Marshall Lewy : En vérité, la raison pour laquelle Robert Carlyle n’est pas avec nous, c’est qu’il est en train de tourner une série télévisée, dont le tournage se passe à Vancouver. C’est vrai que son interprétation est extraordinaire et le film repose en grande partie sur son jeu d’acteur. Il y a aussi également beaucoup d’acteurs que j’aurais aimé emmener avec moi. Cela s’est joué à pas beaucoup. Par exemple, l’héroïne principale de mon film a failli venir, mais au dernier moment, cela n’a pas pu se faire. En ce qui concerne Robert Carlyle, c’est quelqu’un que j’admire beaucoup. Ces dernières années, il a joué beaucoup pour la télévision, un petit moins au cinéma. C’est quelqu’un que je connais depuis longtemps au cinéma, mais que je ne connaissais pas personnellement. J’avais ce fantasme de rêve que cela serait formidable de faire un film indépendant aux Etats-Unis avec une grande vedette britannique. C’est la raison pour laquelle j’avais pensé à cet acteur pour mon film. Lorsque j’ai écrit le rôle, c’est vraiment lui que j’avais en tête, encore une fois sans le connaître. J’espérais qu’il accepte le rôle dans mon for intérieur. Il a accepté et j’ai eu beaucoup de chance. Robert Carlyle et mon film sont liés jusqu’à la fin des temps et c’est tant mieux. Pendant le tournage, je me rappelle qu’avec son franc parler, il a dit qu’il était dans toutes les putains de scènes du film. C’est comme si le film reposait sur ses épaules. Ce fut un vrai plaisir de le diriger.
Q : Je m’excuse ma culture musicale britannique est un peu limitée, donc j’aurais aimé savoir si ce musicien et ce groupe existaient ? Vous êtes-vous inspiré d’une histoire vraie ? Pourquoi avoir eu envie de mettre en scène un musicien exilé et contraint de retourner en Angleterre ? Vous parlez ainsi aussi bien d’immigration que de démons personnels qui peuvent être réveillés.Lewy : Par rapport à ce groupe dont nous parlons dans le film, il n’existe pas. Il a été inspiré et modelé sur beaucoup de groupes du milieu des années 1990. Il s’agit de la vague du brid pop, des groupes qui marchaient beaucoup. On peut citer par exemple Oasis que Robert Carlyle connaissait bien, car il avait joué dans une de leurs vidéos. Il y a d’autres groupes qui m’ont également servi d’inspiration, comme Blur, Stone Roses. On a mélangé un peu tous ces groupes pour donner naissance au groupe du film. Pour moi-même, ce sont des groupes que j’aime beaucoup et que j’écoutais beaucoup à l’époque déjà. Mais c’est vrai aussi que cette histoire est une histoire très personnelle. Comme je l’ai rappelé avant la projection du film, il n’y a pas tellement de similarité claire et directe entre moi-même et le personnage que joue Robert Carlyle dans le film. L’histoire est un mélange d’inspirations diverses. J’avais envie d’explorer les personnages et leur esprit et d’aller au fond de leur esprit dans cette histoire. J’aimais également le thème de l’immigration. Les bureaux d’immigration aux Etats-Unis que j’ai un peu connu aussi sont des endroits très particuliers. Le fait de savoir que même lorsqu’on a le fameux Sésame, la carte verte, s’il y a un quelconque problème, si on est condamné pour trafic de drogues, conduite en état d’ébriété, si on a ce genre de soucis, que l’on soit coupable ou non, que l’on ait des enfants ou non, on est alors mis hors du pays. Ce thème, je voulais en parler dans mon film. Aussi, je voulais parler de tous ces combats que mène le personnage principal avec, par exemple, les soucis qu’il entretient avec l’alcool. Ce sont des choses que je voulais exprimer. C’est un projet que j’avais en moi, qui vient du fond de moi. J’ai écrit la première version du scénario en seize jours seulement.
