Q : Pouvez-vous nous parler de votre formation et de comment vous êtes devenu compositeur?
Mark Isham : Je n'ai jamais étudié l'art de la composition de façon formelle à l'école. J'ai grandit dans une maison à l’ambiance musicale et j'ai su dès mon plus jeune âge que je voulais faire de la musique. Je me suis donné pour but d'apprendre des choses que je ne connaissais pas, de retranscrire de la musique depuis des enregistrements, de regarder des bandes originales par moi-même. J'ai quand même étudié la musique pendant quelques mois avec un ancien professeur de composition vers la fin de mon adolescence – nous avons analysé Bartok et Herbie Hancock. J’ai laissé tombé l’université après 4 mois et j’ai commencé à travaillé comme trompettiste professionnel – jouant dans des symphonies aussi bien que dans des groupes de jazz ou de rock. Je savais que je voulais une carrière d’interprète alors j’ai travaillé sur des démos pour des compagnies d’enregistrement. Après plusieurs années, cela a finalement payé et j’ai obtenu un contrat avec Columbia Records. J’ai fait quelques enregistrements ainsi que des tournées avec mes propres groupes pendant quelques années. Une des démos que j’avais fait se retrouva entre les mains d’un réalisateur, Carroll Ballard. Il a adoré et a demandé à ce que j’auditionne pour la bande-originale de son film, Un Homme parmi les Loups. Jai décroché l’audition et je me suis retrouvé à la composition, je ne sais pas vraiment comment. Il m’a beaucoup soutenu ainsi que les éditeurs alors, au final, j’ai réussi à composer une bonne bande-originale. Elle a attiré l’attention d’un jeune agent qui voulait me représenter et voilà comment tout a commencé!
Q : Mr. Wolff (2016) est votre quatrième collaboration avec le réalisateur Gavin O’Connor après Miracle (2004), Le prix de la Loyauté (2008) et Warrior (2011). Que pouvez-vous nous dire de cette collaboration et sur la façon dont vous composez les musiques de ces films ?
Mark Isham : Gavin et moi travaillons très bien ensemble. Nous croyons tout deux dans la communication et notre relation est forte et très productive. Nous avons fait des films de genres très différents. Miracle était une bande-originale classique. Orchestral, le thème dirigé, le Prix de la Loyauté était plus “moderne” – plus de relief et un son hybride mais avec des caractéristiques de guitare classique. Warrior a été identique mais hautement émotionnel avec des moments de musique d’orchestre qui fusionnaient avec des éléments du rock. Ce qu’il y a avec les films de Gavin, c’est que peu importe qu’ils soient durs et virils, il y a des pics d’émotion extrême que la bande-originale devait enlacer avec le bon ton. Nous faisons beaucoup de temporaire. Gavin veut une approche unique alors faire du temporaire peut vraiment aider à trouver le bon ton et le bon son. Mr. Wolff fait usage de toute notre expérience commune. Il a été le plus difficile des 4 films pour tout vous dire. Le personnage de Chris est si unique qu’il n’y avait aucun choix évident sur la façon de le mettre en musique.
Q : La bande-originale de Mr. Wolff est hybride. Vous avez travaillé avec un orchestre de 78 musiciens. Quel en est votre plus beau souvenir?
Mark Isham : Les essais sur The Trial Of Solomon Grund (piste 10 de l’album de Mr Wolff) étaient probablement mes moments préférés. L’orchestre au complet, le solo de violoncelle, la chorale et de vastes percussions – c’est si amusant d’écouter un orchestre en live ! Et voir votre réalisateur sourire jusqu’aux oreilles ! La session avec les trois grands pianos était aussi très amusante!
Q : Vous avez dit de cette bande-originale qu’elle était la plus diversifiée que vous ayez jamais fait, mais elle tient par l’unité thématique – la bande-originale est basée sur des équations mathématiques et des modèles. Comment l’avez-vous créée et pensez-vous que les mathématiques sont présents dans notre vie et nous aident chaque jour?
Mark Isham : Pendant que je composais la bande-originale, j’ai réalisé que me limiter au genre et à l’instrumentation ne m’aidait pas (je pensais que si). Je pensais également que l’univers de Chris était l’un de ceux où la beauté abstraite des mathématiques était presque comme une religion pour lui. Mettre de subtils modèles dans la composition devenait une façon d’unifier le son et de nous garder, le public, connecté d’une certaine façon à son monde. J’ai toujours adoré le fait que les mathématiques jouent une part importante dans la structure de la musique. Je me repose beaucoup dessus pour résoudre des problèmes musicaux et me pousser à sortir des sentiers battus.
Q : Comment vous y prenez-vous pour composer une bande-originale?
Mark Isham : Des bandes-originales différentes demandent un processus de composition différent pour moi. Pour une bande-originale traditionnelle, mélodieuse et thématique, je m’assiérai devant le piano pendant plusieurs jours, écrivant des thèmes et des mélodies et, plus tard seulement, m’installerai à l’ordinateur pour les transformer en musique de film. Certaines bandes-originales ont commencé par des design sonores et de la programmation. D’autres, comme Mr. Wolff, comportent des éléments des deux. Je fais des va-et-vient, cherchant une voie pour le personnage du film.
