. Nous avons eu l’idée intéressante de faire cela sur le morceau classique que j’écrivais pour le film. Qu’est-ce-que cela donnerait si nous appliquions ces techniques esthétiques à une bande-originale orchestrale ? Nous étions immédiatement excités par les possibilités de faire cela. Une des façons de faire évoluer la musique à travers ces trois chapitres a été d’utiliser ces techniques. Par exemple, au début du film, il y a un thème au piano et au violon pour Little, que nous avons appelé « Little’s Theme ». Musicalement parlant, les éléments de ce morceau sont similaires quand il revient dans le chapitre deux, nous l’avons appelé « Chiron’s Theme ». Cependant, dans le chapitre deux, c’est modulé d’une façon différente. C’est un peu plus bas, profond et riche. Non seulement il y a une clef différente mais c’est aussi plus lent et plus bas. Après cela, dans la scène de la cour d’école, qui est une expérience incroyablement traumatisante et difficile pour Chiron, la musique est chopped and screwed vraiment intensément. Elle descend de presque 3 octaves. J’ai ensuite pris le morceau, travaillé par couches et à travers un filtre vinyle. Le résultat est quelque chose de quasiment méconnaissable et, pourtant, occasionnellement, on peut entendre des réminiscences du thème original, « Little’s theme ». On entend le piano par touches occasionnelles et tout le morceau résonne dans les sub-woofers. Voici donc un exemple de ce que cela donne, une même musique complètement transformée par ce type de process. Il y a pourtant un lien car il s’agit des mêmes éléments sonores mais complètement transformés. C’était un des éléments. Il y a beaucoup d’autres façons dont nous avons fait évolué le son à travers le déroulement du film mais c’était une des techniques et je pense que cela a, en même temps, transformé et rendu possible la cohésion à travers les chapitres.
Q : Parlons un peu de votre façon de travailler. Débutez-vous au piano avec des thèmes ou avec une idée que vous traduisez en musique?
Nicholas Britell : C’est une bonne question! Ça depend complètement. Parfois je suis au piano mais d’autres fois, un sentiment ou une idée me vient en premier à l’esprit. Ensuite, j’essaye d’explorer cette idée, parfois sur le piano, parfois sur le papier, parfois aussi à l’ordinateur où je peux tester des sons différents ; il n’y a pas qu’une seule manière de faire. Parfois, une idée entière apparaît, parfois juste une bribe d’idée et vous devez ensuite essayer des choses. Il y a des périodes où vous êtes assis au piano, où vous explorer les choses et où vous n’êtes pas certain de la direction à prendre. Il y a une partie recherche quand vous essayez de trouver les choses qui vous semblent correctes. Je dirais qu’il n’y pas une seule et même manière d’écrire de la musique.
Q : Il semble que vous ayez eu une incroyable collaboration avec Barry Jenkins. Avez-vous un souvenir de votre travail avec lui que vous souhaiteriez partager?
Nicholas Britell : C’était génial de travailler ensemble. Je pense que mon meilleur souvenir reste le fait que nous avons été capables de travailler de façon aussi proche. Barry prenait l’avion pour New-York de temps en temps et nous travaillions ensemble dans mon studio ici à Lincoln center. Nous pouvions passer des journées entières à tester des idées et voir comment la musique impactait certaines scènes. C’était une grande chance d’être complètement immergé dans un process creatif et, pour moi, c’est une des grandes joies d’être un compositeur de musique de film, l’opportunité de collaborer avec d’autres personnes sur la musique. Pour moi, c’est vraiment le fait d’écrire de la musique qui me chamboule mais, en même temps, c’est surtout à propos du film. Le film et comment la musique interagit avec lui. La chance de travailler de façon aussi rapprochée avec une personne dans le studio est quelque chose que je recherche et repousse. Je pense que les semaines incroyables que nous avons passé ensemble à travailler sur la bande-originale était vraiment la meilleure partie.
Q : Quels sont les compositeurs ou les musiques qui vous inspirent?
Nicholas Britell : Il y a tant de compositeurs qui m’ont inspiré. Comme je l’ai mentionné plus haut, écouter « Les Chariots de Feu » a été ma première inspiration en tant qu’enfant, mais en tant que pianiste classique, il y a tellement de compositeurs que j’aime jouer. J’adore jouer Mozart, Rachmaninoff, Schumann, Gershwin et Beethoven. J’aime aussi le hip-hop alors j’en écoute beaucoup. J’adore tout ce qui se fait, de Dr. Dre à Gang Starr et je suis un très grand fan de tous les styles de musique. Il y a tant de compositeurs et de musiques à travers le monde que je trouve inspirants.
Q : Pouvez-vous parler de votre prochain projet?
Nicholas Britell : Oui! En fait, pour mon prochain projet je compose la musique du film « Battle of the Sexes », réalisé par Jonathan Dayton et Valérie Faris ; c’est l’histoire d’un match de tennis, en 1973, entre Billie Jean King and Bobby Riggs. On retrouve au casting Steve Carell en tant Bobby Riggs et Emma Stone en tant Billie Jean King.
Q : Un conseil pour les jeunes compositeurs qui souhaitent composer spécifiquement pour les films?
Nicholas Britell : Je pense à certaines choses. Le premier conseil que je donnerai, c’est d’explorer autant de musique que possible et de réellement étudier la musique. Trouver le petit plus dans la musique que vous aimez, quelles sont les choses que font les compositeurs pour créer ces sons, parce qu’une fois que vous en comprenez les techniques vous pouvez les mettre en pratique. Etudier une symphonie de Mozart et voir ce que Mozart fait qui permet de créer tel sonorité ou telle texture. Ensuite, la chose la plus importante, c’est aimer les films et en regarder beaucoup. En grandissant, j’avais l’habitude de regarder les films d’une façon obsessionnelle. C’était un rituel d’aller à Blockbuster Video, de louer énormément de films et d’en regarder tout le temps. C’est génial d’être maintenant capable de participer à l’élaboration de films, eux qui ont bercé mon enfance et mon adolescence. Je pense que la chose la plus importante est de réellement étudier les films, surtout si quelqu’un est intéressé par la composition de bandes-originales. C’est voir la façon dont la musique fonctionne dans des films différents et voir les choix des compositeurs et réalisateurs, dans quelle voie se dirige la musique, différents points et comment elle affecte les choses. Je pense que si vous faites cela, cela vous emmènera loin dans la compréhension et la capacité à devenir un compositeur de musique de film.
Nous remercions très sincèrement Nicholas Britell pour cette interview et pour avoir répondu à nos questions.
Un très grand merci à Ali Homek pour nous avoir apporté son aide pour cette interview.
Traduction : Earina