Q : Lorsque vous avez présenté votre film, vous avez fait référence aux films des années 1960. Pouvez-vous être un peu plus spécifique ?
Alistair Banks Griffin : C’est vrai que c’est le genre de film dont je parlais ce matin. Ce sont tous ces films des années 1960 qui m’ont influencé et qui revenaient à une certaine forme élémentaire de raconter une histoire de manière visuelle. Je pensais notamment à des gens comme Bresson et Ozu, tous ces réalisateurs pour lesquels, en tout cas pour mon premier film, je voulais vraiment entrer de plein pied dans ce genre de style, suivre la voie qu’ils ont ouverte.
Q : Un titre, c’est toujours la promesse de ce que peut être le thème du film. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le titre ?
Banks Griffin : En fait pour moi, le titre est une double référence. C’est une référence tout d’abord à la transition qui peut y avoir entre les rêves éveillés et les faux rêves et d’un autre côté, c’est le passage entre le monde un peu secret, un peu mystérieux de ces deux frères qui évoluent au milieu des bois et également le passage à la vraie vie et vice versa. C’est quelque part pour moi un titre très symbolique et très fort, qui effectue une espèce de connexion entre les thèmes que j’avais envie d’aborder. Cet aspect très impressionniste du film, très irréel. Pour moi, le titre du film représente cette espèce d’impressionnisme qui transcende le film.
Q : Nous aimerions savoir pourquoi justement avoir traité que personne ne souffre de la perte de sa mère de la même façon. On a tous une vision différente à ce sujet. Pourquoi avoir choisi cette façon-là pour l’exprimer ?
Banks Griffin : J’ai pensé à différentes personnes. Lorsque j’ai commencé le début du film, ma grand-mère est décédée. J’ai pu constater de près les choses, les sentiments par lesquels on passe, mais je ne m’en suis pas inspiré non plus. Cela m’a certes influencé, mais pas de manière spécifique. Je voulais garder un aspect universel à ce moment qui m’intéressait moi, à ce moment du passage de la vie à la mort, de ce passage d’une dimension à une autre.
Q : Comment se prépare-t-on pour ce type de rôle ? Se prépare-t-on plus physiquement que psychologiquement ? Pouvez-vous nous dire si le cercueil était vide ou non ?
Brady Corbet : En ce qui concerne le cercueil, en fait il était vide. Mais plus on avançait dans le tournage et plus il nous semblait lourd. A la fin du film, on voit sur mon visage que c’était difficile à porter, et je le confirme que cela le fut. C’était assez éprouvant sur la fin du tournage. En ce qui concerne la préparation du personnage, en règle générale, je ne fais pas énormément de préparation physique pour ces rôles. Mais lorsque j’interprète un personnage comme c’est le cas avec celui de ce film, un personnage dont la description psychologique et physique nécessite de s’imprégner du lieu de tournage, je passe alors du temps dans les lieux de tournage pour m’imprégner au maximum pour être le plus naturel possible. Je tiens aussi à m’excuser, car je viens juste de descendre d’un avion, je suis fatigué et en plein décalage horaire.
Q : C’est d’abord un film très contemplatif. Pouvez-vous nous dire comment s’est fait l’écriture ? Il y a dans ce film différentes touches religieuses et mystiques. Pouvez-vous nous en parler ?
Banks Griffin : On peut envisager la réalisation d’un film de différentes manières. Pour moi, ce n’est pas seulement quelque chose d’amusant, quelque chose qui va vous sortir de votre univers. J’avais envie de raconter une histoire, d’envisager ce film de la même manière que Tarkovsky quand il faisait ses films, c'est-à-dire faire une œuvre qui va vraiment générer un certain état d’esprit. Quand on voit ses films, on n’a pas l’impression de voir un film, mais on se sent un peu comme si on rentrait dans une église ou dans une cathédrale. Il y a quelque chose d’autre qui se passe. Cela crée une réflexion, cela génère un état d’esprit différent. Cet aspect assez contemplatif, je l’avais en tête dès le départ de la genèse du projet.
Q : Votre film tient beaucoup plus à mes yeux des réalisateurs asiatiques comme Ozu, qui jouent plus sur le côté contemplatif et surtout sur le silence et le non-dit. Pouvez-vous nous dire si cela est apparu dès le moment de l’écriture, au premier jet ? Vous êtes-vous dit que vous alliez travailler beaucoup sur la non parole ?