Q : Votre filmographie est très impressionnante, presque 100 films! Hitcher (1986), Point Break (1991), Blade (1998), The Majestic (2001), Le Dahlia Noir (2006), The mist (2007), Le Flingueur (2011) et tant d’autres que nous pourrions encore citer. Vous avez composé pour des films de chaque genre. D’où vous vient une telle inspiration?
Mark Isham : C’est précisément le changement qui m’inspire! Si je n’avais rien fais d ‘autre que des drames sombres, pendant des années et des années, je n’aurai certainement pas eu cette longévité ou je n’aurai pas été aussi inspiré. J’apprends aussi beaucoup de ce merveilleux langage musical, c’est l’inspiration suprême !
Q : Selon vous, pourquoi la musique est-elle si importante dans un film ?
Mark Isham : La musique peut apporter une communication très subjective à un film. Chacun ressent l’émotion de la musique d’une façon légèrement différente et personnelle. Elle peut certainement porter le public au plus proche de l’expérience du personnage et de ses émotions. C’est aussi un puissant outil de conteur car elle pointe du doigt des choses que les images ou les mots ne peuvent pas. Cela représente un contrepoids émotionnel à une scène qui enrichit également l’histoire.
Q : Vous avez collaboré avec de grands réalisateurs comme Barbet Schroeder, Kathryn Bigelow, Robert Redford, Robert Altman, Peter Hyams, Adam Rudolph, Bruce Beresford, Jodie Foster, Williamd Friedkin, Frank Darabont,… Quel en est votre meilleur souvenir?
Mark Isham : Je me rappelle avoir eu de grandes conversations avec Jodie Foster sur ses films! Elle est l’une des personnes les plus intelligentes que je connaisse ! C’est aussi une amoureuse de jazz et adore apporter ce genre musical à ses films. Alan Rudolph et moi avons fait beaucoup ensemble. Il m’a toujours poussé à explorer des choses nouvelles pour ses bandes-originales. Robert Redford est un gentleman, si élégant ! Il me parlait toujours de la bande-originale comme si elle et moi étions des acteurs – notre arc émotionnel et notre motivation – c’était très perspicace ! Kathryn Bigelow m’a vraiment donné la chance de trouver ma propre voix dans la composition de musique de films d’action – définitivement un tournant dans ma carrière !
Q : Dans quel studio préférez-vous enregistrer vos bandes-originales et pourquoi? Où avez-vous enregistré la bande-originale de Mr. Wolff?
Mark Isham : J’ai enregistré dans le monde entier. A Los angeles , j’ai beaucoup travaillé dans le studio d’enregistrement de Warner Bros – c’est là que nous avons enregistré Mr. Wolff. C’est une grande salle sonore, avec une grande équipe, très flexible. Et les musiciens de Los Angeles sont les meilleurs du monde ! À Londres, bien sûr, il y a Abbey Road et AIR qui sont difficiles à battre !
Q : Quels compositeurs sont pour vous une source d’inspiration?
Mark Isham : Aujourd’hui, ma plus grande source d’inspiration est John Adams. Je suis également un grand fan de Gorecki et d’Arvo Pärt.
Q : Quelles sont, selon vous, les grandes différences entre travailler pour la télévision (séries et documentaires) et pour les films?
Mark Isham : À la TV, vous avez un calendrier serré. Vous devez prendre les bonnes décisions tout de suite. L’expérimentation se fait au moment où le son est défini. Vous devez trouver une idée qui aura une certaine longévité, peut-être 7-8 ans ? Mais aussi laisser de la place au développement. Il y a plus de temps dans un film pour trouver le son et prêter plus d’attention aux détails.
Q : Qu’aimez-vous dans le processus de composition?
Mark Isham : J’adore le fait que chaque composition me donne l’opportunité d’apprendre quelque chose de plus sur la musique - de quoi elle est capable en tant que langage – quels effets émotionnels je peux créer avec ! Travailler « sur le terrain » avec des gens que je respecte et que j’admire. Expérimenter un réel travail en équipe et de camaraderie !
Q : Avec quels réalisateurs américains aimeriez-vous travailler et pourquoi?
Mark Isham : Tate Taylor est une personne dont j’admire les films et je pense que nous travaillerions bien ensemble. J’aimerai aussi beaucoup m’essayer au film Marvel avec Jon Favreau ou Joss Whedon.
Q : Quels sont vos projets actuels?
Mark Isham : Je viens tout juste de terminer un film pour Gabriela Cowperthwaite intitulé LEAVEY. Et avant cela, un film écrit par Bill Dubuque, l’auteur de Mr. Wolff, appelé The Headhunter's Calling. Je travaille actuellement sur un film d’animation Duck, Duck, Goose!
Q : Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui aimerait devenir compositeur?
Mark Isham : Composez, composez, composez! Entraînez-vous! Laissez-les gens vous connaître! Faites–en la promotion! Ecrivez - promouvez ! Continuez! Vous trouverez votre propre voix et votre propre public!
Nous tenons à remercier tout particulièrement Mark Isham pour avoir répondu parfaitement à nos questions et nous adressons un remerciement spécial à Andrew P. Alderete pour notre collaboration fructueuse..
(Traduction: Earina)