Paul Dano : En fait, pour vous répondre que cela soit du film que vous avez vu hier en compétition ou celui qui nous réunit aujourd’hui, je n’arrive pas à les percevoir moi dans une continuité. Quand on me propose un rôle et quand je m’investis dans la préparation d’un rôle, je ne réfléchis pas aux autres rôles. Chacun d’eux est pour moi une expérience singulière dans laquelle je plonge, car je veux essayer d’aller au plus près du personnage. Je sais en tout cas que les personnages qui m’intéressent sont ceux qui ont une certaine complexité ou qui ont un conflit qui se joue à l’intérieur d’eux et de leur trajectoire. Si c’est quelque chose de très linéaire, cela n’a pas d’intérêt particulier pour moi. Je veux avoir de la matière à creuser, à explorer. J’aborde un personnage quand celui-ci m’intéresse. Savoir si c’est moi qui, d’une façon ou d’une autre, arrive à graviter autour de ces personnages-là ou est-ce que c’est le type de personnage que les metteurs en scène me proposent, je n’ai pas véritablement de réponse.
Zoe Kazan : Je considère que Paul est un acteur qui est capable de tout jouer. Cela en soi est un plaisir de pouvoir écrire pour lui, mais je pense qu’une face dont je voulais m’approcher pour laquelle on était pas habitué de le voir dans ce type de rôle, est quelque chose de son potentiel de comique. Il est quelqu’un de très drôle dans la vie et je trouvais qu’au cinéma, il avait une sorte d’aptitude physique qui lui permettait d’être dans un genre auquel on était pas trop habitué. Il avait quelque chose d’un Jacques Tati. Cela a été jubilatoire d’écrire dans ce sens-là et de savoir que je lui proposais quelque chose d’assez inédit dans sa carrière.
Q : J’aimerais savoir qu’en tant que comédien, est-ce que l’on s’écrit son propre parcours et que l’on s’invente des vies ? Est-ce que cela est une chose à laquelle vous avez réfléchi ?Kazan : Il y a une question assez proche de celle-là que l’on m’a posé à propos de ce film, qui est en fait si les différentes phases par lesquelles passe le personnage de Ruby sont de différents personnages. Est-ce que se sont de différentes Ruby ? J’aurais tendance à dire qu’elles représentent ses différentes transformations, c’est la multiplicité des facettes que nous avons tous. La vie fait que nous mettons en avant certaines dimensions de notre personnalité. Ce qui existe en nous de façon potentielle n’émerge qu’en fonction des circonstances que nous sommes amenés à traverser. Ce qui m’intéressait dans le film est d’explorer cette multiplicité. Je crois qu’il y a des choses que l’on garde en soi et qui sont des sortes de démons qui peuvent apparaître dans certaines circonstances comme je l’ai vécu. Dans le cas de Paul, il me semble lorsqu’il tournait « For Ellen », il avait soudain une nouvelle dimension à sa personnalité, qui n’était pas une transformation induite par le film, mais qui était le fait que les choses venaient à la surface et qui n’étaient que de manière potentielle en lui.
Dano : Je crois que c’est ce qui fait l’intérêt de ce métier qui est le nôtre. Ce fait de pouvoir vivre différentes vies est aussi ce qui le rend aussi effrayant et un peu dangereux. Tout l’enjeu, ce qui fait que l’on continue d’exercer ce métier, qu’on le tient et poursuit est d’essayer de creuser davantage et d’explorer les différentes facettes et possibilités que nous avons en nous. C’est ce que j’aime dans ce métier.
Q : Votre film est à la fois une réflexion sur le créateur et sa création, avec à la fois cette idée qu’il peut se prendre pour Dieu et tout faire, mais aussi cette notion que j’ai rencontré chez beaucoup d’écrivains, qu’à un moment donné, les personnages leur échappent et pensent à vivre leur propre vie. La thématique en dessous était-elle celle-là que vous vouliez faire passer ?Kazan : Oui, absolument. Moi en tant qu’auteur, j’ai toujours la même façon de procéder. Je laisse mes personnages mener la danse. C’est eux qui vont de l’avant. C’est moi qui essaye tout simplement d’être à leur écoute et de les suivre. Une fois que je les ai suivis, arriver à créer une certaine cohérence avec les choses qu’eux, ils m’ont suggérées en tant que personnages. Dans mon scénario, il y avait à la fois cette dimension et aussi une dimension sur la vision du couple et le fait que dans une histoire d’amour, l’autre demeure toujours inconnu et qu’il est absolument vain de chercher à le figer dans une connaissance que nous croyons avoir de l’autre. Il est changeant de façon constante. C’est cette lutte vaine dans nos histoires d’amour qui m’intéressait aussi.