Banks Griffin : Je regardais beaucoup de films dans ce genre-là et j’avais toujours en tête cette idée très importante pour moi du négatif dans l’espace plus que la côté positif, le fait d’avoir quelque chose de vide pour pouvoir le remplir. La question du silence, de l’absence de son est quelque chose que j’avais en tête dès le départ. C’est vrai que lorsque l’on a monté le film, lorsqu’on a mixé le film, on a passé beaucoup de temps et sans doute beaucoup plus de temps que sur n’importe quel projet à travailler sur le son, l’absence de son. Dans un film où il y a aussi peu de dialogues, il est vraiment très important d’utiliser tous les outils cinématographiques à notre disposition pour pouvoir le compenser avec d’autres choses. Ce thème du silence était quelque chose que j’avais en tête.
Corbet : J’ajouterais également par rapport à la question que vous venez de poser, que c’est une question que l’on ne pose pas très souvent finalement, car les gens parfois ont tendance à penser en voyant un film très silencieux que le film est très peu écrit. Dans ce cas précis, au contraire, le film était très, très écrit. Il y a même eu à un moment donné un scénario qui était très bavard avec énormément de dialogues. Cela faisait partie de la méthode de travail de Alistair sur ce film, soit d’écrire un scénario très touffu avec énormément de renseignements sur les personnages, sur ce qui se passait, de partir de ce matériel-là et ensuite le réduire jusqu’à arriver à l’essence même du scénario. A chaque fois que l’on voit quelque chose arriver sur l’écran, même si les personnages ne parlent pas, il y a eu une période d’écriture, un moment où on sait ce qui s’est passé. Tout s’est fait au montage. Il y avait à chaque fois une histoire, quelque chose qui était écrit. Le scénario était très écrit. Ce n’est pas du tout une espèce d’approche un peu paresseuse de faire un film très minimaliste. C’est un travail de réalisateur de retirer toutes les choses qui lui ont paru non nécessaire à l’image.
Q : Comment avez-vous choisi le lieu du tournage qui a une importance ? On a un peu l’impression que le film quelque part parle aussi d’une certaine catégorie de gens très spécifiques. Pouvez-vous nous en parler ?
Banks Griffin : En effet, le lieu a été très spécifique. C’est un lieu de tournage que je connais bien, qui est un peu au nord de l’endroit où j’ai grandi. C’est un endroit où je me rendais très fréquemment avec mes parents. Moi-même, je viens d’une ville, soit un environnement très différent. Pendant toutes ces années, j’ai vu l’évolution de ces personnes. Je me suis toujours un peu posé des questions, j’ai extrapolé et je me suis demandé à quoi pouvait ressembler la vie de ces personnes dans leur foyer. A quoi peut ressembler la vie de ces gens qui sont des gens qui parlent peu ? On rejoint ainsi le côté contemplatif du film. Des gens qui ne parlent pas beaucoup, mais qui ont une très grande richesse émotionnelle, qui ont un mode de communication qui est très différent, mais très riche en même temps. Je n’ai pas voulu dresser un portrait réaliste, une sorte de documentaire, sur ces personnes, mais je les connais bien.
Q : Quand j’ai vu votre film, j’ai pensé à Terrence Malick et à Gus Van Sant. Vous sentez-vous dans leur lignée ? La comparaison est-elle un peu lourde à porter ?
Banks Griffin : Justement la référence à Terrence Malick est un peu lourde à porter. Ces deux réalisateurs ont une grande influence sur mon travail. Surtout Gus Van Sant dans son travail plus ancien. Il y a des éléments du film dont on ressent cette influence. J’ai vraiment essayé de mettre mes références le plus loin possible du résultat final.
Q : Quelle est la symbolique de cet arbre à la fin du film ?
Banks Griffin : Je ne veux pas en dire trop à propos de cet arbre, mais celui-ci n’existe pas. Il a été créé dans notre studio. La raison pour laquelle j’ai demandé la création de cet arbre, c’est que je ne voulais pas insérer trop de symboles religieux, je ne voulais pas diriger l’imagerie du film vers une théologie spécifique. Je voulais rester suffisamment vague, mais je voulais quand même que l’on comprenne la raison pour laquelle ces deux frères font ce travail aussi éprouvant, parcourent autant de distance avec ce cercueil.