Q : Qu’avez-vous retenu de votre passage à l’université de Harvard ?Lewy : Cette université est un endroit qui est vraiment exceptionnel à bien des niveaux. Il y a bien entendu toute une multitude d’opportunités, qui se présentent à vous quand vous êtes étudiant. Il suffit simplement de choisir ce qui vous intéresse. Tout cela vous nourrit, année après année. Il y a beaucoup de choses dans lesquelles on peut se sentir investi d’une manière ou d’une autre. On a vraiment un choix incroyable. De la même manière, c’est une école qui est très connue. Si j’avais étudié dans n’importe quelle autre école, on ne m’aurait surement pas posé de questions. Tous les gens que j’ai rencontré à Harvard, toutes les expériences que j’y ai eues m’ont amené à réaliser des films. J’ai toujours été attiré par tous les projets qui ont un élément de vraies vies à l’intérieur. Quand j’étais étudiant à Harvard, j’y ai pris des cours d’histoire, de littérature russe. Ces choses sur la dramaturgie me servent encore aujourd’hui.
Q : La rédemption semble être un sujet important à Hollywood. Le personnage interprété par Robert Carlyle cherche une rédemption via sa fille. Quelle importance donnez-vous à ce thème ?Lewy : Je trouve qu’il est intéressant de noter ce thème de la rédemption dans beaucoup de films. Depuis que j’ai fait ce film, ce thème est pris de plus en plus souvent. Mon film n’est pas un film que sur la rédemption du personnage principal, mais aussi sur le fait qu’il doit s’accepter tel qu’il est. C’est une sorte d’auto-rédemption. C’est cela que je voulais faire voir dans mon film. Ce personnage accepte ce qu’il est pour pouvoir aller de l’avant. Il est obligé de passer par ce stade et accepter son passé pour envisager son avenir. Ce thème est un thème intéressant. Merci d’avoir noté cet aspect dans mon film. De la même manière, c’est vrai que lorsqu’on lit des livres, que l’on regarde des textes, on remarque que dans la structure classique des films américains, ce thème est présent. Ce thème est un thème très important dans la culture cinématographique américaine.
Q : Vous avez rapidement évoqué le cinéma français au début de la séance. Est-ce que vous êtes inspiré par des réalisateurs européens, russes, asiatiques ?Lewy : Je n’ai pas pour habitude de donner des noms spécifiques, mais je vais vous en donner quelques uns. C’est vrai que pour moi, les inspirations sont diverses et variées. J’admire énormément les frères Dardenne, par exemple. J’aime beaucoup le travail cinématographique de quelqu’un comme Jacques Audiard. J’ai essayé de m’approcher par moments de certaines techniques de ce dernier. J’apprécie aussi beaucoup le travail de James Laxton, qui est le directeur de la photo de mon film. La manière dont il éclaire certaines scènes dans certains films. C’est une influence très européenne. Je dois avouer que lorsque je suis allé à Los Angeles, je m’attendais à rencontrer beaucoup de gens qui pensaient un peu comme moi, qui avaient les mêmes influences que moi. Je m’attendais à rencontrer plein de gens qui étaient fans de Godard, de Truffaut, qui allaient se précipiter dans la première salle d’Art et Essai, voir la rétrospectice de la Nouvelle vague ou ce genre de choses ou des gens comme Benoît Jacquot, qui est aussi un réalisateur que j’aime beaucoup. Mais en fait, pas du tout ! Les gens ne parlaient que de « Retour vers le futur » ou des « Goonies », des films qui ne correspondent pas à ce que je veux faire moi, à l’univers que je voulais créer sur grand écran. Ce n’est pas le genre de film que je voulais faire. Le fait d’être invité à Deauville pour présenter mon film est un véritable honneur.
Q : Pour revenir à la musique, qui chante, comment avez-vous fait pour inventer la pochette ? L’acteur principal chante très bien, il joue très bien de la guitare. Est-ce spontané ou a-t-il dû répéter pour cela ?Lewy : C’est effectivement Robert Carlyle qui chante dans le film. Il a créé une espèce de voix, car en Angleterre, ce n’est pas censé être le chanteur principal du groupe, le lead singer, son rôle. Il devait être le second couteau groupe. Il a ainsi inventé une voix qui est un mélange de Cliff Richard, de Bob Dylan et de pas mal de choses. Par rapport à la guitare, c’est aussi lui qui joue. Il a appris à jouer de la guitare quelques mois avant le tournage du film, car on s’est rendu compte qu’il ne savait pas jouer de la guitare. Il a appris très, très vite et c’est le résultat que l’on voit sur l’écran. En ce qui concerne la musique en elle-même, on voulait créer quelque chose qui sonne comme un hit de brit pop des années 1990. Pour ce faire, on a fait appel à un groupe de Brooklyn, « les Violons » et c’est eux qui ont créé les chansons.