Q : Pouvez-vous me dire d’où vient votre connaissance de la musique française ? Entendre Plastic Bertrand, « Cela plane pour moi » dans un film américain, cela surprend.Kazan : Il se trouve en effet que j’ai une grande passion pour la culture française et notamment pour le cinéma français. Le choix qui m’appartient, c’est celui que le personnage parle subitement français. J’ai trouvé cela plus amusant et inattendu que par exemple le fait de la faire parler espagnol, parce qu’en Californie, beaucoup de gens parlent déjà espagnol et cela aurait été plus banal. Le fait qu’elle parle français sort de l’ordinaire. Pour ce qui est de la bande musicale, ce n’est pas moi qui l’ai choisi, ce sont les réalisateurs qui l’ont fait. C’est une sorte d’heureux accident qui me convenait, car c’était tout à fait dans l’esprit, dans le ton, de ce que j’avais écrit.
Q : On a pu constater que vous êtes capable de jouer de multiples rôles et de rentrer dans le personnage de façon incroyable. J’aurais voulu savoir si à un moment donné, il y a un personnage qui vous a tellement marqué que vous avez eu du mal à le quitter ? Une sorte de possession ?Dano : Si j’étais seul à cette table, je répondrais que non, pas du tout. Là, je me dois de reconnaître que c’est simplement dû au fait que lorsqu’on fréquente quelqu’un ou un personnage pendant des heures et des jours successifs et que très naturellement, cette personne peut dépeindre sur vous et cette décoloration peut prendre du temps avant de partir. La rupture se fait, on ne voit plus l’autre personne, la disparition de son empreinte n’est pas immédiate. Il faut un peu de temps pour que cela se passe, mais je n’exclue pas par une espèce de phénomène mystérieux. Il faut que je dise que plus j’ai la sensation de m’être rapproché du personnage et plus j’apprécie mon propre travail. Je ne le vis pas comme une difficulté ou une tare.
Kazan : C’est bien de parler de cette notion de teinte, puisque pour le film « For Ellen », il avait des tatouages qui ne sont pas partis tout de suite. Il a fallu quinze bons jours après la fin du tournage pour que les tatouages disparaissent. Je crois qu’une fois que les tatouages avaient disparu, les autres effets du personnage avaient disparu aussi.
Q : Paul, avez-vous une préparation identique pour élaborer vos rôles ? Zoe, lui avez-vous laissé un peu de liberté dans l’interprétation de son rôle ou tout était écrit de manière précise pour lui et tous les acteurs du film ?Dano : Je dirais que, vraiment, à chaque fois c’est différent, que chaque rôle arrive avec son propre environnement et du coup demande une préparation différente. C’est presque banal et cliché de le dire mais moi, j’ai authentiquement le sentiment à chaque fois de commencer pour la première fois, de n’avoir aucune idée de la façon dont je vais pouvoir jouer un rôle. Cela a quelque chose d’un peu déstabilisant et effrayant, mais cela est aussi ce qui me plait dans cette découverte à chaque fois. Les indications qui peuvent m’être très précieuses sont ces annotations que je trouve dans le texte lui-même, dans le scénario. Le temps que je passe avec le texte est un temps assez précieux, qui vous donne déjà des indications de départ. Après, ce qui l’entoure, les circonstances dans lesquelles vous préparez un rôle évolue à chaque fois et fait que l’expérience reste unique.
Kazan : En fait, ce n’est pas de mon fait, mais du fait des réalisateurs, qui tenaient à ce que le scénario soit un scénario définitif et qu’il soit respecté à la lettre lors du tournage. J’ai essayé de partir sur ce principe-là, mais en nous laissant la liberté de savoir si au moment du tournage un acteur arrivait avec une proposition, qui était plus intéressante que celle écrite, il fallait que l’on soit suffisamment souple pour pouvoir l’accepter pour tous les acteurs, exceptés Paul. Lui, il n’avait pas le droit de déplacer une virgule.
Q : Avez-vous des films français que vous aimez beaucoup ?Dano : Nous avons beaucoup de goûts communs, c’est pour cela que je vais répondre. De Godard, nous aimons « Le Mépris » et « A bout de souffle » ; de Louis Malle « Lacombe Lucien » et « Le Souffle au cœur » ; de Robert Bresson « Un condamné à mort s’est échappé » et « Au hasard Balthazar » ; de Jean-Pierre Melville « Le Samouraï » et « L’Armée des ombres » ; de Jacques Tati « Playtime ».
Q : Dans le film, il est question de rêves et de psychanalyse. J’aurais donc aimé savoir si vous deux, vous avez des rêves quand vous écrivez ou, quand vous jouez un personnage, vous en rêvez. Au niveau de la psychanalyse, est-ce que cela peut aider les créateurs ?Dano : Sans rêverie, je ne ferais pas ce métier. Pour moi, il n’y a pas d’autres façons de travailler que de laisser mon imagination prendre son envol. Même quand je travaille sur rien de précis, c’est mon activité préférée.
Kazan : Sur ce que Paul a dit, je suis tout à fait d’accord. Je fais partie des fervents défenseurs de la psychanalyse. C’est aussi peut-être une lubie familiale, car je n’ai guère eu le choix. Mon père m’a dit qu’à l’âge de 18 ans, tout artiste doit faire une psychanalyse.